mardi 6 septembre 2022

Peinture (quelques textes brefs)


Blanchot (sur Malraux) : 

"Le peintre sert la peinture, et apparemment la peinture ne sert à rien. L'étrange, c'est qu'à partir du jour où il fait cette découverte, l'intérêt de l'artiste pour son art, loin de diminuer, devient une passion absolue."


Staël : 

"Dans les meilleurs tableaux tout se passe de telle façon qu'on a l'impression de n'avoir même pas son mot à dire."


Ruskin : The Elements of Drawing (1857), 

"The whole technical power of painting depends on our recovery of what may be called the innocence of the eye ; that is to say, of a sort of childish perception of these flat stains of color, merely as such, without consciousness of what they signify, -- as a blind man would see them if suddenly gifted with sight."


Updike, La New-yorkaise, in Solos d’amour :

 "Beaucoup de peintres ne supportent pas le cadre ; cela détermine la vision, selon eux ; ils préfèrent le brut. De toute façon, ils luttent contre le rectangle. Cela dit, nous avons remarqué, ajouta-t-elle avec un émouvant sourire penché, que le cadre rassure les clients. Il montre que l’œuvre est achevée, telle que l’artiste l’a vraiment voulue."


Starobinski : La Parole... p. 84 : 

"J'ai éprouvé de l'admiration pour des œuvres comme celles de Poliakoff ou de Rothko - dans sa meilleure époque - qui font chanter la couleur dans des hiérarchies ou des dispositifs autonomes (je n'emploie pas le mot "abstrait"). Lorsque la couleur est éloquente par sa distribution, sa richesse ou sa sobriété, toute représentation de corps ou d'objets peut disparaître."



samedi 3 septembre 2022

Notules (24) Littérature


Un conférencier de jadis (Joseph Paul) disait que Don Juan était, après la défaite du monde musulman face au catholicisme monogame, une revendication de polygamie. C'est absolument faux. Don Juan n'est nullement polygame, mais, si l'on veut, "polygyne". Il ne veut pas disposer de plusieurs épouses, mais, au contraire, séduire et abandonner, pour séduire à nouveau. Rien à voir avec le harem, vivier tout conquis où l'on choisit nonchalamment. 


Molière, Femmes savantes : 

"Le moindre solécisme en parlant vous irrite

Mais vous en faites, vous, d'étranges en conduite"

Le "vous" peut sembler une cheville, mais, tout au contraire, c'est un jeu de scène d'autant plus efficace qu'il est  verbalement bref : Chrysale n'ose pas critiquer sa femme, alors il critique sa sœur, et, par couardise, souligne que c'est bien à sa sœur que ce discours s'adresse. La précision, rectification, le jeu de scène, tombent sur la marque de l'hémistiche (6), quand il s'aperçoit que les premières syllabes sont dangereuses... Et un "solécisme en conduite", la formule est très réussie. 


Queneau, On est toujours trop bon avec les femmes in Œuvres complètes de Sally Mara p. 212 : 

"Des verres de bière à moitié vidés aigrissaient sur les tables qu'aucun torchon vigilant n'avait encore barbouillées. Deux ou trois tabourets gisaient renversés par des départs rapides."   

On reconnaît au premier coup d'oreille les impersonnels flaubertiens, les mouvements sans sujet apparent, l'action humaine qui brille par son absence. Dans Bovary par exemple, ces verres de cidre (presque) vidés par personne : 

"Des mouches, sur la table, montaient le long des verres qui avaient servi, et bourdonnaient en se noyant au fond, dans le cidre resté. »


Valéry, sur Proust, dans un recueil de propos édité par Mondor : "Quel délayage ! Et comme c'est déglingué...  Et trop de pédérastie, musquée, ou masquée." C'est cruel, mais c'est redoutablement expéditif, bien ciblé, et bien dit. 


Une jolie ellipse chez Steinbeck (The Winter of our discontempt, II, 11) : "All men are moral. Only their neighbors are not." Traduction possible : "Tous les hommes sont moraux. Mais pas leurs voisins." L'ellipse est drôle et virtuose, car les étapes omises sont nombreuses, avec renversement des perspectives, et pourtant on comprend tout de suite à la lecture. Ce qui est présenté comme un principe universel relève en fait d'une sorte d'enquête empirique, qui contredit le principe... Si on interroge, chacun se trouvera moral, mais il précisera aussitôt que ses voisins, eux, ne sont pas moraux. Et comme les voisins diront la même chose, tous les hommes sont moraux, et aucun ne l'est.  C'est à peu près le sens de la fable de la besace. Même humour par renversement non-dit dans la formule de Tchékhov dont j'ai déjà parlé : "Vous craignez la solitude ? Ne vous mariez pas !"


Bataille sur Breton : "Je regrette seulement qu'il ait si longtemps encombré le pavé avec ses idioties abrutissantes. Que la religion crève avec cette vieille vessie religieuse. Cela vaudrait la peine, cependant, de conserver le souvenir de ce gros abcès de phraséologie cléricale, ne serait-ce que pour dégoûter les jeunes gens de se châtrer dans des rêves."