jeudi 26 août 2021

Pensées pour moi-même (3)


Aimer : vivre en stéréo


Avait-il des raisons de se suicider ? Plutôt se demander si nous avons des raisons de ne pas nous suicider.


French theory, french fury.


L'oxymore le plus courant : "bonjour"


Habitude, hébétude


On s’interronge.


Sexe : le meilleur remède contre l’ennui ; le plus sûr pourvoyeur d’ennuis. 


Deux frénésies simultanées, d’oubli et de commémoration.


Affinités sélectives.


Apprendre à se guider dans l'inexistence. 


Principe général : c’est bien plus compliqué que ça.


Garde alternée : le jugement de Salomon mis en pratique.


Cocteau, le scandale du talent, mais aussi le talent du scandale. 


Dans les journaux intimes des plus grands esprits, le génial côtoie le lamentable. Cela redonne un peu confiance. 


Pour une raison minime, on lit tout un livre, et on découvre un auteur qui change la vie.  



Pensées recueillies çà et là (4)


Baudelaire : 

"Cette jouissance suprême de se sentir plein de vie..."

Paradis artificiels


Amiel : 

"Pour qui vit au jour le jour, tout s'émiette, parce que l'emploi de tout est ajourné."

Journal, 06 août 1865


Stael (G. de) :

"Tous les jeunes gens dont la tête est mauvaise s'attribuent en conséquence un bon cœur."

De L'Allemagne


Kierkegaard :

"Pour empêcher qu'on ne me confonde avec l'extraordinaire, je retire toujours ma personne et il reste la voix, c'est-à-dire ce que je dis."

Journal 3 p. 281


Bachelard : 

"[La voyelle A] marque une matière première. C'est la lettre initiale du poème universel."

L'Eau et les rêves pp. 22-23


Flaubert :

"J'ai connu peu d'êtres dont la société ne m'ait inspiré l'envie d'habiter le désert."

Correspondance


Leopardi : 

"Le jour de la naissance est funeste à tout être qui naît."

È funesto a chi nasce il dì natale.

Chant nocturne d'un berger d'Asie, fin.


Amiel : 

"On ne survit que par ce qui ne peut être remplacé". 

Journal 26 juillet 1878



 

samedi 21 août 2021

Beethoven : le 6° quatuor, charnière et microcosme ?

  

... je ne suis pas très qualifié pour en juger, mais je dis mon impression...

Le premier groupe de six quatuors publiés par Beethoven sous le numéro d'opus 18 est réputé être encore assez 'classique', eu égard aux audaces des Razoumovski qui vont suivre, et a fortiori au regard des immenses innovations des derniers quatuors. 

Or le quatuor n° 6, le dernier du premier groupe publié, et, semble-t-il, le dernier composé, me paraît aller, de mouvement en mouvement, vers plus d'originalité : du premier mouvement, carré, décidé, énergique et équilibré, jusqu'à cette étrange Malinconia qui ouvre le très singulier dernier mouvement. 

J'ai eu l'impression, à travers le 6°, d'un microcosme de l'ensemble des 16 quatuors et peut-être même de la pensée musicale de Beethoven tout entière (un effet de microcosme, de résumé, se trouve, sous forme de collage, dans la IX° symphonie). 


Je retrouve avec ce 6° quatuor une sensation voisine de celle évoquée dans un ancien billet à propos d'Apollinaire : 

http://lecalmeblog.blogspot.com/2010/04/apollinaire-alcools-micro-et-macro.html

Le premier vers de Zone, qui ouvre le recueil, peut être lu, selon qu'on fait ou non la diérèse, comme un alexandrin très classique, ou comme un vers de 11 très moderne - ce qui peut être vu comme le mode d'emploi du long poème inaugural (Zone) et du recueil lui-même dans son entier (Alcools : le plusriel est un programme) : la clé sur la porte... 



Le 6° quatuor, par le Quatuor Emerson, avec partition : 

https://www.youtube.com/watch?v=DPCWO4S8mW8



vendredi 20 août 2021

McCullers et Rousseau (Frankie et l'incomplète famille Addams)


Il faudrait toujours lire en VO. Un coup d'œil sur le texte original, et on voit vite ce qu'on perd. Exemple. Je relis Frankie Addams (déjà, le titre, traduit, c'est loin d'être ça...). La toute fin de la 2° partie donne, en français (Pochothèque) : 

"... tout en disant qu’elle ne dormirait sûrement pas, qu’elle ne pourrait même pas fermer les yeux. Elle les ferma cependant, et lorsqu’elle les rouvrit, une voix l’appelait et dans le petit jour la chambre était grise."

"although she said she could not sleep a wink. But nevertheless she closed her eyes, and when she opened them again a voice was calling and the room was early gray."

Rapidité, poésie de cet adjectif ici intraduisible, sinon par plusieurs mots bien moins alertes, qui rendent bien moins la juxtaposition des instants vécus malgré leur distance réelle. (Frankie a dit peu auparavant qu'elle ne rêvait presque jamais).


Mais le plus sérieux n'est pas là. Ce "early" n'engage que la sensation à donner dans cette fin de chapitre. 

Quelques lignes plus tôt, Frankie résume son obsession : 

"Et ce sera un tel bonheur pour moi quand le mariage sera fini et qu’on s’en ira. Un tel bonheur…"

"I will be so thankful when the wedding is over and we have gone away. I will be so thankful."

"ce sera" est impersonnel ; "I will be" est très personnel. 

Et surtout, "bonheur" rend un état positif du sujet, sans le référer à autre chose. Tandis que "thankful" engage le rapport entre le sujet et une entité à qui il doit, et sait qu'il doit, son bonheur. Or c'est là toute la problématique existentielle de Frankie (et de l'auteur) : trouver l'être avec qui on sera enfin complet, à qui on devra son bonheur. Le bonheur n'est pas une autarcie, mais une communion, qui mérite donc une action de grâces, ce que dit "thankful", qui n'a pas d'équivalent en français (de même que l'allemand dankbar, si délicat à rendre quand on veut traduire Rilke). L'adjectif 'reconnaissant' est trop précis, moral et poli, et réclamerait qu'on précise à qui s'adresse cette reconnaissance.Une lourde périphrase comme "plein de gratitude" poserait les mêmes problèmes.

Le bonheur, ce n'est pas d'être, c'est d'être ensemble, de trouver, ou retrouver l'unité, paradoxalement, à travers un autre.


À ce propos, une perspective peut-être un peu hardie - mais nous ne sommes pas ici à une soutenance de thèse. 

Il y a un autre auteur, grand souffrant lui aussi, qui dit quelque chose de tout à fait analogue. Rousseau écrit dans les Dialogues :

"une solitude absolue est un état triste & contraire à la nature : les sentimens affectueux nourrissent l’ame, la communication des idées avive l’esprit. Notre plus douce existence est relative & collective, & notre vrai moi n’est pas tout entier en nous. Enfin telle est la constitution de l’homme en cette vie qu’on m’y parvient jamais à bien jouir de soi sans le concours d’autrui."

Il n'y a de  joie que de relation, de communion avec autrui, cette communion si nécessaire à Jean-Jacques et si introuvable. Il n'y a de bonheur que partagé, dans le partage. Ou même : le bonheur, c'est le partage même (partage qui, ici, est tout le contraire du découpage, de la partition). Rousseau fuit la société, précisément parce qu'il a besoin d'autrui, mais dans un rapport authentique, non faussé par les artifices de la société pervertie. 

Or Rousseau et Frankie ont en commun une lourde épreuve : leur naissance a coûté la vie à leur mère. L'expérience universelle de la séparation (la part-urition, le partage au sens de séparation) est alors redoublée par la mort, qui rend impossibles le retour et la fusion. D'où la mélancolie inguérissable. La famille de Frankie, c'est un père veuf, c'est-à-dire un couple mutilé, un demi-Androgyne. Quand, faute de mieux, elle tombe amoureuse du couple formé par son frère et sa future belle-sœur (Jarvis et Janice, son J-J à elle), elle connaît un état d'exultation qu'elle veut chanter. 

C'est cette exultation spécifique (et dangereuse) qui vibre dans l'intraduisible "thankful".

 

Autre coïncidence : 

Tolstoï, Anna Karénine, (1, VI) :

"Dans ce temps-là Levine allait fréquemment dans la maison Cherbatzky et, quelque étrange que cela puisse paraître, était amoureux de la maison tout entière, spécialement de la partie féminine de la famille. Ayant perdu sa mère sans l’avoir connue"


mercredi 18 août 2021

McCullers, Bartelt, Proust : le transfert

 

Une concordance manifeste qui, sur la Toile ne semble pas avoir été repérée.

Dans Frankie Addams, Carson McCullers consacre tout un passage, magnifique, à la vieille cuisinière noire qui, racontant ses amours, nous livre une magnifique leçon sur le transfert. 

Pour payer les obsèques de son mari aimé, elle a dû tout vendre, y compris les vêtements du défunt. Un jour, elle croit le revoir, de dos, dans la rue : c'est un homme d'allure semblable, qui a acheté le veston d'occasion. Elle s'en éprend, et l'épouse.


Bartelt, dans Le Costume, reprend exactement ce thème. La veuve ne peut se résoudre à détruire un magnifique costume du défunt mari ; elle le donne au Secours catholique. Puis elle aperçoit un homme de même allure que son mari. Elle s'en éprend, et ... et puis on entre dans une histoire d'alphabet qui, selon mon goût, ôte tout l'assez mince intérêt du roman. 


Comme dit Pascal, on n'aime personne, on n'aime que des qualités. 

Ou Proust (je cite de mémoire par paresse d'aller chercher la référence exacte*) : quand on aime, c'est toujours autre chose qu'on aime : Swann tombe amoureux d'Odette et y perd sa vie parce que, sous un certain angle, le profil de la jeune femme  lui évoque celui d'un personnage de Botticelli... 


* ici, je parodie Proust dans l'imprécision de ses références quand il fait de la critique littéraire... 



samedi 14 août 2021

McCullers : Frankie christique

 

"C’est à désespérer ! À désespérer ! À désespérer !

— Peut-être, dit Bérénice.

— Oh ! soupira Frankie. Je suis triste à mourir." 


It is hopeless! Hopeless ! Hopeless !"

"Maybe so," said Berenice. »

"Oh," Frankie said, "I am sick unto death."


note de l'édition Pochothèque : 

91. "Je suis triste à mourir" : en anglais la formule "I am sick unto death", de par son archaïsme, rappelle le titre de l'ouvrage du philosophe danois Soren Kierkegaard, La Maladie à la mort (sous-titré : Le concept de désespoir), The Sickness unto death (1848), que Carson McCullers a lu pendant ses années d'apprentissage à Brooklyn sur les conseils du poète W.H. Auden, et qu'elle citera dans son dernier roman, L'Horloge sans aiguilles (Clock Without Hands, voir note 169). L'ennui de Frankie Addams confine au désespoir. 


Certes, mais on pourrait aussi rappeler un texte connu qui a dû influencer le Danois : 

Évangile selon Marc, 14, 32 [trad. Sebond] : "Ils se rendirent ensuite dans un endroit appelé Gethsémané [...] Il leur dit : 'Mon âme est triste à en mourir'. "

King James Bible : Mark, 14 32 : And they came to a place which was named Gethsemane : [...] And saith unto them, My soul is exceeding sorrowful unto death.



lundi 9 août 2021

Pensées recueillies çà et là (3)


Ambler (Eric) :

"Le drame de la mentalité académique est qu’elle néglige les ressources de la violence jusqu’au moment où la violence n’est plus utile."

Le Masque de Dimitrios chap. 8


O'Connor (Flannery) :

"Nous sommes tous damnés ; mais quelques-uns d'entre nous ont arraché leurs œillères et voient qu'il n'y a rien à voir. C'est une espèce de salut"

Gens de la campagne p. 322


Valéry :

"Le cœur et le c... sont les deux mamelles de la littérature."

Cahiers XXII, 254


Anouilh : 

"Il n'y a que les vaudevilles qui soient tragiques et qui ressemblent à la vraie vie. Il n'y a que Feydeau qui ait parlé de la condition humaine. Et Pascal."

[Le boulanger, la boulangère et le petit mitron p. 394 

source : http://www.regietheatrale.com/index/index/thematiques/auteurs/Anouilh/jean-anouilh-12.html]


Jünger :

 "La jeunesse cherche toujours à saisir les sources du mouvement dans ce qui est en mouvement, mais est incapable de les trouver aussi dans ce qui est au repos"

Le Cœur aventureux 1929 p.108


Koestler :

 "Les paysans ont fait la plus grande découverte de leur histoire : les touristes sont plus faciles à traire que les vaches ; on n'a pas besoin de se lever à quatre heures du matin."

Les Call-Girls p. 126-7


Tomasi di Lampedusa : 

"Il avait assez d'expérience pour comprendre que les souffrances déposent peu à peu au fond de l'âme des sédiments de deuil dont l'accumulation quotidienne est en définitive la cause de la mort"

Le Guépard chap 2 , trad. Pézard p. 60


Yourcenar : 

" Ce sont nos imaginations qui s'efforcent d'habiller les choses, mais les choses sont divinement nues. "

Alexis ou le traité du vain combat 


samedi 7 août 2021

Pensées recueillies çà et là (2)


Judrin : 

"Il faut se borner pour être parfait, et se définir pour attraper quelque chose de l'infini."

Moralités littéraires


Jünger :

"Sans aucun doute, l'homme est beaucoup plus profond qu'il n'imagine, peut-être même aussi profond que l'animal". 

Le Cœur aventureux 1929 p.101

Banville :

"Tout animal est supérieur à l’homme par ce qu’il y a en lui de divin, c’est-à-dire par l’instinct."

Le Chat


Malraux : 

"Que m'importe ce qui n'importe qu'à moi ?" 

Antimémoires

Nabokov :

"Tout ce qui vaut la peine est, dans une certaine mesure, subjectif."

Bons lecteurs et bons écrivains


Louis XIV : 

“Quand on peut tout ce que l'on veut, il n'est pas aisé de ne vouloir que ce que l'on doit.” 

Acton (Lord) :

"La liberté n'est pas le pouvoir de faire ce que l'on veut, mais le droit de faire ce que l'on doit."


Romains :

"Le bonheur est fait d'abord de l'absence de certaines pensées" 

 Les Hommes de bonne volonté, Bouquins t. 4 p. 963 


Acton (Lord) :

"Peu de découvertes sont plus irritantes que celles qui révèlent la paternité des idées." 

Few discoveries are more irritating than those which expose the pedigree of ideas


Anouilh :  

"L'homme est un être charmant : il rit quand même..."

L'Hurluberlu, explicit


Pensées pour moi-même (2)

 

Les progrès de la médecine ont permis une notable augmentation de la désespérance de vie.


On ne dit plus "pages choisies de"... mais "pages arrachées à..." ; c'est plus qu'une nuance.


Si on donne des exemples aux enfants, il n’est pas sûr qu’on leur donne les meilleurs ; si on ne leur en donne pas, il est sûr qu’ils choisiront les pires.


Maintenant, l’acte de mariage se signe au crayon. 


Me plaît ce qui ne cherche pas à plaire. 


On cachait la copulation et on montrait la mort ; on montre la copulation et on cache la mort. Une photo porno est chose très banale ; la photo d’un mort est scandaleuse. Début et fin ont permuté leurs interdits.


Corvées : en voilà une de faite ! L’infini moins un, ça fait combien ? 


En général, ce qui est fait est à refaire.


Quand on me dit "on ne peut pas être contre", j’ai fortement tendance à penser que je ne pourrai pas être pour. 


Je n’écoute pas de la musique quand je rentre chez moi. C’est quand j’écoute de la musique que je rentre chez moi. 


On a voulu nous faire croire que la mort est une naissance, alors que c’est la naissance qui est une mort - chose oubliée depuis Silène, retrouvée par Céline


Le chat est un des rares êtres dont l'existence ne paraît pas superflue. 



mardi 3 août 2021

Pensées recueillies çà et là (1)


Baudelaire :

"Un système est une espèce de damnation qui nous pousse à une abjuration perpétuelle." 

Œuvres, Pléiade II, p. 577


Céline :

"Tout ce qui n'est pas un peu éternel ne dure pas."

Lettre à Denoël, août 1933


Kundera  : 

"Les nuages orangés du couchant éclairent toute chose du charme de la nostalgie ; même la guillotine."

L'insoutenable Légéreté de l'être, 1, 1


Laforgue : 

"Faire pleurer une jeune fille, il me semble que c’est plus irréparable que l’épouser."

Moralités légendaires

Huysmans  : 

"L'art est, avec la prière, la seule éjaculation d'âme qui soit propre."

Là-bas chap. XVI


Sénèque : 

"Le mal est sans remède quand les vices se sont changés en mœurs" 

« Desinit esse remedio locus, ubi quae fuerant vitia, mores sunt » Sénèque, Lettre XXXIX


Koestler : 

"Nous pouvons ajouter à nos connaissances, nous ne pouvons rien en retrancher"

 Les Somnambules 13


Rodin  : 

"Ce qu'il y a de plus beau qu'une belle chose, c'est la ruine d'une belle chose."

Cathédrales

 


Pensées pour moi-même (1)


Est-il sûr que mes vertus m'appartiennent ? 


Les problèmes ne se résolvent jamais ; mais on finit par ne plus les poser. 


Lire pour ne pas pleurer. 


Simuler, stimuler.


Tout ce qu'on ajoute à la  bonne musique la dessert.


On en arrive toujours au sexe, parce qu’on en vient. 


Zeitgeist : un cheval de Zeit, une alouette de Geist.


Nourri dans le sérail j’en connais les détours : habité par des femmes, dirigé par des eunuques.


Montesquieu disait que les grandes têtes rapetissent quand elles se rassemblent. Certes ; mais les petites aussi. 


Les polémiqueurs sont d’accord sur l’opportunité de polémiquer 



Céline (assonances)


Dans ses derniers romans, Céline se plaît à insulter son éditeur (Gaston Gallimard), ainsi que le directeur de la revue-phare de la maison (Jean Paulhan, à la NRF). C'est inédit, et cocasse. Nimier, qui faisait tant bien que mal le go-between entre l'auteur et l'éditeur, disait parfois à Céline, pour le motiver à écrire, que Gaston était tout triste de ne plus recevoir ses lettres d'insultes, que ça lui manquait... 

On peut aimer Valéry, goûter la sinuosité du son 'u' dans "La flûte sur l'azur enseveli module"), et être sensible néanmoins à de tout autres formes de poésie, à un usage tout différent, plus rude, du langage et de l'assonance.


Car très belle aussi, dans son genre est cette caractérisation de Gaston, dans D'un Château l'autre : 

"...l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con..."

On reconnaît le goût de Céline pour l'accumulation, l'entassement brut de qualificatifs peu louangeurs, redondants à plaisir, qui font masse, qui font avalanche : tout fait ventre pour l'imprécation. Ainsi Céline lui-même se décrit-il, également dans D'un Château l'autre : 

'... j’ai pas toujours été ce que je suis, pauvre pourchassé loquedu tordu ruine…'

On entend ici l'assonance, qui est même une rime interne : "loquedu - tordu).


C'est dans ce procédé d'assonance que brille le portrait de Gaston (on pourrait dire, comme dans le Voyage, "un portrait express au caca fumant"). 

On a un écho simple entre achevé et épicier. 

Mais on a surtout une merveilleuse rafale de a , digne de l'incipit de Salammbô : 

implacable bas de pla

 Et, pour conclure, une brutale insistance sur "on" qui clôt le portrait, comme chez Rimbaud les deux trous rouges du Dormeur du val, ou les pontons conclusifs du Bateau ivre. 

Pour mettre en relief ce qu'elle a de singulier, la phrase pourrait être lue en détachant les syllabes et en martelant chacune de façon très égale : 

la

che

 

sor

di

pi

cié 

im

pla

ca

ble 

ba 

de 

pla

fon

con

On y sentirait mieux le durcissement du ton (é -> a -> on), et la double détonation finale, qu'on ne peut éviter d'associer au prénom de la victime : Gaston.