Pour Baudelaire, le voyage exotique en bateau ne se passe pas trop bien ; son statut à bord est équivoque, un peu dérogatoire, il est seul de son espèce. Il en va de même de Bardamu.
Le bateau de Baudelaire s'appelle Alcide ; ce qui sera le prénom (étrange) du militaire de carrière au fin fond de l'Afrique de Céline.
Baudelaire tire de son voyage un célèbre Albatros qui montre les hommes vils prenant plaisir à faire souffrir un animal ; dans Voyage, Céline décrit les hommes cruels faisant souffrir un cochon.
Il y a de grandes différences entre les deux animaux : l'oiseau est beau, élégant, parfait, d'un ordre supérieur, ce qui n'est pas le cas du cochon. Mais la souffrance de ce dernier n'en apparaît que plus cruelle car il n'y a même pas pour lui une compensation transcendante ou esthétique : il est viande souffrante, victime du sadisme humain.
Si l'albatros est explicitement l'image du poète, il n'en va pas de même du cochon, qui est l'objet d'une compassion (non-explicitée) de la part du narrateur. Toutefois, à travers les années, ce narrateur se ressentira comme une bête pourchassée, destinée aux étripages extrêmes – de plus en plus détaillés à mesure qu'on passe d'un roman à l'autre.
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
"Je vois du monde tout le long de la rue Lepic, encore plus que d’habitude. Je monte donc aussi, pour voir. Au coin d’un boucher c’était la foule. Fallait s’écraser pour voir ce qui se passait, en cercle. Un cochon c’était, un gros, un énorme. Il geignait aussi lui, au milieu du cercle comme un homme qu’on dérange, mais alors énormément. Et puis, on arrêtait pas de lui faire des misères. Les gens lui tortillaient les oreilles histoire de l’entendre crier. Il se tordait et se retournait les pattes le cochon à force de vouloir s’enfuir à tirer sur sa corde, d’autres l’asticotaient et il hurlait encore plus fort à cause de la douleur. Et on riait davantage.
Il ne savait pas comment se cacher le gros cochon dans le si peu de paille qu’on lui avait laissée et qui s’envolait quand il grognait et soufflait dedans. Il ne savait pas comment échapper aux hommes. Il le comprenait. Il urinait en même temps autant qu’il pouvait, mais ça ne servait à rien non plus. Grogner, hurler non plus. Rien à faire. On rigolait. Le charcutier par-derrière dans sa boutique, échangeait des signes et des plaisanteries avec les clients et faisait des gestes avec un grand couteau.
Il était content lui aussi. Il avait acheté le cochon, et attaché pour la réclame. Au mariage de sa fille il ne s’amuserait pas davantage.
Il arrivait toujours plus de monde devant la boutique pour voir le cochon crouler dans ses gros plis roses après chaque effort pour s’enfuir. Ce n’était cependant pas encore assez. On fit grimper dessus un tout petit chien hargneux qu’on excitait à sauter et à le mordre à même dans la grosse chair dilatée. On s’amusait alors tellement qu’on ne pouvait plus avancer. Les agents sont venus pour disperser les groupes."