dimanche 6 juin 2010

Christina Rossetti + Mrs Parker (traduction M.P.)



Christina Rossetti

A Dirge

Why were you born when the snow was falling ?
You should have come to the cuckoo's calling,
Or when grapes are green in the cluster,
Or, at least, when lithe swallows muster
For their far off flying
From summer dying.

Why did you die when the lambs were cropping ?
You should have died at the apple's dropping,
When the grasshopper comes to trouble,
And the wheat-fields are sodden stubble,
And all winds go sighing
For sweet things dying.



Déploration

Pourquoi es-tu né quand la neige tombe
Au lieu de venir au chant des colombes ?
Ou lorsqu'en grappes les raisins verdissent,
Quand les hirondelles se réunissent,
Fuyant la chaleur
De l'été qui meurt.

Pourquoi mourir lorsque les agneaux broutent
Et non lorsque les pommes tombent toutes ?
Quand la sauterelle se voit troublée
Quand stagnent des flaques parmi les blés,
Quand tous les vents pleurent
Les choses qui meurent.


Marginalia : 

Dorothy Parker a écrit une nouvelle très drôle (ce n'est pas rare), "Little Hours", traduite "Heures blêmes", qui ouvre le recueil français "Comme une valse". 
C'est à la fois Dujardin, Molly Bloom et l'acide Dorothy : une femme se réveille en cours de nuit et n'arrive pas à se rendormir ; elle pense à La Rochefoucauld, qui finit par l'obséder et, finalement, au lieu de compter les moutons, elle tente de se rendormir en se souvenant de formules célèbres de la littérature de langue anglaise. Ce qui donne un "monologue intérieur" cocasse, agité, cubiste. Mais malcommode à rendre, car toutes les citations, approximatives, s'enchaînent plus ou moins, et ne sonnent pas du tout, pour un lecteur français, avec les harmoniques qu'elles ont pour l'anglophone cultivé. La traductrice française a repéré la plupart des références, certaines aisées, d'autres moins, et en a laissé quelques-unes sans indication de paternité. C'était avant Google, et ce genre de recherches était un enfer. Il est facile maintenant de savoir que  « Agatha's Arth is a hug-the-heart » est une citation de Edna St.Vincent Millay, contemporaine de Mrs Parker. 
On peut aussi noter que  « Why did you die when the lambs were cropping ? You should have died when the apples were dropping » est une citation modifiée du poème ci-dessus, moins rare.

Deux footnotes de plus, donc, outre les 13 qui chargent déjà les deux pages d'insomnie littéraire (pp. 14-15 de l'édition Julliard ; p. ? de la reprise en 10x18 ; pp. 268-269 de "The collected Dorothy Parker", Penguin).

Occasion aussi de rectifier : une des formules généralement attribuées à Mrs Parker (on ne prête qu'aux riches), le merveilleux aphorisme : "Si vous voulez savoir ce que Dieu pense de l'argent, vous n'avez qu'à regarder à qui Il en a donné", est en réalité de Maurice Baring, et elle ne fait que le citer dans ces ægri somnia

Digression : 

Dans la foulée, et par simple contiguïté (méthode anglo-saxonne, humienne) : une des nouvelles du recueil s'intitule : "L'héritage de Whistler" (je ne retrouve pas la VO dans le "Collected DP"). Une petite note explicative n'eût pas été de trop. Car la brève nouvelle est le dialogue parfaitement crétin d'un jeune homme et d'une jeune fille qui sont supposés être de brillants causeurs. L'intérêt de la nouvelle tient à cette totale absence d'esprit des interlocuteurs. Mais pour en goûter le sel, il convient de savoir que l'héritage en question n'est pas une fortune ou un tableau, mais plutôt la "reprise du flambeau" (mantle), la succession intellectuelle ("le mort saisit le vif"), et que Whistler n'y est pas mentionné comme peintre, mais comme causeur brillantissime, qui faisait avec Wilde un duo inégalable (du genre de celui composé par Benjamin Constant et Madame de Staël). Muni de ces sommaires informations, on savoure encore mieux la férocité de l'intention : voilà où en est tombé l'art de la conversation, en un demi-siècle, et en franchissant l'Atlantique. Gageons que Mrs Parker, qui maniait suprêmement un wit bien acéré, a dû souvent être confrontée à de prétendus "brillants causeurs", ou en tout cas considérés comme tels selon les normes américaines, et en concevoir de cet agacement qui est la tonalité principale, presque la marque de fabrique de DP.

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