jeudi 22 décembre 2022

Auto-pastiches


Il y a peu, je citais Michaux : 

"Style : signe (mauvais) de la distance inchangée (mais qui eût pu, eût dû changer), la distance où à tort il demeure et se maintient vis-à-vis de son être et des choses et des personnes. Bloqué ! Il s’était précipité dans son style (ou l’avait cherché laborieusement). Pour une vie d’emprunt, il a lâché sa totalité, sa possibilité de changement, de mutation. Pas de quoi être fier. Style qui deviendra manque de courage, manque d’ouverture, de réouverture : en somme une infirmité."

http://lecalmeblog.blogspot.com/2022/10/sur-quelques-apophtegmes-de-michaux.html


Je l'appliquais particulièrement à Caillois, et disais : "C'est somptueux. Et, en même temps, c'est verrouillé dans sa perfection. C'est du métal du plus haut prix - et c'est toujours le même métal. Toujours noble de la même noblesse (et, quant au contenu, toujours juste de la même justesse)." 

J'aurais pu aussi, en partie, l'appliquer à Yourcenar (qui a d'ailleurs repris le fauteuil  académique de Caillois). La Yourcenar des Mémoires d'Hadrien surtout. 

Mais je voudrais ajouter un cas particulier : celui de Saint-John Perse. 

Perse n'est pas un classique au sens où il ne se situe pas dans une tradition d'écriture qu'il cultiverait à la perfection. Mais il s'invente un ton, un style, une beauté singuliers, parfaitement reconnaissables (trop reconnaissables) à travers chacune de ses pages – chacune de ses lignes. Puissante originalité, mais aussi, curieusement, puissante mono-tonie. C'est toujours la même grandeur, hauteur, la même ambiance minérale, désertique, aristocratique, dans un lointain et un passé mythiques. 

Au lieu d'être le classique qui frôle toujours le pastiche des grands auteurs, Perse est à lui-même son grand auteur, qu'il pastiche sans cesse. Ayant créé son ton, il est incontestablement original. Le reprenant ne varietur, il est son propre épigone, et, de ce point de vue chaque production nouvelle est paradoxalement redondante. D'ailleurs, nul auteur n'est plus aisé à pasticher que lui. 

C'est pourquoi j'aime autant (et même plus) La Ville que tout le reste, car c'est une musique originale, et moins complaisante, moins narcissique, et surtout moins reprise (ressassée ? radotée ?) que celle qui suivra. 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/06/saint-john-perse-la-ville.html


L'académique est celui qui copie les grands modèles ; mais on peut être l'académique de soi-même, ce qui ne va pas sans une haute estime de soi qui est bien une dominante de la personnalité d'Alexis Leger. 


Dans la foulée, je songe à un cas qui comporte des aspects similaires, bien que l'artiste soit réputé pour son incessante inventivité : Picasso. 

Une anecdote : Picasso peint un tableau devant un amateur d'art, et le lui donne (ou vend) non-signé. L'amateur revient plus tard et lui demande de le signer. Picasso refuse, disant que c'est un faux ! -–Mais je vous ai vu le peindre ! – Oui, mais je fais souvent des faux… 

Je me demande si on peut comprendre ainsi la boutade : Picasso invente une forme ; là est la vraie nouveauté. Puis il produit à la chaîne quelques (?) tableaux selon cette trouvaille : pour lui, ce sont des pastiches, voire des faux, mais lui seul le sait vraiment. Puis il fait une nouvelle trouvaille, qu'il varie un peu en quelques exemplaires, etc. Il est donc à la fois créateur et pasticheur de lui-même. Mais il a eu le mérite d'inventer un nombre étonnant de nouvelles voies (nombre à multiplier par le nombre des faux-vrais Picasso). 



lundi 19 décembre 2022

Pensées recueillies çà et là (20)


    Nietzsche : 
    "En général la direction du socialisme comme celle du nationalisme est une réaction contre le devenir individuel. On a des difficultés avec l'ego, l'ego à demi-mûr et insensé : on veut derechef le mettre sous le boisseau."

    Nietzsche : 
    "Celui qui enseigne pense toujours au bien de ses élèves […]. Toute connaissance ne lui donne de plaisir qu'autant qu'il peut l'enseigner. Il finit par se considérer comme un lieu de passage du savoir."

    Boulgakov :
    "L’homme est mortel, […], mais il n’y aurait encore là que demi-mal. Le malheur, c’est que l’homme meurt parfois inopinément."

    Wittgenstein : 
    "En phénoménologie, tout est une question de possibilité, c'est-à-dire de sens, pas de vérité et de fausseté."

    Musil : 
    "Sans le commerce des tableaux, il serait bien difficile de savoir ce qui vous plaît le mieux !"

    Musil :
    "Contemporanéité signifie toujours copie."

    Batteux : 
    "Tout ce qui sent l'effort nous fait peine et nous fatigue. Quiconque regarde, ou écoute, est à l'unisson de celui qui parle, ou qui agit : et nous ne sommes pas impunément les spectateurs de son embarras, ou de sa peine."

    Hugo  : 
    "Les hommes de génie, si grands qu'ils soient, ont toujours en eux leur bête qui parodie leur intelligence. C'est par-là qu'ils touchent à l'humanité, c'est par là qu'ils sont dramatiques."

    Musil :
    "On ne voit jamais les choses que dans leur entourage, si bien qu’on finit par les confondre avec la signification qu’elles y prennent."

    Falk (peintre, cité par Sviatoslav Richter) :
    "Quand on travaille beaucoup, il y a un moment où l'eau se met à bouillir"

    Anouilh : 
    "Qui tient le curé tient la femme, qui tient la femme tient l’homme, neuf fois sur dix."

    Compton-Burnett : 
    ”Tout est tragédie. La comédie n’est qu’une façon malintentionnée de regarder la tragédie, quand ce n’est pas la nôtre.”

    Nabokov : 
    "Life is a message scribbled in the dark".
    [La vie est un message griffonné dans le noir]

    Houellebecq : 
    “L’exaltation sentimentale et l’obsession sexuelle ont la même origine, toutes deux procèdent d’un oubli partiel de soi ; ce n’est pas un domaine dans lequel on puisse se réaliser sans se perdre.”

    Valéry  : 
    "La Pythie ne saurait dicter un poème. Mais un vers – c'est-à-dire une unité – et puis un autre." 
    Valéry : 
    "L'homme n'a qu'un moyen de donner de l'unité à un ouvrage : l'interrompre et y revenir."

    Tolstoï : 
    "Si notre civilisation s’en allait à tous les diables, je ne la regretterais pas, mais j’aurais du regret pour la musique " 

    Houellebecq : 
    "Le premier bénéfice qu’on tire d’une origine populaire est de n’avoir aucun respect pour le peuple ; le second de n’avoir aucune peur de la gauche ; le troisième de n’avoir aucune fascination pour la racaille."

    Musil : 
    "On a toujours beaucoup plus de chances d'apprendre un événement extraordinaire par le journal que de le vivre ; en d'autres termes, c'est dans l'abstrait que se passe de nos jours l'essentiel et il ne reste plus à la réalité que l'accessoire."


samedi 10 décembre 2022

Nabokov : "Un dîner littéraire" (trad. M.P.)


Un dîner littéraire

The New Yorker, 11 avril 1942.


Venez donc, dit mon hôtesse, faisant paraître sur son visage ce sourire rose préposé aux présentations, qui fait se rejoindre, comme une vallée de vergers en fleurs, les versants de deux noms. Je veux, murmura-t-elle, que vous mangiez le Dr James. 

J’avais faim. Le Docteur semblait bon. Il avait lu le grand livre du moment et l’avait aimé dit-il, parce que c’était puissant. Aussi fus-je généreusement aidé. Son épouse à la mauve poitrine me désignait, très poliment, du bout de son couteau, les morceaux les plus tendres. 

Je mangeai – et en Égypte, les crépuscules étaient vraiment fameux ; les Russes réussissaient de mieux en mieux ; avais-je rencontré un Prince Poprinsky, qu’ils avaient connu à Caparabella, ou était-ce à Menton ?  Ils avaient beaucoup voyagé, sa femme et lui ; sa passion à elle, c’était les Gens ; sa passion à lui, c’était la Vie. Tout était bon, et bien cuisiné. Mais le morceau le plus savoureux fut son cervelet croustillant au parfum de noisette. Le cœur ressemblait à une datte sombre et luisante. 

Et je rangeai les déchets sur le bord de mon assiette. 




A Literary Dinner


Come here, said my hostess, her face making room

for one of those pink introductory smiles

that link, like a valley of fruit trees in bloom,

the slopes of two names.

I want you, she murmured, to eat Dr. James.


I was hungry. The Doctor looked good. He had read

the great book of the week and had liked it, he said,

because it was powerful. So I was brought

a generous helping. His mauve-bosomed wife

kept showing me, very politely, I thought,

the tenderest bits with the point of her knife.


I ate – and in Egypt the sunsets were swell;

The Russians were doing remarkably well;

had I met a Prince Poprinsky, whom he had known

in Caparabella, or was it Mentone?

They had traveled extensively, he and his wife;

her hobby was People, his hobby was Life.

All was good and well cooked, but the tastiest part

was his nut-flavored, crisp cerebellum. The heart

resembled a shiny brown date,

and I stowed all the studs on the edge of my plate.



On peut trouver sur Internet deux lectures anglaises (un peu bizarres) de ce poème : 

1/ John MacKenzie

https://archive.org/details/JohnMacKenzieALiteraryDinnerVladimirNabokov

2/ Brad Craft

https://www.youtube.com/watch?v=oC7AQIdEjC4



Je n’ai pas suffisamment ressenti la poéticité de ce texte pour en tenter un rendu métrique et rimé. Mais j’en ai goûté l’humour et la causticité. J’en ai donc fait une traduction assez libre, en prose, avec quelques effets de sonorités (et je me suis autorisé la fantaisie d'une allusion ponctuelle à un autre auteur, peu goûté de V.V.). Je n’ai pas vu de traduction française publiée : un lecteur (pas mon semblable ni mon frère) s’est attribué quelques pages du volume Gallimard à la bibliothèque où je me fournis. De là, pour moi, un léger doute concernant un mot. Mais les traductions publiées, même chez Gallimard, sont-elles toujours fiables ? (à quelques pages de là, un autre poème commence par un drôle de dérapage…). 


Nabokov pousse à l’extrême cette expérience bien connue selon laquelle un repas se compose moins de ce qu’il y a sur la table que des personnes qui sont autour. Qu’il vaut mieux être l’hôte de Virgile que de Lucullus. Qu'on absorbe, volens nolens, les paroles en même temps que les mets.


Le thème de l’intériorité au sens matériel, organique du terme n’est pas si rare chez Nabokov. 

Cf. le poème Restoration, strophe 5. 

[…] So I would unrobe,

turn inside out, pry open, probe

all matter, everything you see,

the skyline and its saddest tree,

the whole inexplicable globe

trad. Hélène Henry (hum, ce H. H. est suspect…) : 

”Ainsi je voudrais dépecer, ouvrir,

mettre à l’épreuve toute chose,

tout le visible : l’horizon,

avec son arbre le plus triste,

tout l’univers inexplicable.”

Cf. aussi l’amour très inquisiteur de Humbert Humbert :

My only grudge against nature was that I could not turn my Lolita inside out and apply voracious lips to her young matrix, her unknown heart, her nacreous liver, the sea-grapes of her lungs, her comely twin kidneys.

trad. Couturier : 

”Mon seul grief contre la nature était de ne pouvoir retourner Lolita comme un gant et plaquer mes lèvres voraces contre sa jeune matrice, son cœur inconnu, son foie nacré, les raisins de mer de ses poumons, ses deux jolis reins.”

trad. Kahane : 

”Mon seul grief contre la nature était de ne pouvoir retourner Lo comme un gant pour appliquer ma bouche vorace sur sa jeune matrice, la nacre de son foie, son cœur inconnu, les grappes marines de ses poumons, ses reins délicatement jumelés.”




vendredi 9 décembre 2022

Nabokov : 'Rain' (traduction M.P.)


Pluie (1956) 


Comme il remue le lit pendant

ces nuits d'arbres gesticulants

quand la pluie clapote pressée,

fiers sabots d'un jouet d'étain,

qui trotte sur un toit sans fin,

parcourant le passé.


Sur les vieux chemins glissent puis

Foncent les coursiers de la pluie

dans les années en entrelacs,

mais ne peuvent jamais assez

plonger au fin fond du passé

car le soleil est là.



Rain (1956)


How mobile is the bed on these

nights of gesticulating trees

when the rain clatters fast,

the tin-toy rain with dapper hoof

trotting upon an endless roof,

traveling into the past.


Upon old roads the steeds of rain

Slip and slow down and speed again

through many a tangled year ;

but they can never reach the last

dip at the bottom of the past 

because the sun is there.


pour l'entendre lu par Nabokov himself : 

https://www.youtube.com/watch?v=QzOt0bMmXjY

à 55' 23''

[on dirait qu'il prononce le titre "Rage", plutôt que "Rain"]


vendredi 18 novembre 2022

Électricité : Nabokov / Shade / Kinbote / Philippon (poésie ; traduction M.P.)



Feu pâle, Pléiade t. 3 p. 302-303 (commentaire très dérivé, à la Kinbote, arrimé au vers 347). Le scoliaste zinzin y narre les tentatives spirites de la famille Shade, qui se soldent par un échec, puis cite un poème de John Shade, réflexion mystico-occultiste sur l'électricité. 


Le texte original : 


The light never came back but it gleams again in a short poem “The Nature of Electricity,” which John Shade had sent to the New York magazine The Beau and the Butterfly, some time in 1958, but which appeared only after his death :


The dead, the gentle dead – who knows ? –

In tungsten filaments abide,

And on my bedside table glows

Another man’s departed bride.


And maybe Shakespeare floods a whole

Town with innumerable lights,

And Shelley’s incandescent soul

Lures the pale moths of starless nights.


Streetlamps are numbered, and maybe

Number nine-hundred-ninety-nine

(So brightly beaming through a tree

So green) is an old friend of mine.


And when above the livid plain

Forked lightning plays, therein may dwell

The torments of a Tamerlane,

The roar of tyrants torn in hell.


La traduction Pléiade : 


La lumière ne reparut jamais mais elle luit encore dans un court poème "La Nature de l'électricité", que John Shade avait envoyé au magazine de New-York Le Beau et le papillon, en 1958, mais qui ne parut qu'après sa mort :


Les morts, les aimables morts, – qui sait ?

Gîtent dans les fils de tungstène, 

Et sur ma table de nuit luit

La fiancée disparue d'un autre homme. 


Et Shakespeare peut-être illumine

Toute une ville de lumières innombrables,

Et l'âme incandescente de Shelley

Attire les phalènes pâles des nuits sans étoiles. 


Les réverbères portent des numéros, et peut-être

Le numéro neuf cent quatre-vingt-dix-neuf

(Qui brille si vivement à travers l'arbre

Si vert) est-il un de mes vieux amis.


Et, quand au-dessus de la plaine livide

Jouent les éclairs fourchus, peut-être contiennent-ils

Les tourments d'un Tamerlan, 

Le rugissement des tyrans déchiquetés en enfer. 



Les traductions universitaires, précises, ont leur utilité et même leur nécessité. Mais (selon un mien hobby horse) elles ne dispensent pas de tenter une restitution, moins fidèle aux mots, mais fidèle au mètre et à la rime – ce qui est chose à la fois très difficile à faire et très facile à critiquer. Tant pis. 

L'octosyllabe est un des pires carcans, un Procuste diminutif qui réclame de cruels sacrifices. Surtout à partir de l'anglais paucisyllabique, aggravé de la densité sémantique nabokovienne. Le premier quatrain ne pose pas de problème spécial (il comporte une probable allusion à E. Poe). Le second contient deux noms propres insubstituables, ce qui le rend extrêmement ardu à octosyllaber tout en rimant [je m'y suis concédé un e muet au statut contestable, mais peu apparent]. Le troisième, centré sur un insubstituable de 7 syllabes, découragerait les plus hardis. Le quatrième est un paysage cosmico-eschatologique d'une grandiose noirceur - on serait tenté de parler de "terribilitá" ! (titanesques allitérations en T des deux derniers vers).


Malgré tout cela (les "malgré" étant peut-être des "parce que" masqués), j'ai tenté la gageure : 


Et s'ils logeaient, les tendres morts,

Dans le tungstène en filaments ?

Sur mon chevet luirait alors

La fiancée morte d'un amant.


Millions de lumières urbaines :

C'est Shakespeare. L'âme de Shelley

Brûle les candides phalènes

Qui croient à des nuits étoilées. 


Le réverbère étiqueté

Neuf cent quatre-vingt-dix-neuvième

(l'arbre vert le fait miroiter)

Serait mon vieil ami lui-même.


Et les éclairs se déchirant

Sur la pâle plaine d'hiver,

Seraient les cris d'un Tamerlan,

Tourments des tyrans en enfer.



mardi 25 octobre 2022

Pensées recueillies çà et là (19)


Sartre :

"Il ne faut pas que je pense que je ne veux pas penser." 

La Nausée


Caillois : 

”Il imagine […] que c'est dépouiller un préjugé qu'assouvir un instinct, se défaire d'un parti pris que satisfaire un caprice. Chaque fois qu'il rompt avec une discipline, il croit gagner une liberté il accepte un joug.”

Impostures de la poésie 


Amiel :

"Pour qui vit au jour le jour, tout s'émiette, parce que l'emploi de tout est ajourné."

1865


Goethe : 

Dichten zugleich als Befreiung des Ichs und verantwortungsvolles Sprechen zu einem Publikum.

(La poésie est en même temps libération du moi et parole publique responsable)

Dichtung und Wahrheit


Bloy : 

"Une âme livrée à son propre néant n'a d'autre ressource que l'imbécile gymnastique littéraire de le formuler.” 

Le Désespéré, début


Flaubert : 

”Nom de dieu, quelles couilles vous avez ! quelles boules !" 

à Zola, sur Nana


Coleridge : 

"My eyes make pictures, when they are shut." 

A Day Dream


Péguy : 

”Ce siècle qui se dit athée ne l'est point. Il est autothée.”


Yourcenar : 

" Ce sont nos imaginations qui s'efforcent d'habiller les choses, mais les choses sont divinement nues. " 

Alexis


Giono : 

”Nous sommes trop vêtus de villes et de murs”


Jünger :

"Sans aucun doute, l'homme est beaucoup plus profond qu'il n'imagine, peut-être même aussi profond que l'animal"


Jünger :

"La jeunesse cherche toujours à saisir les sources du mouvement dans ce qui est en mouvement, mais est incapable de les trouver aussi dans ce qui est au repos."


Byron :     

Are not the mountains, waves and skies a part  

Of me and of my soul, as I of them ?

Childe Harold


James :

"Je hais la simplicité américaine. Je suis très fier d'accumuler des complications de toutes sortes."

cité par Edel (bio de HJ)


James : 

"L'écrivain est présent dans chaque page de chaque livre d'où il s'efforce pourtant avec tant d'acharnement de s'effacer."


Poe : 

"L'œuvre d'un auteur est un objet indépendant de la personne de l'auteur."



samedi 15 octobre 2022

Sur quelques apophtegmes de Michaux...


Michaux, Poteaux d'angle. Ce sont des aphorismes, tardifs.  Conformément à la loi du genre, la moitié tombe à plat, en raison de l'humeur ou du parti-pris du lecteur, ou de l'heure, ou... Mais l'autre moitié ! richesse, finesse, profondeur, variété ! Le niveau de qualité et la justesse de ton m'évoquent successivement les silhouettes de Valéry, Nietzsche, Cioran, Rilke, Montherlant (eh oui ! ce n'est pas une insulte !), Muray, Gide, Pessoa, Chesterton – et quelques autres de beau gabarit. Pas mal de misanthropie ; un grand souci de l'intériorité (est-ce différent ?) ; une grande méfiance à l'égard de l'enlisement, de la sclérose. 

J'aimerais recopier cette moitié si précieuse, mais Gallimard ne serait pas content. Prélevons quelques échantillons : 


"La pensée avant d’être œuvre est trajet." Du pur Valéry. 


"Voyager pour t’appauvrir. Voilà ce dont tu as besoin." Parfait résumé de la vie et de l'œuvre de Bouvier, grand lecteur de Michaux. 


"Celui qui acquiert, chaque fois qu’il acquiert, perd." Cousin de Rilke. 


"Dans un pays sans eau, que faire de la soif ? De la fierté. Si le peuple en est capable" : Montherlant, oui oui ! 


Belle énigme mystique : "Qu’est-ce que tu es, nuit sombre au-dedans d’une pierre ?"


"Les arbres frissonnent plus finement, plus amplement, plus souplement, plus gracieusement, plus infiniment qu’homme ou femme sur cette terre et soulagent davantage" : c'est beau comme du Maurice de Guérin. 


"Lorsqu’une idée du dehors t’atteint, quelle que soit sa naissante réputation, demande-toi : quel est le corps qui est là-dessous, qui a vécu là-dessous ?" Comment ne pas penser à Nietzsche ? Cf. "Pensées : décharges d’humeurs."


On trouve même la problématique centrale de Céline exposée en quatre lignes : 

"Une chose indispensable : avoir de la place. Sans la place, pas de bienveillance. Pas de tolérance, pas de… et pas de…

Quand la place manque, un seul sentiment, bien connu, et l’exaspération, qui en est l’insuffisante issue."


Je venais de relire, toujours avec la même admiration et les mêmes réserves, des pages marmoréennes de Caillois sur la poésie. C'est somptueux. Et, en même temps, c'est verrouillé dans sa perfection. C'est du métal du plus haut prix - et c'est toujours le même métal. Toujours noble de la même noblesse (et, quant au contenu, toujours juste de la même justesse). Voici que j'en trouve le diagnostic, cruel, impitoyable dans sa netteté, dans un paragraphe de Michaux : 

"Style : signe (mauvais) de la distance inchangée (mais qui eût pu, eût dû changer), la distance où à tort il demeure et se maintient vis-à-vis de son être et des choses et des personnes. Bloqué ! Il s’était précipité dans son style (ou l’avait cherché laborieusement). Pour une vie d’emprunt, il a lâché sa totalité, sa possibilité de changement, de mutation. Pas de quoi être fier. Style qui deviendra manque de courage, manque d’ouverture, de réouverture : en somme une infirmité."



dimanche 9 octobre 2022

Pensées recueillies çà et là (18)


Blanchot (sur Malraux)

"A chaque œuvre décisive, toutes les autres tressaillent et quelques-unes succombent."


Taillandier : 

"On n'est pas écrivain parce qu'on domine l'expression et la langue, on est écrivain parce qu'on a un problème avec elle."


Proust : 

"Les durs sont des faibles dont on n’a pas voulu, et [...] les forts, se souciant peu qu’on veuille ou non d’eux, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse."


Montherlant : 

"Un mauvais comédien, un mauvais écrivain, un mauvais peintre, un mauvais torero, plus il va, plus il en fait. Bon, plus il épure."


Montherlant : 

"Les tragédies des Anciens sont celles non seulement des membres d'une même famille, mais aussi des divers individus qu'il y a dans un même être"


Morand : 

"Je n'en ai compris la frénésie [de New-York] que lorsque je vis un chat ; c'était le seul être rencontré pendant mon séjour qui ne bougeât pas et conservât intacte sa vie intérieure"


Pessoa :

"Lorsqu’on ressent trop vivement, le Tage est un Atlantique innombrable, et la rive d’en face un autre continent, voire un autre univers."


Pessoa :

"Je n’ai rien demandé d’autre à la vie que de ne rien me demander à moi."


Thibaudet : 

"L'argent, c'est la seconde beauté du diable"


Mann (Th.) : 

"Seul celui qui maîtrise la forme a le droit de la bafouer."

"Nur wer die Form beherrscht, darf sich darüber hinwegsetzen". 


Melville : 

"Il semblait que ce fût une combinaison de demi-nœud bridé, de chaise-de-calfat, d'agui, de gueule-de-raie et de cul-de-porc double."

Benito Cereno


Sciascia : 

"Les deux grandes impostures de notre temps : l’architecture et la sociologie. Et la médecine était sur le point de les rejoindre."

 Todo Modo


Bartelt :

”Savoir c'est souffrir. C'est la première chose à savoir.” 


Chesterton : 

"Il y a deux façons de rentrer chez soi, et l’une d’elles est d’y rester."


Rousseau :

"Je ne suis à moi quand je suis seul, hors de là je suis le jouet de tous ceux qui m'entourent."

Rêveries


Pessoa (Caeiro) : 

"Je suis l'Argonaute des sensations vraies. A l'Univers j'apporte un nouvel Univers, parce que j'apporte à l'Univers l'Univers lui-même. "


Pessoa : 

"Dans ce que j'ai regardé en partie je suis resté.

Quand une chose que j'ai vue vient à passer, je passe aussi/"


Thibaudet (sur Flaubert) : 

”Les raccords logiques sont en art le meilleur moyen de faire du faux".


Berl :

"Les médecins perdent au fur et à mesure que la médecine gagne."

Sylvia