mercredi 1 avril 2020

Valéry, Queneau : puretés matutinales


Valéry, c’est bien connu, réfléchissait tous les matins, purement, de cinq heures à sept heures. C’est alors qu’arrivait la Parque, la concierge « aux vieilles mains pleines de plis » comme il le disait avec un parfait double voire triple sens, les « plis » étant à la fois les lettres qui interrompent la pensée solitaire, les rides de la vieille concierge, et les rides sur le miroir mental qui empêchent le Narcisse intellectuel de se contempler plus longtemps. Un coup de vieux soudain.
Valéry s’offrait donc tous les jours le luxe d’un rendez-vous, d’un « cinq à sept » tout privé, tout intime, avec sa propre pensée. Aventure extra-conjugale bien plus profonde (et moins perturbatrice) que ses rechutes amoureuses. Comme certains ont une danseuse, il avait sa pensée. A-t-on noté, dans la célèbre formule qui lui a été prêtée (par Breton), qu’il s’agit d’une marquise qui sort à cinq heures, alors que la sienne, spirituelle, arrivait à la même heure (du matin bien sûr) ? 
Je songe à cette hypothèse (de mince conséquence) en notant que Valentin Brû, le personnage du Dimanche de la vie, de Queneau, cherche à éprouver un temps pur qui n’est pas sans analogie avec le pur esprit valéryen ; et, pour cela, il se ménage deux heures libres tous les matins dans sa boutique de cadres pour photographies : 
« Pour conserver de [son oisiveté] la quantité nécessaire, il décida de réformer son lever. Levé à cinq heures, il ouvrit à sept heures, gagnant ainsi deux heures pour surveiller le temps, dans la limpidité du matin ou la brume de l’aurore. »