samedi 1 mars 2025

Nabokov, quelques notes

Le mot anglais "nap" signifie "petite sieste". Il n'est pas à l'origine de "kidnapping" , qui vient (je cite etymonline) de "nap" = "to catch (someone) by a sudden grasp, seize suddenly," 1680s, probably a variant of dialectal nap "to seize, catch, lay hold of (1670s, now surviving only in kidnap), which possibly is from Scandinavian (compare Norwegian nappe, Swedish nappa "to catch, snatch;" Danish napes "to pinch, pull"); reinforced by Middle English napand"grasping, greedy." … Racine hautement nab-okovienne. Dès le début de Lolita, HH se classe parmi les "nympholeptes" : "Toutes les enfants entre ces deux âges sont-elles des nymphettes ? Non, assurément pas. Le seraient-elles que nous aurions depuis beau temps perdu la raison, nous qui avons vu la lumière, nous les errants solitaires, les nympholeptes." Le kid-napper dit qu'il est en fait volé par l'enfant, inspiré, dépossédé de sa liberté par les nymphe(tte)s. Cf. Platon, le poète inspiré dans Ion. Ou La Pythie de Valéry, évincée d'elle-même par le Dieu. Le possédé, donc dépossédé, volé, devient voleur. Béni, maudit. 


Amis (Martin) : The War Against Cliche, sur Lolita : 

"It rushes up on the reader like a recreational drug more powerful than any yet discovered or devised."


Un ancêtre de Kinbote ? On lit dans l'article Wikipedia consacré à Draud  (Georg)  : "On doit encore à Draud : […] une édition de Solin, Francfort, 1603, 3 vol. in-4° : quelques-unes des additions de l’éditeur sont curieuses, la plupart sont triviales ou étrangères au sujet ; aussi cette volumineuse édition est peu recherchée. Draud y a changé sans fondement la distribution des chapitres."


Sergueï Petrovitch Botkine (1832-1889), professeur à l’Académie de médecine militaire. Il a donné son nom à la maladie de Botkine, ou ictère cholestatique.


Récurrence chez N. de la fermeture Eclair ; plus qu'un motif, c'est un thème, ou en tout cas une puissante métaphore de la réversibilité du temps par le biais de la réversibilité du parcours spatial. Dans Pnine, bien sûr (sublime passage !), mais aussi dans Regarde les Arlequins ! et encore dans Laura. Il faudrait pieusement éplucher tous les textes à la recherche de toutes les occurrences. L'accident de zip évoqué dans Pnine est-il le décalque d'une aventure personnelle ? Non pas d'un ridicule besoin urgent, mais d'une catastrophe fondatrice : on quitte Petersburg, on y revient, n fois. Et un jour on quitte, mais on ne revient pas ; c'est coincé ! La voie de chemin de fer ressemble bien à une fermeture Eclair. 


Lolita dit à HH que pour elle, le sexe est un amusement d'adolescents, mais qu'entre adultes, c'est dégoûtant. Même idée chez  Camilleri, La Pension Eva : "— Mais tu le sais que nous, dans le grenier, on fait des choses cochonnes et que c’est péché mortel ?  / — Les choses cochonnes, c’est seulement l’homme et la femme quand ils sont grands qui peuvent les faire."


Pnine, scène de la baignade dans la fontaine ; thème de la "foi tactile" : allusion à Saint Thomas, qui voulut toucher les plaies du Christ pour croire. Cf. Lolita av dern. chap : "Thomas n'était pas si bête que ça. C'est bizarre comme le sens tactile, bien qu'infiniment moins précieux pour les humains que la vue, peut devenir dans des moments critiques notre principal, sinon notre seul, levier face à la réalité." Il faudrait pieusement éplucher tous les textes à la recherche de toutes les occurrences de ce thème tactile chez N. (il y a chez lui tellement de visuel qu'on en oublierait les autres sens...).


Pale fire : image parfaite : "along its edge walked a sick bat like a cripple with a broken umbrella."


Pour Nabokov, l’imitation est mieux que le réel, le reflet est mieux que la chose ; on ne peut pas dire de lui ”in a glass darkly” (Kinbote citant Hurley), mais plutôt ”in a glass brightly.”


Pale Fire : à Onhava, étonnante anticipation de l'esthétique lexicale trumpienne ?! ”Taxation had become a thing of beauty.”


Rasage : il faudrait pieusement éplucher tous les textes à la recherche de toutes les occurrences de ce thème important (effacer les effets du temps, revenir en arrière de 24h ; non sans peine parfois). Un passage de Biély (Petersburg) passerait aisément pour du N : « A la lueur d’un bout de chandelle, il se mit à raser son cou velu (il avait une peau tendre, qui se couvrit de petits boutons sous le feu du rasoir). Il se rasa le menton et le cou. Mais le rasoir coupa par inadvertance une moustache : il lui fallait maintenant se raser jusqu’au bout ».


Vulnérabilité humaine : le crâne-scaphandre de Pnine ; et dans The Eye, sous la forme d'un effet de sonorité : "thin skin". Minceur de la paroi entre moi et non-moi. 


Lurie Liaisons étrangères chap. V : 

cité Lectionnaire 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2022/01/lurie-enfance.html

"Vinnie [qui fait des recherches universitaires sur les chansons enfantines] voudrait être un enfant, et non en avoir ; elle n’est pas attirée par la fonction parentale, mais par une prolongation ou une récupération de ce qui est, à ses yeux, la meilleure période de la vie. 

L’indifférence aux enfants réels est assez répandue chez les spécialistes du domaine où travaille Vinnie, et se rencontre aussi parfois chez les auteurs de littérature pour la jeunesse. Comme elle l’a souvent signalé dans ses conférences, beaucoup des grands écrivains classiques ont eu une enfance idyllique qui s’est terminée beaucoup trop tôt, et souvent au point de provoquer un traumatisme. Carroll, Macdonald, Kipling, Burnett, Nesbit, Grahame, Tolkien… ; la liste ne s’arrête pas là. Le résultat de ce genre de passé semble être un désir passionné, non pas d’enfant, mais de retrouver sa propre enfance perdue."


Loujine, à l'école, était terne ; on ne se souvenait presque pas de lui (p. 366) ; cf. Charles Bovary. 


Du Nabokov chez Proust (À l'Ombre des jeunes filles en fleurs) : "leurs vignettes s'encastraient multicolores, comme dans la noire Église les vitraux aux mouvantes pierreries, comme dans le crépuscule de ma chambre les projections de la lanterne magique,"


"Ne pas parler aux étrangers" : cela vaut pour les petites filles toujours en danger, mais aussi pour les Moscovites de Boulgakov, au début du Maître et Marguerite. 


Pnine cite Pouchkine : " m’enverra la mort ?" cela commence par Gdié, le ‘cri’ (le seul mot russe) de détresse de Mademoiselle ("où êtes-vous ?" + "où suis-je ?"). Le cri de l'exilé. 


 Deux thèmes nabokoviens : ”Icy” et ”I see.”


Prokofiev, ici nabokovien, s'inspire de Balmont pour ses "Visions fugitives" : « Dans chaque vision fugitive je vois des mondes / Pleins de jeux changeants et irisés. » (soit dit en passant, très belles partitions de P, à tel point qu'on ne dirait pas que c'est de lui). Mêmes monde, époque, et, en partie, esthétique. 


Glory a été traduit par L'Exploit. Cela convient. Mais je ne vois pas pourquoi on n'a pas choisi La Prouesse, qui me semblerait, par rapport au contenu du roman, à la fois plus juste et plus précis. (... au lieu de La Méprise, L'Impair ?...).


Chez Sterne, Tristram s'adresse souvent à son public, en supposant des lecteurs à géométrie variable (masculin, féminin, singulier, pluriel). Humbert procède de façon assez similaire, mais en se limitant aux personnes du jury supposé auquel il présente son explication (jusqu'au savoureux "Frigid gentlewomen of the jury !").