Dans la peinture classique, tout doit être donné au sujet. Les moyens doivent s'effacer au profit de la seule mimétique ; l'art doit cacher l'art, et donc celui qui met en œuvre ces moyens, le peintre, doit rendre sa personnalité, sa présence, aussi discrètes que possible ; sa marque, sa patte, ne doivent pas apparaître. La visibilité de la touche serait une inconvenance, et le glacis doit finir par estomper toute évocation de l'artiste pour laisser le spectateur à la pure contemplation de la chose représentée. Seuls quelques vieux maîtres osaient laisser une sorte de signature implicite, par la visibilité d'une touche qu'ils ne se souciaient pas de masquer.
Tout se renverse, au cours du XVIII° siècle de Watteau et de Fragonard, puis, après l'intermède néoclassique, avec le romantisme, et la suite... La personnalité du peintre devient le véritable objet, proprement pictural, et le sujet représenté n'est plus que prétexte à l'exhibition d'une sensibilité, d'une personnalité, d'un tempérament, d'une vision, d'un système nerveux, d'une idiosyncrasie que l'art a désormais pour but principal de manifester.
Rien de très nouveau en tout cela.
Mais cette présence du peintre dans sa toile est si bien passée dans les mœurs qu'un phénomène inverse se produit. Paradoxe : quand on regarde un tableau académique bien léché, blaireauté, fignolé, d'où toute exhibition et tout narcissisme sont absents, c'est cette absence qui saute aux yeux. Par contraste avec l'expressivité généralisée des singularités, cette discrétion se fait assourdissante. Ce silence passe au premier plan, comme une volonté très remarquable ne ne pas se faire remarquer ; un souci éclatant de se cacher. Et on est si étonné par cette posture esthétique d'un autre âge que c'est cette volonté d'absence qui vient au premier plan de notre regard, qui fait écran à la chose représentée elle-même. On trouve qu'il y a là une sorte d'exhibitionnisme de la discrétion, un orgueil de l'effacement, une affectation de neutralité. Certes on ne peut pas nommer, définir, caractériser le peintre en question, et pour cause. Mais on diagnostique sans cesse le trait principal de sa personnalité, qui est soit de cacher sa personnalité, soit de se servir de la discrétion classique pour masquer son absence de personnalité. En tout cas, un manifeste souci de ne pas se manifester.
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