jeudi 28 janvier 2021

Piété endocrinologique

 

Un penseur méconnu, professeur qui a très peu publié, disait à ses étudiants, dans les années 70 : "Schleiermacher définissait la piété comme 'le sentiment de la dépendance absolue' ; eh bien, je suis un biologiste pieux : je me sens dans la dépendance absolue de mes sécrétions." C'était un sage, je l'ai su plus tard.

Et encore, avec les sécrétions, il ne s'agit pas seulement de piété. Il s'agit aussi de religion, de rites, de se rendre favorables les déesses internes. Il faut leur consacrer des restrictions alimentaires, des jeûnes ; se priver de ce qui donne le plus de plaisir, offrir sa gourmandise en holocauste. Pour certains, sa passion pour le tabac ou l'alcool. Pour tous, faire un strict et presque permanent carême de tout ce qui est bon : sucre, sel, gras, farine. Brûler ce qu'on a adoré (pâtes, pâtés, sauces, gâteaux). Adorer ce qu'on a brûlé (brocolis, épinards, choux de Bruxelles). Se nourrir peu, à des moments dictés, selon un ordre prescrit. Et nul ne sait même s'il sera sauvé par ses œuvres. Il faut faire son salut dans la crainte et le tremblement, car même si l'on suit les plus hautes autorités diététiques et endocrinologiques, il ne saurait être garanti. Il faut donc cultiver en plus la vertu d'humilité. Il faudrait aussi se faire prosélyte de la vraie foi, prêcher l'abstinence aux nations égarées, ou du moins aux proches qui sont encore dans les ténèbres extérieures. A full time job ! L'équilibre, peut-être, viendra de surcroît.