Céline reprenant Dabit : Petit-Louis (L'Imaginaire p.89-90) : l'engagement inattendu du personnage, trop jeune, trop maigrichon, se retrouve à la fin de Mort à crédit. Un peu plus loin, p. 95 : "puisque je m'engage, il me pardonne mes opinions anarchistes" : ici, c'est proche du tout début du Voyage où c'est l'anarchiste qui s'engage. Au passage : on retrouve ce thème de l'engagement paradoxal dans Guignol's band : Cascade raconte comment tous les macs français qui étaient venus à Londres pour échapper à la guerre mettent à s'engager une fureur étonnante ; ils ont "mangé du clairon" ; formule qui peut évoquer Nerval ("J'ai mangé du tambour et bu de la cymbale"), mais qui pour Céline n'évoque peut-être que des formules du genre "avoir mangé du lion"...
Céline : Voyage, épisode américain, Bardamu loge à l'hôtel bizarrement nommé "Laugh Calvin" ("Le Calvin rieur" ?). Allusion au protestantisme des USA ? probablement ; mais pourquoi "Laugh" ? Hypothèse : nom formé à partir du nom assez courant aux USA "Laughlin", dont le début est le mot même de "rire", en modifiant la suite pour en faire une sorte d'oxymore ? Pure hypothèse.
Solidarité du fond et de la forme chez Céline : dislocation et dislocution.
Sonorité : Féerie 1 : ”c’est des hontes qui comptent !”
Les innombrables disparitions finales, évanescences, évaporations, pâlissements, fading out. L'une d'elles dans la bouche de Harras, dans Nord : "Vous voyez cette plaine, ce ciel, cette route, ces gens ?… tout ça triste, n'est‑ce pas ?… russe !… triste !… jusqu'à l'Oural !… et après !". Selon le narrateur, quelques lignes plus tôt, ce sont des "plaines qu'ont pas de raison de finir". Équivalents géographiques de ce que sont les 'trois points' dans l'écriture. Rappel : Mort à crédit : "Plus loin que la route, c’est les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne... plus loin encore c’est les pays inconnus... la Chine... Et puis rien du tout." Et la fin des fins – du monde et de l'œuvre : "... ces profondeur pétillantes que plus rien existe..."
Voyage : "Gustave Mandamour, qu’il s’appelait, du Cantal". Le patronyme qui existe est "Madamour" ; Céline le modifie pour évoquer peut-être le ro-Mandamour qui finit mal, que le gendarme qualifie lui-même, pompeusement, de "drame d'amour".
Beauté de cette phrase de Céline, parfaitement représentative de son style outrancier, provocateur, et en inflation permanente, jusqu'à l'invraisemblable : dans D'un Château l'autre, la logeuse à la ménopause ardente, au corps assez bien conservé, mais au visage très détérioré : "Mais pour le minois, pardon !... du Rochechouart et « dessous de métro »... la bouche pulpeuse-avaleuse, encore peut-être pire que Loukoum!... la bouche à avaler le trottoir, l’édicule et tous les clients, et leurs organes et les croûtons !..."
Le lecteur ne peut pas ne pas associer les mots juxtaposés "métro" et "bouche", et avoir une évocation vague mais évocatrice, d'une "bouche de métro", dont les dimensions fantastiques ouvrent la voie à l'inflation qui suit ; inflation qui s'accomplit sur deux octosyllabes, car il serait céliniennement malséant de faire la liaison 'organes z et'). Et même, on pourrait faire une élision populaire, qui produirait 3 octosyllabes (à accents variés) :
la bouche à avaler l'trottoir,
l’édicule et tous les clients,
et leurs organ' et les croûtons !..."
Écriture "phénoménologique" : on fait éprouver, puis on explique (comme dans la vie, on comprend à retardement). Chez Céline : une parole est prononcée, sans indication, suivie de l'indication du locuteur, parfois nécessaire, parfois superflue, sur le modèle :
- On y va... ?
... c'est moi qui demande...
Pendant une fraction de seconde, on a flotté, cherché, selon la logique de la situation (pas toujours logique, comme dans la vie). Façon très 'impolie' de présenter le dialogue.
Cf. Féerie 1 :
"– Je suis Louis XV ! Je suis Louis XV maraud !
Comme ça qu'il m'apostrophe d'en l'air !"
De même, Céline indique le mot étranger (allemand, dans la trilogie), puis le traduit. Toujours les perceptions en premier, et les explications ensuite.
À plusieurs niveaux, Céline pousse à l'extrême la tendance du roman depuis le milieu du XIX° siècle à affirmer la sensation brute, élucidée ensuite. (Proust, le style "Dostoïevski" de Mme de Sévigné, l'adjectif antéposé des Goncourt, etc.).