Céline voisinant avec Alain, c'est rare. Par exemple, Entretiens avec le Professeur Y p. 503 : "Y a guère que deux espèces d'hommes, où que ce soit, dans quoi que ce soit, les travailleurs et les maquereaux..." On est tout près d'une des idées fondamentales d'Alain, la distinction entre le "prolétaire", qui a affaire à la matière, qui fait un vrai travail, et le "bourgeois", qui ne fait que manipuler des signes, principalement pour faire travailler les autres.
Céline voisinant avec Proust, c'est moins rare. Un parfum du Contre Sainte-Beuve, toujours dans les Entretiens avec le Professeur Y (p.506-507) : "l’inventeur lui, crouni depuis belle ! est-ce qu'il a même existé ?... on se demande ?... on en doute... fût-il ce gros blond joufflu, de certaines photos ? ou ce petit maigre boiteux, qu'on a prétendu ?... Certains croient savoir qu'il était fouetteur des dames, tortureur de chats le gros blond joufflu des photos !... mais que le petit maigre boiteux raffolait, lui, des croûtons de pain trempés en certains endroits... et qu'il était plutót mormon de convictions !... tandis que le gros blond... (était-ce lui ?) passait ses dimanches à sauver des coccinelles... et les libellules qui se noyaient... que c'était sa seule distraction... on dit !... on dit !... qu'est-ce que ça vient foutre ?... je vous demande ? la petite invention seule, qui compte !..."
Voyage, New York, la caverne fécale : on y descend par un escalier ”tout en marbre rose” ; très joli, très Musset, avec une couleur rose qui induit quelque évocation organique.
Exemple d'équivoque sémantique parfaitement utilisée. Dans Guignol's band, le narrateur est coincé dans un ascenseur, et connaît une poussée de claustrophobie : "Enfermé comme ça dans cette boîte ! je palpite ! je palpite ! un emballage abominable !" L'emballement du rythme cadiaque, effet de l'emballage dans l'espace confiné.
Jean-Pierre Richard a fait une "microlecture" du thème du métro chez Céline. Comme souvent chez lui, c'est très fin, puis c'est trop fin, les découpages (lacanoïdes) de mots sont poussés trop loin car ils demandent une adhésion complète à une méthode. Dommage, car il y a bien des choses suggestives dans son article.
Jean-Pierre Richard note l'analogie entre le métro et l'ascenseur : foule, écrasement, espace confiné, claustrophobie. On pourrait aussi noter bien des ressemblances entre l'acte sexuel tel que décrit par Céline, et ces expériences de mélange des êtres qui sont "les uns dans les autres", qui s'étouffent mutuellement, où l'on ne reconnaît plus qui est qui, quoi est à qui, où on s'écrabouille mutuellement – on ne sait plus où on en est, on ne sait plus qui on est. Expériences de "con-fusion". En outre, le métro, l'ascenseur, la copulation, entassant les êtres de façon désordonnée, l'enfouissement sous les vivants, correspondent à l'enfouissement sous les morts – un classique de l'imaginaire célinien. Mort et naissance resssentis comme une furieuse, confuse et aveugle compétition ("foutrant pancrace"). Un mélange des êtres, une dilution des individualités qui n'a rien de l'ivresse dionysiaque...
Jean-Pierre Richard dit dans une autre des Microlectures qu' "il y a chez Céline toute une modalité orale de l’anal". Peut-être. Mais c'est plutôt l'inverse (modalité anale de l'oral) qui me semblerait évident.