dimanche 16 mars 2025

Morand et l'exigence

Morand a dit clairement que nombre de ses publications étaient intéressées, qu'il aimait trop les belles voitures et les palaces, que Grasset lui donnait de trop gros chèques, et qu'il aurait mieux fait d'écrire des choses plus sérieuses, genre "Milady". Or ce texte se lit aisément de façon allégorique. Gardefort représente l'exigence extrême, l'art conçu comme un absolu ; alors que son acheteur est vulgaire, superficiel, et riche, et il gâche la sublime jument. Mais ce Belge (au nom probablement juif de Frumbach) c'est Morand tel qu'il a été, superficiel, vain. Gardefort est son idéal (il ressemble au Sainte-Colombe de Quignard), auquel il a failli, qu'il n'a cessé de trahir. Son Monsieur Teste. Sa mauvaise conscience. Morand tel qu'il aurait dû être. La nouvelle serait sa confession, son autocritique littéraire : Morand cavalier aurait été plus exigeant que Morand écrivain (écrivain vain). Il bat sa coulpe ; il confesse publiquement sa faute. 

Un cas très particulier donc : un autoportrait où l'auteur se peint en personnage secondaire, plat, ignorant des vraies valeurs, jouxtant l'exemple sublime, l'idéal du moi qu'il a presque toujours négligé pour des raisons basses. Morand, passablement antisémite, se peint en juif mondain. Le riche Belge est "l'homme superficiel", bien plus finement emblématique que L'Homme pressé, qui joue sur des ressorts assez simplistes. 

(Tout ceci me semble évident, et a dû être dit et redit, imprimé etc. Mais je sais que souvent, les choses les plus voyantes, comme la Lettre Volée, ne sont pas vues...) 


Monsieur Zéro, qui fait volume avec Milady : 

c'est bien fait, pas inintéressant mais bien moins bon que Milady. Noter que dans les deux cas, un homme est le personnage central, qui ne cesse de bouger dans Zéro, et qui au contraire tend à une sorte d'immobilité équestre dans Milady. Immobilité sous le mouvement apparent. Celui qui dispose du moyen de transport s'en sert pour ne pas bouger, pour ne pas voyager.