Chesterton (texte cité dans le Lectionnaire) : "L'avenir nous met à l'abri de la féroce compétition de nos aïeux". Idée très voisine chez Nabokov, dans Le Don, Pléiade p. 360 : "l'abîme aqueux du passé et l’abîme aérien de l’avenir"
Les biographies de Gœthe m'ont toujours ennuyé ; je ne crois pas en avoir terminé une. La faute à Goethe ? (dont Berlioz a dit, si je me souviens bien, qu'il s'aimait trop et avait vécu trop longtemps). La faute aux biographies ? Peut-être. Probablement même, en ce qui concerne l'une d'elles : en couverture, une gravure représentant une scène assurément inventée, où il a le mauvais rôle (obséquieux, servile face aux puissants), le beau rôle et le premier plan étant donnés à Beethoven quant à lui rugueusement et noblement anti-aristocrate, donc sympathique au lecteur supposé imprégné de moralité démocratique.
Le rapport au réel dans la littérature et dans la peinture : occasion non de copie conforme (vanité...), mais d'inflexion, distorsion, écart, transformation, etc, qui font l’intérêt (Adam Smith) : distorsion légère, moyenne, forte, extrême (l'exagération célinienne). Ce qui est transformé importe moins que ce qui singularise la transformation : une façon de voir (de biaiser) qui est semble-til toujours un mixte de forme esthétique et de singularité psychologique.
Modalisations : une des marques de la modernité ; le narrateur est incertain ; il truffe son discours, jusqu'à le miner, de 'on dit que', 'peut-être', 'd'une certaine façon', 'il n'est pas impossible que', 'osera-t-on dire', etc. Souvent (pas tant chez Gogol, qui doit en être l'initateur, que chez James, Proust ou Gide) ces hésitations perpétuelles, ces précisions qui pointillent le discours peuvent donner l’impression que l'auteur ‘fait des mines’. D’où la possibilité trouver que cette façon de dire a quelque chose d'efféminé, de précieux, par toutes ces prudences qui imprécisent la narration (des demi-teintes qui dissolvent le discours comme les demi-tons dissolvent le système tonal). Ce que Céline a exprimé avec grande rudesse en disant... enfin en féminisant lesdits auteurs.
Urbain, ‘urban’, est devenu synonyme de grossier.
Molière, Le Bourgeois gentilhomme I, 3 : « Oh! battez-vous tant qu'il vous plaira : je n'y saurais que faire, et n'irai pas gâter ma robe pour vous séparer. Je serais bien fou de m'aller fourrer parmis [sic] eux, pour recevoir quelque coup qui me ferait mal. » Je trouve que c’est exactement le ton du père Ubu, sa bonne grosse lâcheté primaire - qu'on retrouve en partie chez Ignatius Reilly, personnage qu'il y a toujours plaisir à revoir :
Morand comique malgré lui. Journal inutile t. 2 p. 167. Le 1° janvier 1974, il a 86 ans, il note sa tension artérielle (18,5 / 9) ; il retourne visiter Montmartre et se plaint : "Partout des escaliers ! les architectes, qui ont la passion des escaliers, s'en sont donné !"
Huysmans : « Il n’y a de bonheur que chez soi et au-dessus du temps. » (Là-bas, ch. 1, fin)
Hugo. Hypallage. On peut dire qu’un paysage est riant, mais quand Hugo écrit "Son pied charmant semblait rire à côté du mien", on a quand même fortement tendance à rire aussi. L'idée est excellente ; mais comme souvent, Hugo en fait trop. En outre, la pseudo-césure entre les deux verbes est... non-classique. Le 'semblait' souligne trop l'image comme telle, mais il a dû servir de supplétif pour que soient présents les douze apôtres.
Voracité. Je donne ses croquettes au chat, puis vais dans la pièce voisine regarnir la boîte. Au bruit, automatisme, elle quitte son assiette pleine pour essayer de glaner une ou deux éventuelles croquettes.
Le Roy Ladurie, Saint-Simon ou le système de la Cour, I, VI : « Harlay, dans une réunion commune, se tourna vers les jésuites en leur disant : « Qu’il est bon de vivre avec vous, mes Pères ! » ; et puis, à l’intention d’oratoriens jansénisants qui se trouvaient là eux aussi, Harlay ajouta : « Qu’il est bon de mourir avec vous, mes Pères ! »