Tubeuf, mars 2010 : "Méritait-il ce soir, ce public carrément dérangeant, qui ovationne en plein scherzo, ne laisse pas la dernière vibration s’éteindre et se repasse des bonbons ? Et des gens qui semblent entendre la Funèbre pour la première fois méritent-ils Zimerman ? Pour aller entendre leur premier Chopin, ont-ils besoin d’un Zimerman ?"
Beethoven, les 3 trios op. 9, en 3 versions : Arnold, Boccherini, Zimmermann. Les 3 sont excellentes, mais de propos très différent. Arnold incline à une certaine rugosité, penche vers les quatuors à venir. Zimmermann au contraire, très fin, délicat, penche vers Mozart. Boccherini réussit un bel équilibre entre les deux. C'est probablement Boccherini qui a raison, en tout cas qui donne une version toujours satisfaisante, équilibrée entre force et finesse. Pour Arnold et Zimmermann, cela dépend de l'humeur du moment, hardie ou esthétisante, chez l'auditeur. Dans les trois cas, la prise de son est cohérente avec le propos musical. Un moment parfait (entre autres) chez Boccherini, le scherzo du 3° trio : unité parfaite entre l'intention, le tempo, le son. Sensation d'incontestable, d'indiscutable, d'évidence – de hardiesse heureuse.
Alain Meunier sur la Sarabande de la 5° suite de Bach : "moment de pauvreté absolue... merveille totale"
Gesualdo, Madrigal X transcrit pour altos et joué en re-recording par Chr. Desjardins. C'est étonnant et passionnant. Une musique qui est déjà assez intemporelle, abstraite, le devient encore plus : étrangère à tout, "in-personnelle", "in-locale".
Jusqu’à l'époque de Mozart, les partitions comportent très peu d’indications de tempo, d'expression, d'intensité etc. ; car il y a un "goût" partagé , et les nuances vont de soi. C’est une sorte de ponctuation évidente, spontanée, qui n'a pas besoin d'être dite, notée. Mais la communauté esthétique se délite au profit de l'individu et de l'innovation. Alors, avec Beethoven, il y a des à-coups personnels, psychologiques et/ou formels, qui, par nature, ne peuvent se deviner : c’est le propre des passions d’être imprévisibles pour autrui, et c'est le propre des innovations formelles d’être inanticipables. Le texte de Bach n'indique presque rien hors les notes. Celui de Beethoven ou de Schumann fourmille de particularisations. Avec Bach, la musique exprime un système musical (comme la parole nouvelle actualise la langue déjà acquise). Ensuite, elle exprime une aventure, une idiosyncrasie. [Cioran, de mémoire : Beethoven a perverti la musique en y introduisant les sautes d'humeur]
Beethoven Quatuors Razoumovsky. En russe, razoum signifie raison, bon sens. Je ne sais pas si les détracteurs de ces partitions hardies, voire scandaleuses, ont ironisé à ce propos.
Stravinski. Renard et les Noces non seulement relèvent de la même esthétique, mais vont par moments jusqu'à se décalquer. D'où la cocasserie, dans le hiératisme des Noces, d'entendre (d'entrentendre) soudain les personnages burlesques de la cour de ferme.
Tchaïkovski, ce n'est pas ma tasse de thé (jeu de mots involontaire, sur le mot thé en russe, tchaï). Mais, dans le (très beau) mouvement lent du Concerto pour violon, un moment de dialogue violon-clarinette, magique. Association de timbres qu'on retrouve quelques instants au début d'une des Variations Rococo (que je n'aime pas du tout, mais alors, pas du tout !). Dans le concerto, tristesse infinie, morne steppe comme on en voit chez Tchékhov.
Concordances étonnantes entre des morceaux qui n'ont rien à voir. Un bout du concerto pour violon de Glazounov à peine modifié dans "Death car" d'Iggy Pop. Les mêmes notes, avec un effet radicalement différent, au début du dernier mouvement de la symphonie Jupiter, et au début d'une des sections de la Rhapsodie pour alto de Brahms (do ré fa mi). Et, le plus cocasse (je suis cruel de le dire car, ensuite, on ne peut plus ne pas l'entendre) : Ravel, Une barque sur l'océan qui (avec un phrasé autre, heureusement) nous donne les notes de "Mon truc en plumes"...
Les transcriptions d'œuvres classiques au marimba. À mon goût, qui pourtant est en général réticent aux transcriptions, ça marche souvent très bien. Ce n'est pas "fidèle", mais cela a la vertu éminente de dégraisser le son. J'y retrouve un peu de cet effet si bien décrit par Starobinski à propos du dessin : l'impression d'un monde soudain allégé. Des œuvres parfois libérées d'une orchestration un peu... excessive (Danses polovtsiennes). Sensation de soulagement.