mardi 28 décembre 2021

Céline notules (4)

 

   Le Voyage comme réécriture de Candide, cela a été noté (par M-C. Bellosta p. ex.) ; surtout concernant l'invraisemblance des situations et des retrouvailles, immense chez Voltaire, très grande encore chez Céline, invraisemblance qui montre qu'il s'agit d'un "roman philosophique" et non pas d'un ouvrage "réaliste". Sitôt sorti du milieu originel, c'est dans les deux romans l'expérience absurde de la guerre. La traversée de l'Atlantique en galion espagnol du XVII° siècle est même un clin d'œil direct de Céline à Voltaire et au roman philosophique en général. Mais il y a d'autres analogies, en particulier les mots, les entassements de morts.
   Par exemple le chap. XI de Candide :
"Les captifs mes compagnons, ceux qui les avaient pris, soldats, matelots, noirs, basa­nés, blancs, mulâtres, et enfin mon capitaine, tout fut tué, et je demeurai mourante sur un tas de morts. [...] Je me débarrassai avec beaucoup de peine de la foule de tant de cadavres sanglants entassés [...]."
   Ce thème se retrouvera chez Céline en ayant transité, à l'évidence, par Le Colonel Chabert, et Adieu, deux références céliniennes insuffisamment mentionnées.

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   Dans Mort à crédit : "Tu les crois malades?... Ça gémit... ça rote... ça titube... ça pustule... Tu veux vider ta salle d’attente ? Instantanément ? même de ceux qui s’en étranglent à se ramoner les glaviots ?... Propose un coup de cinéma !... un apéro gratuit en face !... tu vas voir combien qu’il t’en reste..." Il y a une idée voisine dans un roman picaresque espagnol (lequel ?) : si on veut vider un hôpital de ses faux infirmes, il suffit de crier 'Au feu !" et la plupart s'enfuient en courant...  

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   Un thème de haute densité philosophique, qui parcourt toute l'œuvre de Céline : la disparition non pas partielle, mais totale, la vaporisation, l'anéantissement intégral : depuis l'obus qui a dispersé le camarade à l'armée, jusqu'aux prophéties finales de guerre atomique. Les derniers mots de Céline écrivain : "... que plus rien existe...". Un exemple frappant : dans les 'aventures' de Courtial, deux épisodes similaires : la 'vaporisation' de l'institutrice que le jeune Courtial voiturait galamment, et, à l'exposition, l'anéantissement furieux du chalet-témoin. Peut-être faut-il voir là une des motivations de l'écriture : les êtres et les choses disparaissent entièrement, mais peuvent persister un peu dans l'être quand ils sont racontés par un chroniqueur fidèle. Tous les copains perdus en cours de route, tous les lieux anéantis appellent à une écriture que l'on peut dire "pieuse". Tout s'écroule, tout s'anéantit. Mais scripta manent.

 

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    Une coquille persistante ?? Dans Mort à crédit, devant les difficultés à trouver un travail pour Ferdinand, l'oncle Édouard "commençait à triquer" dit la Pléiade... Étrange... ; tout le contexte invite à penser qu'il s'agit de "tiquer". Quant à "triquer" (= "bander"), on ne voit pas du tout pourquoi ; à moins que l'argot de l'époque ait connu cette acception - hypothèse pas impossible, mais bien improbable.