Dans sa Méditation première, alors qu'il doute volontairement de tout ce qui est dubitable, Descartes envisage qu'il puisse n'avoir pas de corps. Il faut atteindre une vérité si absolument et intrinsèquement solide que même les esprits les plus dérangés n'en puissent disconvenir. Ce faisant, il évoque « [...] ces insensés, de qui le cerveau est tellement troublé [...] qu'ils s'imaginent [...] avoir un corps de verre ».
Celui qui a lu, dans les Novelas ejemplares, le célèbre Licenciado Vidriera, ne peut que songer à cet homme frappé, selon Cervantes, par la plus folle de toutes les folies qui se soit jamais vue. Il n'est pas impossible, pense alors ce lecteur, que Descartes ait eu connaissance de ce texte, et que, lui qui cite fort peu les écrivains, en ait eu un ressouvenir plus ou moins précis au moment où il exerçait le doute le plus dubitatif qui se soit jamais vu. Le lecteur, en tout cas, y pense.
Celui qui a lu, dans les Novelas ejemplares, le célèbre Licenciado Vidriera, ne peut que songer à cet homme frappé, selon Cervantes, par la plus folle de toutes les folies qui se soit jamais vue. Il n'est pas impossible, pense alors ce lecteur, que Descartes ait eu connaissance de ce texte, et que, lui qui cite fort peu les écrivains, en ait eu un ressouvenir plus ou moins précis au moment où il exerçait le doute le plus dubitatif qui se soit jamais vu. Le lecteur, en tout cas, y pense.
Or l'original latin ne dit point cela, mais parle de “tête d'argile” : c'est donc la culture littéraire du duc de Luynes qu'il faudrait interroger à ce propos, puisqu'il est le traducteur, revu et agréé par Descartes lui-même, des Méditations. Il est fort probable qu'un traducteur plus tardif, même excellent, mais baigné d'une autre culture littéraire, en proie à d'autres réminiscences plus ou moins conscientes, n'eût pas pris précisément cette liberté-là avec le texte, liberté à laquelle le philosophe n'a rien trouvé à redire, soit parce qu'il connaissait la nouvelle espagnole, soit parce que le personnage de l'étrange Licencié flottait dans l'air du temps. Soit parce qu'il n'en avait cure, le sens d'ensemble étant respecté : argile ou verre, peu importe, la friabilité suffit.
La licence que le duc de Luynes s'est accordée ne fait pas entrer sa traduction, sur ce point, parmi les “belles infidèles”. Peut-être la fait-elle entrer dans la catégorie rare des traductions supérieures à l'original. Supérieure ici non par le sens philosophique, mais par la puissance évocatrice de l'exemple, son efficacité auprès du public cultivé de l'époque. Le philosophe pur théoricien prend un exemple quelconque ; le duc choisit un exemple bien plus “ciblé”, bien plus propice à faire songer au lecteur, dans le clair-obscur de sa pensée, que l'on peut être fort sage en ayant l'air très fou, ce qui illustre bien mieux les doutes, extravagants pour le commun, de la Méditation première.
Mais cette folie du "corps de verre" pourrait avoir une autre source, elle aussi très plausible chez le duc traducteur. Il s'agit de la démence du roi de France Charles VI à propos de laquelle l'historien Stanis Perez note, dans son ouvrage Le Corps du roi :
"Le pape Pie II notait lui-même que le roi de France croyait avoir un corps en verre et refusait, de fait, de se laisser toucher par qui que ce fût" [Pie II, I Commentarii, L. Totario (éd.), Milan, Adelphi Edizioni, 1984, I, p. 1056.]