Celui qui se sent la mission de promouvoir un idéal est à la fois très orgueilleux (car il est le seul à dire la Vérité essentielle), et très humble (car il n'est que le serviteur de cette Vérité). Il est inévitablement méprisant pour les autres (qui ne veulent pas se soumettre à la Vérité), et profondément soucieux de leur destin (puisqu'il se consacre à les sauver malgré eux).
D'où des ressemblances entre Léon Bloy et De Gaulle (le vociférateur de Dieu ; la voix de la France), surtout dans leur rapport exigeant (donc peu tendre) à autrui, à la foule. Quand on lui faisait l'aumône, Bloy disait : "Je ne vous remercie pas, je vous félicite" (je ne vous remercie pas de me rendre service ; je vous félicite de contribuer au salut de votre âme par l'aumône). De Gaulle aussi mettait bien de la distance entre la France et les Français, largement indignes de leur nom. Plus on se fait une haute idée de la France, plus on est tenté de trouver que les Français sont des veaux.
Cette disparité est consubstantielle aux idéalismes, qui sont inévitablement des pessimismes. Plus l'idéal est grand, plus le réel est déficient. Emma Bovary ressentait un abîme entre son idéal romanesque et sa vie prosaïque. Platon est le saint patron de ces amertumes : si on commence par fixer ce qui devrait être, les hommes déçoivent, car on ne voit que leur carence. Après la condamnation de Socrate, Platon a dû se dire que les Athéniens étaient des veaux.