vendredi 25 février 2022

Notules (17) : musique



"Concerto", de "concertare", veut dire à la fois, et de façon vaguement dialectique, "se concerter" et "s'opposer". Cette équivoque étymologique est assez analogue à celle du verbe "disputer" : se disputer (= s'opposer), et mener une 'dispute', une 'disputatio', une "discussion", faite d'opposition sur fond de courtoisie.



Il n'est pas rare que les instrumentistes dédicataires apprécient peu les merveilles qu'on a composées pour eux. Parmi les exemples les plus classiques : 

Kreutzer n'a pas voulu jouer la sonate ("inintelligible", unverständlich) qui porte néanmoins son nom. Paul Wittgenstein a trahi le concerto pour la main gauche de Ravel. Rubinstein a très peu goûté et presque jamais joué la Fantaisie bétique de Falla. Paganini a trouvé que le Harold de Berlioz ne mettait pas sa virtuosité en valeur. Les rapports de Joachim au concerto de Brahms sont plus complexes, et font intervenir des critères extra-musicaux. 

Souvent, ces virtuoses voient le côté technique de l'œuvre : trop facile, ou trop difficile (injouable). Du point de vue esthétique, ils ne sont pas forcément conscients de l'apport de ces œuvres nouvelles, qu'ils ne savent pas goûter. Le temps que passe un virtuose à travailler son instrument et à donner des concerts, c'est autant de perdu pour la vraie écoute et méditation musicale.



Je n'aime pas beaucoup le triple concerto de Beethoven, non que ce soit un œuvre sans qualités, mais parce que j'ai l'impression d'y trouver ce que Beethoven aurait pu écrire s'il n'avait pas été Beethoven.



Haydn : Quatuor en Sol maj. op. 33 n°. 5, Hob. III:41. Fluidité, jeunesse, allégresse, danse, course aérienne, pas de poids. Un rêve de facilité. 



Dilution 1. Jazz, tango, chanson, musique de film... Ce n'est pas ma tasse de thé, mais je n'ai rien contre - j'apprécie même quelquefois (jazz). En revanche, j'ai quelque chose contre lorsque ces genres sont utilisés pour noyauter, miner, remplacer, évincer la musique sérieuse et les propos sérieux (ceux-là, il y a longtemps qu'ils sont enfuis). C'est bien évident, dans de nombreux domaines, que le "en plus" signifie finalement "au lieu de". 

Dilution 2. "Le projet artistique et culturel d’Olivier Mantei pour la Cité de la Musique-Philharmonie de Paris vise à faire de l’établissement un lieu de vie, accessible et exemplaire en termes d’inclusion et d’ancrage territorial." Autrement dit, la musique n'est pas dans le projet ; elle est seulement dans l'intitulé, comme couverture, comme prétexte à une action sociale au vocabulaire moralisant on ne peut plus "tendance". 



 Cherubini a écrit une "Marche pour le retour du préfet du département de l’Eure-et-Loir"



Stravinsky, le "Sacre". Problème de titre. Stravinsky était très international ; avait-il fait un choix explicite du titre et de ses éventuelles traductions ? Le ballet a été créé à Paris, sous le titre "Sacre", qui est devenu la forme canonique. En anglais, "Rite", qui est plus proche du sens d'ensemble de l'œuvre. C’est une musique cruelle, rendant un rituel moins ‘archaïque’ que barbare. Le titre français fait trop penser à un couronnement, un triomphe du printemps, un Botticelli mis aux couleurs des lointaines steppes – alors que c’est très ouvertement la mise à mort propitiatoire d’une jeune fille. Il faudrait donc dire "sacrifice". En espagnol : "consagración". Italien : "sagra". Allemand : "Weihe" (consécration). Le russe semble (?) dire "sacre". Tout s'érode : la musique de Stravinski est devenue "normale", et même "classique". Le meurtre rituel est devenu une fête colorée. Le dieu auquel la jeune fille est sacrifiée est Yarilo, dont Wikipedia nous dit que le nom aurait comme origine un mot signifiant "rage" et "feu". Les mois de printemps sont meurtriers... Je m'étonne un peu aussi qu'à une époque où il faut que ce soit Carmen qui tue Don José, qu'on n'ait pas 'cancellé' ce féminicide organisé. 



Orgue ; j'y suis réticent, pour divers motifs qui ne sont pas tous des raisons. La raison principale est la résonance excessive, qui mélange les notes dans un brouillard que je supporte mal ; je ne sais pas y discerner les voix, ce qui est grand dommage dans ce répertoire-ci plus encore que dans d'autres. L'acoustique des églises y est pour beaucoup ; certaines registrations l'accentuent, d'autres (pour cela bien venues) peuvent la réduire. L'éminent organiste Daniel Roth s'en plaint - cela me console qu'un tel professionnel se mette à ma place. Le remède qu'il tente d'y apporter n'est pas commode : il faut raccourcir la tenue des touches sur les claviers à proportion de la résonance excessive estimée depuis la tribune. Comme ces précautions extrêmes sont rares, je préfère dans l'ensemble (hérésie !) écouter la musique d'orgue au piano, où une dimension manque bien sûr, mais où je sais ce que j'entends. 



Duhamel (Georges), Le Livre de l’amertume p. 55 : 

"La musique ou un parfum, rien de mieux pour nous faire deviner un monde inconnu, ou même pour nous faire comprendre à quel point ce monde nous est peu compréhensible. Des mots simplifieraient tout, unifieraient tout. Avec la musique tout garde son recul et sa perspective."