Au XX° s, une des rares manières de sauver l’art de l’impasse intellectualiste a été l’injection de populaire : musique noire américaine, langue parlée (Ramuz, Céline, Queneau), folklore hongrois (Bartok). Ici, la « sève » populaire n’est pas un vain mot.
Au sommet de mon art... À mon ultime TD, je suis arrivé au niveau des plus grands maîtres orientaux ou grecs qui enseignaient d’un geste. Sur « doute et soupçon », j’ai fait ceci : pour le doute, index et majeur écartés (deux chemins possibles) ; pour le soupçon, le majeur sur l’index (un discours cache l’autre). Il faut bien 40 ans de métier, d'ascèse, pour parvenir à ce dépouillement.
L'avare aime l’agent qu’il a ; le capitaliste, l’argent qu’il n’a pas encore.
Musique. Beethoven. Le prélude fut au tout début le musicien accordant son instrument, et, ainsi, se préparant (et préparant les auditeurs) à la tonalité à venir. C'est le sens du "prélude non mesuré", musique à peine écrite, en général lente, peu structurée, ayant la même finalité auditive, même s’il ne s’agit plus alors d’accorder l’instrument. Souvent, avec Beethoven, grand maître du "faire attendre", du "faire monter la pression", on tend moins l’instrument qu’on ne tend l’auditeur lui-même (Son. à Kreutzer, début ; Symph. n°9 9, début, etc.)
Bourdet : Les années difficiles : la valeur littéraire est très mince ; c’est une histoire bien ficelée. On dit que Bourdet est le dramaturge de la bourgeoisie. Ici, en tout cas, il la critique férocement ; mais comme il ne propose pas les 'remèdes' marxistes, il est honni comme complice de ce qu'il dénonce.
Céline. Le Voyage, c'est très bien (ceci n'est pas un scoop). Sauf l'épisode américain, et pour cause : selon Céline lui-même, il faut dire ce qu'on a vécu, et dont on a souffert, ce qui a failli nous faire crever. Or Céline est allé en Amérique non en tant que prolétaire égaré, mais en tant que médecin en voyage d'étude. Et cela se sent ; même s'il comporte des choses magnifiques, tout l'épisode est artificiel. Les usines de Detroit sont pauvrement décrites, le statut du narrateur est très bancal. L'épisode précédent, celui du galion est très faux, mais d'une fausseté onirique ; alors que l'épisode américain prétend être en prise sur le réel.
Musique. Curieux effet de mémoire. Pour une œuvre en plusieurs mouvements, que j'ai entendue un certain nombre de fois au cours des années, je suis incapable de dire ex abrupto le thème p. ex. du 3° mvt. Mais quand j'entends l'œuvre, à la fin du 2° mvt, le thème du 3° me vient irrésistiblement, comme la strophe suivante d'une poésie ; comme une réponse. Circuits mnésiques dormants.
La culture vue non plus comme une approche respectueuse, mais comme une agression : s’emparer de … s’approprier… investir… On dit 's'approprier' un domaine, et non plus 's'approprier à' ce domaine. De même, on ne dit plus 'pages choisies de..." mais "pages arrachées à...".
Dialectique. Partir de… signifie à la fois se séparer de, nier ; mais aussi avoir ses racines, ses origines dans, donc être tributaire de. Quand un être conscient "part de...", il prend ses distances certes, mais aussi il garde souvenir. Le lieu nouveau où il est ne peut pas ne pas être pensé par différence avec le lieu ancien, référence peut-être reniée, mais conservée.
Dionysisme, catharsis, défoulement. Le temple de Delphes était celui d'Apollon, mais quelques mois par an, il était aussi celui de Dionysos, enterré dans le sous-sol paraît-il. La tension établie par Nietzsche entre ces deux pôles trouve ici un étayage liturgique. On ne peut pas être sainement apollinien sans être aussi dionysiaque. On ne peut pas être sage sans être un peu fou. Cf. ce texte de la faculté de théologie de Paris (1444), à propos de la 'Fête de l'âne' : « Nous ne fêtons pas sérieusement mais par pure plaisanterie, pour nous divertir selon la tradition, pour qu’au moins une fois par an nous nous abandonnions à la folie, qui est notre seconde nature et semble être innée en nous. Les tonneaux de vin éclateraient si l’on n’ouvrait pas de temps en temps la bonde pour les aérer. C’est pourquoi nous nous livrons à des bouffonneries pendant quelques jours pour pouvoir ensuite nous consacrer au service de Dieu avec une ferveur d’autant plus grande » (livret du disque La Fête de l’âne, Clemencic Consort, 1980)
Il vient un âge où tous les sujets sont des marronniers.
Le mal. Faulkner, Sanctuaire, première page : l'homme penché sur la source boit en quelque sorte, sans le savoir, l'image de Popeye, l'image du Mal. De même Jean Lorrain, Le crapaud : une magnifique source, apparemment pure ; on y boit, et on voit un crapaud y décomposant ses tripes et y diffusant ses miasmes. Trop tard !
Pardon : l'irrémédiable n’est pas irrédimable.