Céline aime à donner à ses personnages des noms bizarres, et à ses (nombreuses) têtes de turcs, des sobriquets saugrenus, parfois énigmatiques. Souvent, ces dénominations sont énigmatiques. Dans un billet précédent, je faisais quelques remarques peu conclusives sur « Empième » utilisé comme sobriquet de Marcel Aymé.
Dans Rigodon, le narrateur rencontre une jeune femme :
« Le nom de cette demoiselle... Odile Pomaré... elle se présente bien mieux que nous, je veux dire les atours, robe, corsage, petit bonnet de fourrure, tour de cou, mais comme mine elle est sûrement pire... consomptive je dirais... cette petite rougeur aux pommettes... maigre et fiévreuse... décharnée... je fais pas de réflexion mais elle a l'air gravement malade... j'ai pas à demander, tout de suite elle toussote, pour moi sans doute, elle veut me montrer, dans son mouchoir... »
Cet étrange nom tahitien s’explique grâce à une simple visite à Wikipédia, § « Famille Pomaré » :
Le nom pō-mare signifie « tousse la nuit », de pō (la nuit) et mare (la toux). Selon William Bligh, Tarahoi Vairaatoa prit le nom de Pomare Ier en 1792 en hommage à sa fille aînée, morte de tuberculose.
Mais il est possible dans le contexte de la narration que ce choix soit aussi lié, voire suscité par le voisinage avec « Poméranie ».
Quand Céline écrivait Rigodon, son entrée dans la Pléiade commençait à prendre forme. Il évoque à ce propos des écrivains vivants qui sont déjà dans la prestigieuse collection, Malraux et Montherlant, avec des surnoms imagés qui, en partie, s’expliquent d’eux-mêmes. Malraux est « dur-de-mèche », en raison de sa coiffure particulière. Montherlant est « buste-à-pattes », en raison de son imaginaire romain de grand stoïcien.
Mais il y a je crois une autre strate de motivation - la même pour les deux auteurs.
« Dur-de-mèche » est vraisemblablement destiné à évoquer « casque à mèche », qui désigne le bonnet de nuit, par analogie ironique avec le « casque à crinière » des cuirassiers*. Cette allusion est destinée à jeter le soupçon sur la véracité des exploits guerriers de Malraux.
Quant à « buste-à-pattes », il évoquait à coup sûr, dans la génération de Céline, le sobriquet « triste-à-pattes » qui désignait le simple fantassin. Cette formule est donc elle aussi un rabaissement de la valeur militaire de Montherlant, dont Céline tend à mettre en doute les faits d’armes.
Donc, dans les deux cas, faux-dur, faux-héros, guerrier de fantaisie, à l’opposé du maréchal des logis Destouches, mutilé de guerre, invalide à 75%, croix de guerre avec étoile d’argent.
* notons en passant que F. Vitoux semble commettre une imprécision quand, dans sa biographie de Céline, il décrit Destouches en vrai cuirassier sérieux, avec « la matelassure, la cuirasse, le casque à mèche, le sabre. »