Beethoven trouve un monde musical valorisant l’unité, la continuité, la souplesse des transitions (sauf le Sturm und Drang). Il commence par reprendre, à travers Haydn et Mozart, cette esthétique ‘classique’. Puis il passe à des discontinuités inspirées du Sturm und Drang, fondées sur les passions et leurs changements abrupts : volonté, combat, héroïsme, etc. Puis il libère la discontinuité, les ruptures, de cette motivation psychologique, les épure et les élève au statut d’innovations formelles, qui n’ont plus de signification affective. Il a pris appui sur une innovation suggérée par le non-esthétique des passions qui auront été le fourrier, la gangue provisoire, le prétexte de la musique nouvelle, intrinsèquement hardie, qui n’est donc plus romantique, mais moderne, anonyme, pure.
Il semble bien qu’il y ait un schéma commun aux grandes évolutions : on a eu tendance à porter l’attention sur l’aspect héroïque de Beethoven, qui n’est esthétiquement que transitoire, de même que n’est au fond que transitoire, dans l’histoire comtienne de l’esprit, l’étape intermédiaire ‘métaphysique’ entre le point de départ ‘théologique’ et le point d’arrivée ‘positif’.
Cette tripartition beethovénienne, qui est en elle-même un parcours (héroïque et sacrificiel) du classicisme à la modernité, cette double révolution, trouverait un analogue littéraire chez Baudelaire, qui est profondément classique (‘racinien’ selon Proust), mais aussi romantique (L’Albatros), et surtout moderne, impersonnel, émacié (Pluviôse) : le moi s’efface devant le langage et rend possible l’entreprise mallarméenne : « L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poëte, qui cède l’initiative aux mots ».