vendredi 9 octobre 2020

Michel-Ange : Quatrain (traduction M.P.)

 

Plus que dormir, être pierre m'est doux,

Durant le temps d'injure et déshonneur ;

Ni voir ni ressentir m'est grand bonheur ;

Parle tout bas, ne m'éveille surtout.



Caro m'è'l sono, e più l'esser di sasso,

Mentre che'l danno e la vergogna dura ;

Non veder, non sentir m'è gran ventura ;

Però non mi destar, deh, parla basso.



jeudi 8 octobre 2020

Savoir et percevoir : Descartes et Berkeley


Descartes (Règle XIV) dit que ce que l’on considérait comme une ‘chose’ peut (et doit, pour le développement de la science) être considéré non comme un donné opaque de l’intuition mais comme une multiplicité de mesures possibles (de ‘dimensions’) : un bouquet de paramètres. L’unité de la res se dissout en une multiplicité de paramètres, de quantités auxquelles se réduisent les qualités perçues. 

De façon opposée et similaire, Berkeley considère que la chose, sans matière qui l’unifie, n’est que l’association d’un certain nombre de données sensibles (couleur, odeur, etc). 

La vision cartésienne mène au monde de la science, de l’industrie, de l’efficacité. La vision berkeleyenne ouvre la voie à une pensée de la sensation, des sensations, donc de l’art qui se destine à rendre l’expérience sensible, vécue, qualitative.

La science et la technique exigent l’éclatement de la chose en une multiplicité de nombres. 

L’art, sigulièrement la littérature, tend à montrer de façon isolée (non justifiée par une explication causale) notre expérience subjective et qualitative. Il insiste donc sur l’intuition non-rationnelle, non-rationalisée. C'est la phénoménologie : les choses telles qu’on les voit, avec la possibilité de les éparpiller en ce que Bernard Vouilloux appelle excellement une « volatilisation des aspects. »



mercredi 7 octobre 2020

Leopardi : 'À la lune' [traduction M.P.]


À la lune


O gracieuse lune, je me souviens,

À présent que verse l'année, que sur ce même coteau

Je venais plein d'angoisse te contempler ;

Et que tu étais alors suspendue au-dessus de cette forêt

Comme à présent, et que tu l'éclairais toute.

Mais brumeux et tremblant du pleur

Qui sourdait de mon cil, à mes regards

Apparaissait ton visage, car peineuse

Etait ma vie ; et elle n'a pas changé,

O ma lune bien aimée. Et cependant me réjouit

Le souvenir et l'évocation des âges

De ma douleur. Oh comme elle advient agréablement,

Dans le temps juvénile, quand encore longue 

Est l'espérance, et brève la carrière de la mémoire,

La remémoration des choses passées,

Même tristes, et que dure le souci !



Alla Luna [1819]


O graziosa luna, io mi rammento

Che, or volge l'anno, sovra questo colle

Io venia pien d'angoscia a rimirarti : 

E tu pendevi allor su quella selva

Siccome or fai, che tutta la rischiari.

Ma nebuloso e tremulo dal pianto

Che mi sorgea sul ciglio, alle mie luci

Il tuo volto apparia, che travagliosa

Era mia vita ; ed è, nè cangia stile,

O mia diletta luna. E pur mi giova

La ricordanza, e il noverar l'etate

Del mio dolore. Oh come grato occorre

Nel tempo giovanil, quando ancor lungo

La speme e breve ha la memoria il corso,

Il rimembrar delle passate cose,

Ancor che triste, e che l'affanno duri !


mardi 6 octobre 2020

Mandelstam : Quatrain (traduction M.P.)

 

Après m'avoir privé des airs, du vol, des mers,

Après avoir fixé au sol mon pied contraint,

Voyez l'effet brillant de vos calculs pervers :

Ma lèvre bouge et flotte et vole et va son train. 


Лишив меня морей, разбега и разлета 

И дав стопе упор насильственной земли, 

Чего добились вы? Блестящего расчета : 

Губ шевелящихся отнять вы не могли.



lundi 5 octobre 2020

Akhmatova : 'Muse' (3 traductions M.P.)


1.

Quelle vie ! sous ce poids je m'use.

En plus, on l'appelle "la Muse" !

On dit : "Sur le pré, au matin ..."

On dit : "Chuchotement des dieux..."

La fièvre ne secoue pas mieux ;

Et puis, toute l'année, tintin !


2.

Sous ce fardeau mon être s'use.

En plus, on l'appelle "la Muse" !

On dit : "Dans les prés avec vous..."

On dit : "Chuchotement divin..."

Plus que la fièvre elle secoue,

Et puis, toute une année, plus rien !


3.

Sous ce fardeau mon être s'use.

En plus, on l'appelle "la Muse" !

On dit : "Dans les prés, doux ébats..."

On dit : "Chuchotement divin..."

Comme une fièvre elle survient

Et puis, toute l'année, baba !


А.А.АХМАТОВА

МУЗА

Как и жить мне с этой обузой, 

А еще называют музой, 

Говорят: "Ты с ней иа лугу..." 

Говорят: "Божественный лепет..." 

Жестче, чем лихорадка, оттреплет 

И опять весь год ни гу-гу.



dimanche 4 octobre 2020

Pouchkine : 'Il est temps...' (traduction M.P.)

 

Il est temps, mon ami, le cœur veut une trêve -
Les jours suivent les jours et chaque heure prélève
Une dîme sur l'être. En nous deux le désir
de vivre se poursuit. Et nous devons mourir.

Seul bonheur sur la terre : un calme et libre essor.
Depuis longtemps en moi se rêve un autre sort -
Esclave fatigué, j'aspire à m'échapper
Vers un havre lointain de travail et de paix.

Пора, мой друг, пора! покоя сердце просит —
Летят за днями дни, и каждый час уносит
Частичку бытия, а мы с тобой вдвоем
Предполагаем жить, и глядь — как раз умрем.

На свете счастья нет, но есть покой и воля.
Давно завидная мечтается мне доля —
Давно, усталый раб, замыслил я побег
В обитель дальную трудов и чистых нег.