Dans le fameux monologue d'Hamlet, les "slings and arrows of outrageous fortune" sont passés dans l'usage : "les frondes et les flèches". Mais ces frondes semblent ici un peu bizarres. Certains ont songé qu'il pouvait s'agir d'une coquille, ou mauvaise lecture pour 'stings", les aiguillons, les pointes ; ce qui serait très cohérent avec les flèches. On retrouverait Tartarin : "Des coups d'épée, Messieurs, mais pas des coups d'épingle !"... Toutefois, l'article très érudit de Spitzer sur l'étymologie du mot slang (argot) peut redonner pertinence aux frondes, puisque ce vocable semble lié au fait de jeter de la boue. On peut hésiter. Pour ma part, je préfère 'stings'.
Il y a de plus évidentes coquilles qui sont passées dans les éditions canoniques, parfois sans être même notées.
Que je sache, dans le Voyage au bout de la nuit, on ne mentionne pas celle, évidente, de l'épisode africain :
"Je préférais encore retourner à ma case et la remettre d’aplomb en prévision de la tornade, qui ne pouvait tarder. Mais là aussi, je dus renoncer assez vite à mon entreprise de consolidation. Ce qui était banal dans cette structure pouvait encore s’écrouler mais ne se redresserait plus"
Il ne fait pas de doute qu'il ne faut pas lire "banal", mais "bancal".
Une autre est connue, et expliquée, chez Proust :
"Elle tendait à mes lèvres son triste front pâle et fade sur lequel, à cette heure matinale, elle n’avait pas encore arrangé ses faux cheveux, où les vertèbres transparaissaient comme les pointes d’une couronne d’épines ou les grains d’un rosaire."
Proust, fils de médecin, savait que le front ne présente pas de vertèbres, et qu'il faut lire "véritables", les véritables cheveux, par opposition aux faux cheveux qui précèdent dans la phrase. Mais on recopie toujours cette étrangeté. La note de la Pléiade Tadié (p. 1127) me semble plus labyrinthique que convaincante.
Enfin, la plus drôle, parmi les jeunes filles en fleurs :
"La figure de celle qui était le plus près de lui, grosse et éclairée par ses regards, avait l'air d'un gâteau où on eût réservé de la place pour un peu de ciel."
Cette comparaison qui semble relever de dada ou de Ionesco semble ne troubler personne. Le narrateur est en compagnie d'un peintre, et l'image est liée du domaine pictural ; il s'agit bien sûr d'un "tableau", et non d'un gâteau (même s'il est vrai que Proust affectionne les métaphores pâtissières ("le clocher qui, doré et cuit lui-même comme une plus grande brioche bénie..."). On est aisément aiguillé vers cette relecture en 'tableau' par le fait que 'réserve' est un mot de métier certes, mais très connu, pour désigner une partie de toile non-peinte, où l'éventualité d'un ciel bleu a plus de pertinence que dans un saint-honoré.
Proust emploie d'ailleurs la même méthode de prendre sa métaphore dans le contexte, quelques lignes plus haut, lorsque le narrateur, intimidé par l'arrivée soudaine des jeunes filles, se retourne subitement : "je tournai le dos comme un baigneur qui va recevoir la lame" : là aussi, il choisit sa métaphore dans le contexte.
... à suivre peut-être...