mercredi 5 juin 2024

Normale

France-Culture (2010). Une universitaire, jeune, que je sens tout de suite Normalienne. Assez intéressante, pas frime, pas de vocabulaire outrancièrement "mode", mais un petit quelque chose que je sens ; un certain tempo dans la diction, un peu rapide, une tension dans le débit. Chez les Normaliennes "habituelles", c'est souvent agaçant, excessif, narcissique, ridicule, prétentieux. Mais ici, j'en perçois mieux l'essence, justement parce que c'est plus discret, limité, modéré. Ce ton juste un peu tendu, juste un peu rapide, est tout de même, malgré sa relative discrétion, destiné à faire sentir : "voyez comme je suis à l'aise, comme je maîtrise mon sujet, comme je ne cherche pas mes mots ni mes idées". C'est tout à l'opposé de : "je maîtrise mon sujet, et donc j'en parle de façon souple pour permettre à mon auditeur de les saisir au mieux". Non, je veux prioritairement qu'on soit saisi par ma maîtrise. Voyez comme ma machine intellectuelle tourne bien ! Pas de crachotis dans la carburation. Affirmation de soi assez agaçante ; promo personnelle sous couvert de parler de ceci ou de cela. Impression que l'on veut sans cesse non pas "prouver" quelque chose, mais "imposer", "s'imposer" (avec gros sabots ou fines chaussures). Impression d'une posture, comme qui passe un concours, et doit impressionner le jury en donnant des signes (pas trop ostentatoires) de maîtrise. 

Effet d'époque ? Aron, premier d'agrégation, grand Normalien s'il en fut, avait une diction toute contraire : souple, simple, laissant à l'auditeur le temps de respirer intellectuellement, et ne cherchant surtout pas à se faire mousser, à se mettre au premier plan ; tendance presque excessive à s'effacer devant l'objet dont il parle. Le style écrit d'Alquié : le prof est un pur tuyau transmetteur, qui ne doit rien mettre de son moi. 

Amiel rejetait avec justesse la rhétorique (rhétorique affective à l'époque, d'autre nature par la suite) de certains profs – rhétorique dont il était notoirement incapable, mais qu'il avait raison de fustiger.