Au sens courant, le "kitsch", c'est le toc, le clinquant, l'art bon marché (lié à la reproduction industrielle).
En un sens plus élaboré, c'est ce qui s'obtient "à bon marché" - dont le "bon marché" n'est que la version la plus évidente.
Mais "à bon marché" signifie :
- quand on est créateur : en se dispensant d'un "effort du cœur" ;
- quand on est consommateur : en se dispensant de l'effort d'approfondir, de cultiver son regard etc.
Au sens moral (Kundera), la "kitschisation de l'existence" consiste à se donner, à peu de frais, un label de moralité, d'esthétique : ripoliner son moi en surface et briller sans fatigue.
Le kitsch, c'est donc, en règle générale : peu de cause pour beaucoup d'effet. C'est le principe d'économie : peu d'argent, peu d'effort, peu de réforme intime, peu de contraintes. C'est le plus rentable : ce qui a un "fort retour sur investissement".
L'académisme y tombe inéluctablement : on apprend (parfois laborieusement) à obtenir certains effets en maniant certaines causes avec la technique nécessaire et,ensuite on répète inlassablement ces causes sans se réformer, sans évoluer. On fait des gâteaux dans un même moule. L'effort d'apprendre dispense définitivement de l'effort de se changer. L'effort est fait une fois pour toutes.
Ex. : le Parnasse, qui mit au point un méthode assez facile pour faire des vers d'apparence difficile (Valéry dixit).
Le kitsch vise l'effet. C'est aussi le propre de l' "esthétique des effets", de Poe, puis de Valéry, selon laquelle il faut savoir manipuler le lecteur en le connaissant bien, de manière à en faire son pantin ("La littérature est l'art de se jouer de l'âme des autres"). Heureusement, Valéry ne visait qu'un lecteur très exigeant, très intelligent, très savant (lui-même, au fond). Il en fit donc une esthétique dédaigneuse de toute forme de facilité.
Mais si on applique cette esthétique des effets à un public médiocre, on obtient les pires dégoulinades esthético-sentimentales du cinéma commercial, qui sait parfaitement caresser le public vulgaire (pléonasme) dans le sens du poil.
Le kitsch, c'est donc, plus encore que le mauvais goût, la pente de la facilité, du moindre effort. Le "mauvais goût" que l'on décèle dans kitsch, c'est le pressentiment, la fadeur de cette faiblesse de la volonté.
Cette pente ira au plus bas, au plus laid, au plus chargé, et au plus commun.
Sans avoir l'air d'y toucher, c'est ce que laisse entendre Sinclair Lewis dans son Babbitt (un peu oublié) : tout le monde a les mêmes idées (si on ose employer ce grand mot) ; tout le monde a le même appartement identiquement décoré.
Cf. chap. VII : "... deux maisons sur trois aux Hauteurs Fleuries avaient, devant la cheminée un divan, une table en acajou, ou en imitation, et une lampe de piano avec un abat-jour en soie jaune ou rose". Ce "ou rose" est un délice d'ironie : on a quand même sa petite touche personnelle... (2 autres passages similaires au début du chapitre).
Bref, le kitsch, c'est la paresse et la veulerie rendues sensibles aux yeux.
2 commentaires:
"Peu de causes pour beaucoup d'effets" : le Dieu de Leibniz est-il alors divinement kitsch ?
Peut-on rajouter aussi, "beaucoup d'effets" dont la qualité est inversement proportionnelle à la quantité ? Le kitsch, ça explose comme des cotillons, comme des confettis, des bouts de rien du tout, en milliard de fois, et même davantage.
De façon parallèle, on pourrait peut-être dire que le kitsch relève de la pure forme, ou plutôt d'une forme hypertrophiée qui créé un effet comique par le contraste d'avec son fond : tant d'apparat laisse supposer un contenu d'une solidité à toute épreuve.
Tout ça pour ça...
Le kitsch est un pur effet d'annonce, aussi bruyant que creux, voire bruyant parce que creux.
Il y a de quoi devenir Leibnizien quand on voit le monde tel qu'il est !
... le Dieu de Leibniz n'est pas kitsch ; car rien ne coûte à Dieu ; il ne s'agit pas pour lui d'un "effort" à faire qui serait louable, ou d'une "facilité" qui serait coupable. Si le Dieu de L. va au plus simple, aisé, court, facile (comme celui de Malebranche), c'est par souci de lui-même, de ne rien faire en vain. Le Principe d'Economie est un principe de fertilité maximale, non une loi du moindre effort.
Ce qui chez L se fonde sur le Principe de Raison chez Malebranche se fonde sur le fait que Dieu doit toujours agir de façon qui soit digne de lui, donc de l'universalité : d'où la simplicité des voies.
Quant au kitsch humain, en effet, il va bien, comme vous le laissez entendre, avec une vaine multiplicité, une dispersion, dissémination, répétition etc. Le kitsch est en aprtie le fruit de la reproductibilité technique des œuvres, chromos, statues Barbedienne etc. - avec dévaluation concomitante à cette émission masssive d'objets d'art comme on dévalue une monnaie en émettant du papier-monnaie.
Et, justement, les objets ainsi démultipliés sont tous identiques, ce qui contrevient au Principe leibnizien de Différence.
Quant à l'effet comique, on pourrait, si on voulait le fonder sur une autorité philosophique, le rapporter à la fameuse définition bergsonienne : en principe, l'œuvre d'art est chose réfléchie, mûrie, voulue pour elle-même, par un effort singulier, qui ne dispensera nullement d'un nouvel effort pour une nouvelle œuvre (les derniers quatuors de Beethoven, opp. les concertos de Vivaldi). Elle représente donc la sigularité d'une portion de vie personnelle qui s'y est vouée. Et si on la démultiplie, on a une reproduction mécanique qui se plaque sur du vivant.
On fabrique une statue bien standard, et on la multiplie à des millers d'exemplaires. C'est exactement transposable au cas de l'idée reçue : du prépensé, ensuite indéfiniment radoté. Plus la pensée est superficielle, plus elle est propice à sa démultiplication ; et, inversement, plus une pensée est profonde, plus elle y est rétive. Ce n'est donc pas "tout ça pour ça", mais "tout ça (tous ces effets) pour si peu (de cause)".
Si on veut diffuser une idée, il y a intérêt à la faire très simple, très simpliste, pour qu'elle soit indéfiniment simplifiable encore...
"Malheur à moi, je suis nuance !" (Nietzsche)
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