vendredi 24 mars 2023

Pensées recueillies çà et là (24)


Montaigne : 

"Nul plaisir n'a saveur pour moy sans communication : il ne me vient pas seulement une gaillarde pensée en l'âme, qu'il ne me fâche de l'avoir produicte seul, et n'ayant à qui l'offrir."


Renard :

"Aujourd'hui on ne sait plus parler, parce qu'on ne sait plus écouter. Rien ne sert de parler bien : il faut parler vite, afin d'arriver avant la réponse, on n'arrive jamais. On peut dire n'importe quoi n'importe comment : c'est toujours coupé. La conversation est un jeu de sécateur, où chacun taille la voix du voisin aussitôt qu'elle pousse."

Journal 29 janvier 1893


Rousseau :

"Ce n’est point par des plaisirs entassés qu’on est heureux, mais par un état permanent qui n’est point composé d’actes distincts."

Lettre à Mme de Berthier


Valéry : 

"La plus grande partie du corps ne parle que pour souffrir. Tout organe qui se fait connaître est déjà suspect de désordre. Silence bienheureux des machines qui marchent bien."


Perret (Auguste) :

"L'architecture, c'est ce qui fait les belles ruines."


Saint-Amant : 

"Que j'aime à voir la décadence 

De ces vieux châteaux ruinés, 

Contre qui les ans mutinés 

Ont déployé leur insolence !"

Solitude


Benda : 

"La Bruyère est le père de nos impressionnistes, de nos stendhaliens, de nos nietzschéens, de nos gidiens, de tous nos miliciens de l'écriture sporadique, de tous nos officiants du penser pulsatile."


Romains : 

"Plus on a envie de croire à une chose, moins on doit se hâter de l'admettre."


Drieu : 

"La France était battue. Je me détournai de la France, j'ai horreur des vaincus. J'adorai les Allemands qui m'arivaient dans le dos."

La Comédie de Charleroi p. 87


Shklovsky :

"Art exists to make the stone stony"


Giono :

"La culture et l'intelligence sont des défauts et des faiblesses dans les grandes occasions."

Le Moulin de Pologne


Chesterton :

"L'image pygmée de Dieu, nous l'appelons homme. L'image pygmée de la création, nous l'appelons art."


Fromentin :

"Adorons les habitudes ; ce n'est pas autre chose que la conscience de notre être déployée derrière nous dans le sens de l'espace et de la durée."


Proust :

"Ce que nous faisons, c’est remonter à la vie, c’est briser de toutes nos forces la glace de l’habitude et du raisonnement qui se prend immédiatement sur la réalité et fait que nous ne la voyons jamais, c’est retrouver la mer libre."


Flaubert : 

"Tout ce que je trouve de christianisme dans les révolutionnaires m'épouvante."

à G. Sand 05 juillet 1868


Musil : 

"Il est pénible de nous représenter courant comme des particules aux abois le long de la ligne de notre vie pour finir dans un trou imprévu. Et devant et derrière nous, courant aussi à des intervalles que rien ne peut réduire, d'autres particules analogues qui se joignent passagèrement à nous, comme les grains suivants d'un chapelet fou."

Journaux I, 138


Valéry : 

"Cherche un mot (dit le poète) un mot qui soit :  

féminin,  

de deux syllabes,  

contenant P ou F, 

terminé par une muette,

et synonyme de brisure, désagrégation ;

et pas savant, pas rare.  

6 conditions - au moins !"


Whitman : 

"One, yet of contradictions made"


Chesterton : 

"Ce n'est que lorsque la mort et l'étenité sont intensément présentes que les êtres humains ont pleine conscience de leur communauté"


Bataille : 

"[L'animal] vit dans l’immanence, comme l’eau dans de l’eau, un morceau de milieu, une immédiateté qui ne peut pas se remettre à plus tard."


Chesterton :

"Vous autres jeunes révolutionnaires, vous vous croyez très libéraux et très universels, mais en réalité vous êtes étroits et nationalistes sans le savoir. Nous autres vieilles barbes, nous savons que nos goûts sont bornés et nationaux ; mais nous svons aussi que ce ne sont que des goûts." 

Arbalète p. 121


Murdoch :

"Love is the perception of individuals. Love is the extremely difficult realization that something other than oneself is real. Love, and so art and morals, is the discovery of reality. ” 


Murdoch :

“Human arrangements are nothing but loose ends and hazy reckoning, whatever art may otherwise pretend in order to console us.”


Aymé : 

"Pour bien voir les choses et les gens, à commencer par soi-même, il faut les regarder avec colère."

Le Chemin des écoliers


Musil : 

"L'imprécision possède un pouvoir d'agrandissement et d'ennoblissement."

HSQ 1-198



mardi 21 mars 2023

Pensées recueillies çà et là (23)


Augustin :

"Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même et plus élevé que les cimes de moi-même" 

(Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo) 

Confessions 3, 6, 11 


Giono : 

"La foudre lui planta un arbre d'or dans les épaules"

Que ma joie demeure


Calet :

"...un café du XIVe arrondissement : Le Boléro, dont le propriétaire s’appelle Ravel. Il ne faut pas mécontenter le client, c’est une des règles de la corporation."

Monsieur Paul


Renard : 

 "Aux Indes Néerlandaises, nous voyons de petites sculptures puériles pour lesquelles Rodin a une grande admiration. Guitry les admire, à côté de mon silence. Je crois que, si elles n'avaient pas presque toutes le nez cassé..."

Journal du 9 juillet 1900


Romains : 

"Dans toutes les civilsations, la décadence commence le jour où les gens se moquent de la différence entre une colonne corinthienne et une colonne à peu près corinthienne, entre un mot et son quasi-synonyme, entre un accord musical et le même affecté d'un bémol."


Joyce : 

"Classicism is not the manner of any fixed age or of any fixed country ; it is a constant state of the artistic mind. It is a temper of security and satisfaction and patience."


Caillois  : 

"Il n'y a pas d'efforts inutiles, Sisyphe se faisait les muscles."


Romains : 

"On cesse de croire [...] que la limite soit indispensable aux êtres... Seuls les individus à ancêtres ont des contours affirmatifs, une peau qui les fait rompre avec l'infini."

 Puissances de Paris p. 124


Romains :  

"Les hommes ont mangé ; leur chair apaise ses conflits pour profiter du sang qui passe."

Puissances de Paris p. 57


Clémenceau :

"On reconnaît qu'une phrase est de lui [Jaurès] à ce que tous les verbes sont au futur"



lundi 20 mars 2023

Quelques remarques d'onomastique célinienne :


   Dans Féerie, Céline parle favorablement de M. Aymé sous le nom de "Empième", qui signifie – je m'en suis étonné – une sorte d'abcès. 

    Cf. TLFi : empième  : Accumulation de pus dans une cavité du corps. Les sinus de la face, sièges d'empyèmes souvent fétides. Spéc. Accumulation de pus dans la plèvre. Synon. pleurésie purulente. Le pus s'épanche dans la cavité de la poitrine et produit un empyème

    Or, en 1943, Aymé a publié une nouvelle (La Carte), qui est présentée comme un extrait du "Journal de Jules Flegmon". Peut-être est-ce là le motif de la renomination de Marcel Aymé par Céline. Mais dans ce texte, Aymé parle de Céline d'une façon qui a suscité son ire, à savoir en le montrant comme un antisémite obsessionnel. "Céline était dans un jour sombre. Il disait que c’était encore une manœuvre des Juifs". Or Céline a pesté contre Aymé, en partie responsable selon lui des poursuites qu'il a subies. Donc, si le pseudonyme "Empième" est sémantiquement justifié, il est politiquement non-pertinent. 


    Dans sa légende de Krogold on trouve la ville de Christianie ; or Christiania est quartier de Copenhague (maintenant célèbre pour ses hippies). Céline en parle-t-il ? a-t-il résidé dans ce secteur ? a-t-il noté la coïncidence ? (Christiania est aussi l'ancien nom d'Oslo).


    Le pseudonyme, "Céline" : sonorité légère, aérienne. L'origine en est romaine : Celinia, "vouée au ciel". Sainte Céline a été la mère de saint Rémi, Rémois, comme on sait – Reims, où l'œuvre de Céline et l'univers entiers se terminent et se dissolvent... Madame Manceau, maîtresse de pension, a publié en 1839 un Céline ou l'influence d'un beau caractère, très conforme à l'étymologie :

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    Le Professeur Y devient tout à coup le "Colonel Réséda". Le réséda était censé faire disparaître les abcès (les empièmes ?) et les inflammations, et en l'appliquant, on prononçait la formule : Reseda morbos reseda. Une belle fleur donc, mais associée à la maladie, à la médecine ; une fleur morbide. Céline veut-il faire allusion à Aragon (La rose et le réséda) ? En tout cas, cela fait bien contraste avec "Colonel". 

    Dans Casse-pipe le mot de passe militaire n'est pas un nom de bataille, mais un nom de fleur, qui se trouve être le prénom de la mère de Céline : Marguerite.  

   Dans le Voyage, le général Des Entrayes, comme bien des généraux, aime les roses (qui font avec son nom un beau contraste) : "Il aimait les beaux jardins et les rosiers, il n’en ratait pas une, de roseraie, partout où nous passions. Personne comme les généraux pour aimer les rosiers. C’est connu."

    Il y a une profusion de fleurs dans le texte des Entretiens ; surtout un hortensia en pot ; est-ce une allusion au surnom que Céline donnait à l'ambassadeur Guy de Girard de Charbonnière ? 



mardi 14 mars 2023

Pensées recueillies çà et là (22)


[typo ingérable...]


Judrin : 

La précision des équivoques est l'un des charmes du style.


Claudel :

"Je pense toujours plusieurs choses à la fois". 


Céline :

"Tout est un trou."


Green :

"[…] la famille est comme un seul individu qui vit des centaines d’années."


Gide : 

"Les préjugés sont les pilotis de la civilisation."

Les Faux-Monnayeurs


Ramuz :

"Les choses ne sont belles que dans le souvenir ou dans l'imagination". 

Journal


McCullers :

".. ce rare niveau de conscience où les mystiques sentent que la terre est eux et qu'ils sont la terre".

Reflets dans un œil d'or


Diderot : 

"Le modèle le plus beau, le plus parfait d'un homme ou d'une femme serait un homme ou une femme qui serait supérieurement propre à toutes les fonctions de la vie, et qui serait parvenu à l’âge du plus entier développement, sans en avoir exercé aucune."

Salon de 1767


Valéry : 

"Il emprunte une sorte de nouveauté de ce fait qu'il est à jamais disparu."


Romains : 

"Les ébauches révèlent la souplesse des forces. Les contours inachevés et instables n'étouffent encore aucune des tendances" 


Ramuz : 

"On ne dit rien qui ne soit fait d'abord, et […] dire c'est seulement parachever l'oeuvre."

Besoin de grandeur


Montherlant : 

"Que le mal vienne ou non, l'angoisse est venue, et le sillon qu'elle a creusé ne se comble jamais"


Jünger :

"Nous sommes incapables de goûter le repos comme notre chat. "


Calvino : 

"Un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire".


Simenon : 

"Marie était fraîche, dodue, comme la plupart des femmes qui vivent dans une boucherie, il l’avait souvent constaté mais il ne savait pas pourquoi."


Tchekhov : 

"Pas une question n’est tranchée ni dans Anna Karénine ni dans Onéguine, mais ces œuvres nous donnent entière satisfaction car toutes les questions y sont bien posées, voilà tout."


Tchekhov : 

"J’ai en tête toute une armée de gens qui demandent à sortir et attendent les ordres."


Hrabal :

"Ceux qui sont amis des animaux sont amis gratis avec dieu, et ils branchent et relient d'un seul coup le plus bas avec le plus haut.

Tendre barbare


Marivaux :

"Je pense, pour moi, qu'il n'y a que le sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous, et qu'il ne faut pas trop se fier à celles que notre esprit veut faire à sa guise, car je le crois un grand visionnaire."

Vie de Marianne