mercredi 18 décembre 2019

Queneau par G. Prince


En 1971, Gerald Prince, qui allait devenir un poids lourd des études littéraires, publiait un article intitulé Queneau et l’anti-roman. Il y donnait une présentation à mon avis très juste, efficace et utile de l’attitude de Queneau à l’égard du roman. Queneau en effet inverse souvent les principes habituels du roman (d’où le titre de l’article) : en particulier en remplaçant le temps linéaire par un temps cyclique et en voyant le roman selon des critères habituellement appliqués au poème. 

Le début de l'article est consultable à cette adresse (où l'ensemble des 8 pages est accessible moyennant la modique somme de 42 euros) :

Le passage suivant me semble particulièrement pertinent (avec un pastiche transparent de Flaubert) : 
« Les procédés employés par Queneau qui font de ses romans des anti-romans servent à leur donner la qualité d'un poème, c'est-à-dire d'une création autonome, qui se tiendrait d'elle-même par la force et la rigueur de son organisation, sans besoin d'attaches extérieures*. C'est ainsi que le cercle, forme harmonieuse entre toutes et parfaitement fermée sur elle-même, peut plus qu'aucune autre forme accentuer le bouclage d'une œuvre, sa complétude, sa distance par rapport à tout élément qui lui serait extérieur. De plus, les symétries, les pendants, les points homologues nés de la structure circulaire augmentent la rigueur de l’œuvre romanesque et lui confèrent une profonde unité. Du début jusqu’à la fin, des échanges s'opèrent, des harmonies se forment, des correspondances innombrables s’établissent entre thèmes, situations et personnages. Le roman est alors construit avec un soin si méticuleux qu'on ne peut rien y ajouter ou en retrancher sans en détruire l’équilibre, de même qu'on ne peut ajouter ou retrancher une syllabe d’un sonnet sans en détruire l'harmonie. D'ailleurs, les constructions symétriques, conséquences du cercle, rapprochent l’œuvre romanesque de la poésie en venant aussi jouer le rôle de rimes à l’intérieur du roman. »

*Flaubert, 1842 : « Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air […]»