dimanche 5 juin 2022

Notules (23) Philosophie


Un soupçon de philosophie du soupçon chez Molière... : 

Sganarelle : Tous ces conseils sont admirables assurément, mais je les tiens un peu intéressés, et trouve que vous me conseillez fort bien pour vous. Vous êtes orfèvre, Monsieur Josse, et votre conseil sent son homme qui a envie de se défaire de sa marchandise. Vous vendez des tapisseries, Monsieur Guillaume, et vous avez la mine d’avoir quelque tenture qui vous incommode. Celui que vous aimez, ma voisine, a, dit-on, quelque inclination pour ma fille ; et vous ne seriez pas fâchée de la voir la femme d’un autre. Et quant à vous, ma chère nièce, ce n’est pas mon dessein, comme on sait, de marier ma fille avec qui que ce soit, et j’ai mes raisons pour cela ; mais le conseil que vous me donnez de la faire religieuse est d’une femme qui pourrait bien souhaiter charitablement d’être mon héritière universelle. Ainsi, Messieurs et Mesdames, quoique tous vos conseils soient les meilleurs du monde, vous trouverez bon, s’il vous plaît, que je n’en suive aucun.

Dans la situation de cette comédie, le "soupçon" de Sganarelle est parfaitement justifié. 

Mais, chez les promoteurs de la "philosophie du soupçon", le mot même de "philosophie" est hautement inapproprié. Si les pensées, en apparence objectives, ne sont que l'expression d'intérêts subjectifs, il devient inutile de réfléchir, de raisonner, donc de philosopher. Il faudrait dire "anti-philosophie du soupçon". Autrui n'est pas un semblable avec qui on argumente, mais un adversaire à discréditer (en oubliant qu'on est soi-même soumis aux injonctions de nos intérêts subjectifs). Les théologiens, les confesseurs, avaient très bien utilisé cette méthode pour dénicher le Diable déguisé en pieuses pensées et bonnes actions... 



Le wokisme ressemble à une crise d'allergie : soudain, on réagit à une poussière comme si c'était une bombe ; à un moustique comme si c'était un rhinocéros. Mais, à la différence de l'allergique ordinaire, le wokiste se considère comme détenteur de la norme sacrée du Bien, et exige que le monde entier vive à son diapason. Cet être souvent jeune se comporte comme un tyran domestique moliéresque qui règle la vie de toute la maisonnée sur son obsession. Proust, à sa façon, était un peu ainsi, un peu snowflake, avec son asthme et ses manies. Mais, d'une part, seuls ceux qui lui rendaient visite étaient soumis à ses lubies ; et d'autre part il avait les moyens, pour y satisfaire, de salarier confortablement quelques employés à l'égard desquels il était, comme par compensation, d'une grande courtoisie. Ce qui se profile au contraire, c'est une société composée de millions de Prousts dictatoriaux et insolents. 



Platon critique l'imitation en ce que, entre autres griefs, elle détruit l'unité essentielle de l'imitateur (on peut songer à l'habit d'Arlequin). De même, Boulgakov dans Le Maître et Marguerite chap. 15  « il continuait à se repentir et acheva d’embrouiller Nikanor Ivanovitch parce que, soudain, il se mit à s’adresser à quelqu’un qui n’était pas sur scène, et, parlant pour cet absent, il se répondait à lui-même, et, ce faisant, il s’appelait tantôt « souverain », tantôt « baron », tantôt « père », tantôt « fils » et se disait tantôt « vous » et tantôt « tu  »



Le paradoxe de Tocqueville chez Sébastien Mercier :

"C'est dans les villes réglées par de bonnes lois que l'on entend ordinairement le plus de plaintes. La raison en est simple. Les plus petits maux, qui sont inséparables des grands biens que produisent les lois, sautent  aux yeux par le contaste et font grand bruit. "



Mariage 1 : 

Les théologiens et philosophes prennent la précaution de dire que le monde créé ne dure que par une réédition permanente de l'acte créateur (doctrine de la "création continuée"). De même pour le mariage, qui se fait en un instant, mais ne dure que par des "répousailles continuées". 

Mariage 2 :

Balzac (Autre portrait de femme) :  "Rien ne prouve mieux la nécessité d’un mariage indissoluble que l’instabilité de la passion. Les deux sexes doivent être enchaînés comme des bêtes féroces qu’ils sont, dans des lois fatales sourdes et muettes".  

Chesterton : “Le but du mariage est précisément de se battre pour survivre à l'instant où l'incompatibilité l'emporte. Car homme et femme en tant que tels sont incompatibles.”