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dimanche 22 mars 2020

Rilke : Der Panther (traduction M.P.)



Rilke, La Panthère, Nouveaux Poèmes, I (1902) [traduction M.P.] : 

Au Jardin des Plantes, Paris

Le long des barreaux elle a tant passé
que son œil si las sur rien ne se pose -
barreaux par milliers qui ont effacé
le monde derrière eux, et toute chose.

La force de son pas, douce cadence,
dans ce réduit se tourne et s'étourdit,
dessine un cercle où cette énergie danse :
un grand vouloir y reste abasourdi.

Si la paupière s'élève sans bruit,
alors une image va parcourir
du corps tendu les silencieux circuits,
de la pupille au cœur, pour y mourir. 



Rilke, Der Panther, Neue Gedichte, I (1902) : 

Im Jardin des Plantes, Paris

Sein Blick ist vom Vorübergehn der Stäbe
so müd geworden, daß er nichts mehr hält.
Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe
und hinter tausend Stäben keine Welt.

Der weiche Gang geschmeidig starker Schritte, 
der sich im allerkleinsten Kreise dreht,
ist wie ein Tanz von Kraft um eine Mitte,
in der betäubt ein großer Wille steht.

Nur manchmal schiebt der Vorhang der Pupille
sich lautlos auf -. Dann geht ein Bild hinein,
geht durch der Glieder angespannte Stille -
und hört im Herzen auf zu sein.


mercredi 8 janvier 2020

Perte et possession (Rilke, Valéry, Capote, Proust, Yourcenar, Dickinson, Durrell)


Le très jeune Balthus avait mis en images l'histoire de son chat perdu (Mitsou). Rilke a écrit pour lui une préface en français. Conformément à sa pensée orphique, Rilke parle de ce chat comme d'une Eurydice bien plus présente d'avoir été perdue, présente grâce à la catastrophe, à un niveau supérieur qui est celui de l'œuvre d'art qui à la fois dit et surmonte la perte. 
"Est-ce que vous avez bien réfléchi à ce que c'est que la perte ? Ce n'est pas tout simplement la négation de cet instant généreux qui vint combler une attente que vous-même ne soupçonniez pas. Car entre cet instant et la perte il y a toujours ce qu'on appelle - assez maladroitement, j'en conviens - la possession. 
Or, la perte, toute cruelle qu'elle soit, ne peut rien contre la possession, elle la termine, si vous voulez ; elle l'affirme ; au fond ce n'est qu'une seconde acquisition, toute intérieure cette fois et autrement intense. 
Vous l'avez senti d'ailleurs, Baltusz ; ne voyant plus Mitsou, vous vous êtes mis à le voir davantage. Vit-il encore? Il survit en nous, et sa gaieté de petit chat insouciant, après vous avoir amusé, vous oblige : vous avez dû l'exprimer par les moyens de votre tristesse laborieuse." 

Exactement à la même époque (à quelques semaines près), Valéry écrit : 
Adonis, Pléiade t.1 p. 488 : « ... ainsi le sentiment de l'amour, que la possession exténue, la perte et la privation le développent. Posséder, c'est n'y plus penser ; mais perdre, c'est posséder indéfiniment en esprit. »

Plus tard, mais encore à propos d’un chat (animal propice semble-t-il à ces réflexions) :
Capote,  Petit Déjeuner chez Tiffany, trad. G. Beaumont, Folio p. 119 : 
"... ça pourrait durer toujours de ne pas savoir ce qui est à vous, jusqu'à ce que vous l'ayez perdu"
"It could go on forever. Not knowing what's yours until you've thrown it away"

et
Proust, Sodome et Gomorrhe, 2° partie (suite) : 
« ... la maladie, en retirant peu à peu la vue à Brichot, lui avait révélé les beautés de ce sens, comme il faut souvent que nous nous décidions à nous séparer d’un objet, à en faire cadeau par exemple, pour le regarder, le regretter, l’admirer. »

et : 
Yourcenar, Le Temps, ce grand sculpteur p. 22 : 
« On ne possède éternellement que les amis qu'on a quittés. »

et :
Dickinson
«  Pour les fidèles, l’absence est de la présence concentrée. » 
[to Susan Huntington Dickinson, 1878, 'To the faithful absence is condensed presence. To the others - but there are no others.']

et : 
Proust, La confession d’une jeune fille (1), in Les Plaisirs et les jours  : 
« L’absence n’est-elle pas pour qui aime, la plus certaine, la plus efficace, la plus vivace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ?  »

et :
Proust, À l'Ombre des jeunes filles en fleurs
"Je songeai à une grande potiche de vieux Chine qui me venait de ma tante Léonie [...] Il me semblait que je pourrais bien en tirer mille francs. Je la fis envelopper, l'habitude m'avait empêché de jamais la voir ; m'en séparer eut au moins un avantage qui fut de me faire faire sa connaissance."

et : 

Durrell, Justine II, in Le Quatuor d'Alexandrie (traduction Giroux) :

"D’une certaine façon je sens que notre amour a vraiment gagné dans la perte de l’objet aimé ; c’est comme si la présence physique de l’autre empêchait la véritable existence de l’amour, sa réalisation."


mardi 5 juillet 2011

Rilke : Panther (traduction M.P.)



Der Panther
                    Im Jardin des Plantes, Paris
Sein Blick ist vom Vorübergehn der Stäbe
so müd geworden, daß er nichts mehr hält.
Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe
und hinter tausend Stäben keine Welt.
Der weiche Gang geschmeidig starker Schritte,
der sich im allerkleinsten Kreise dreht,
ist wie ein Tanz von Kraft um eine Mitte,
in der betäubt ein großer Wille steht.
Nur manchmal schiebt der Vorhang der Pupille
sich lautlos auf -. Dann geht ein Bild hinein,
geht durch der Glieder angespannte Stille -
und hört im Herzen auf zu sein.



La Panthère


                    Au Jardin des Plantes, Paris

Le long des barreaux elle a tant passé
que son œil si las sur rien ne se pose -
barreaux par milliers qui ont effacé
le monde derrière eux, et toute chose.

La force de son pas, douce cadence,
dans ce réduit se tourne et s'étourdit,
dessine un cercle où cette énergie danse :
un grand vouloir y reste abasourdi.

Si la paupière s'élève sans bruit,
alors une image va parcourir
du corps tendu les silencieux circuits,
de la pupille au cœur, pour y mourir. 


Poèmes de Rilke sur les animaux : 
voir Sonnets à Orphée  I-XVI ; I-XX ; II-IV       
à l'adresse :
https://sites.google.com/site/lesitedemichelphilippon/rilke-sonnets-%C3%A0-orph%C3%A9e-dossier




vendredi 30 avril 2010

Rilke : Sonnet à Orphée II 1 (2 traductions M.P., avec et sans rimes)


traduction complète à : 

 
Cinquante-cinq Sonnets à Orphée, qui parcourent toutes les facettes, archaïques ou modernes, de la poésie. Orphée dépecé imprègne le monde entier.
La figure mythologique domine la première partie.
Le premier sonnet de la deuxième partie reprend ce thème, mais sans habillage mythologique, dans son sens le plus simple : l'inspiration pulmonaire. L'air qui nous est prêté par le monde, le poète le restitue in-formé, sculpté, en une parole de beauté. Le mot ex-pression doit lui aussi être pris en son sens le plus simple : ex-piration.

Ce sonnet, le plus beau peut-être du recueil, un des plus hardis du point de vue formel, je l'ai lu, relu, remâché, des semaines, des mois durant, jusqu'à le respirer, l'assimiler - ou m'assimiler à lui. Je n'ai pas pu me décider entre une traduction rimée, plus dans ma façon habituelle, et une non-rimée, plus libre, pour un poème d'une grande liberté.


Atmen, du unsichtbares Gedicht !
Immerfort um das eigne
sein rein eingetauschter Weltraum. Gegengewicht,
in dem ich mich rhythmisch ereigne.

Einzige Welle, deren
allmähliches Meer ich bin ;
sparsamstes du von allen möglichen Meeren,-
Raumgewinn.

Wieviele von diesen Stellen der Räume waren schon
innen in mir. Manche Winde
sind wie mein Sohn.

Erkennst du mich, Luft, du, voll noch einst meiniger Orte ?
Du, einmal glatte Rinde,
Rundung und Blatt meiner Worte.





Invisible poème, respiration !
Pur échange du mien
sans cesse avec l'externe. Compensation
rythmique en laquelle j'adviens.

Onde unique, onde,
je suis ta lente progression
en une mer - la plus économe du monde -
expansion.

Nombre de lieux trouvèrent place et furent un moment
bercés en moi. Maintes brises
sont mes enfants.

Me reconnais-tu, air qui contiens encore mes espaces à profusion ?
Douce écorce prise
pour feuille et galbe de ma diction.



Souffle, invisible poème       
où purement toujours s'échange avec moi-même l'espace
du dehors. Contrepoids
dans lequel rythmiquement j'adviens.

Onde unique dont
je suis la devenante mer,
toi de toutes les mers la plus parcimonieuse,
expansion.

Des foules de ces places d'espaces furent
en mon sein. Plus d'un vent
m'est un fils.

Air, me reconnais-tu, encore tout chargé de ces lieux qui jadis furent miens,
toi naguère écorce lisse
et feuille souple épousant mes paroles ?

dimanche 18 avril 2010

Rilke, poème d'agonie (traduction M.P.)




               (sans titre ; décembre 1926)

Komm, du, du letzter, den ich anerkenne,
heilloser Schmerz im leiblichen Geweb :
wie ich im Geiste brannte, sieh, ich brenne
in dir ; das Holz hat lange widerstrebt,
der Flamme, die du loderst, zuzustimmen,
nun aber nähr' ich dich und brenn in dir.
Mein hiesig Mildsein wird in deinem Grimmen
ein Grimm der Hölle nicht von hier.

Ganz rein, ganz planlos frei von Zukunft stieg
ich auf des Leidens wirren Scheiterhaufen,
so sicher nirgend Künftiges zu kaufen
um dieses Herz, darin der Vorrat schwieg.
Bin ich es noch, der da unkenntlich brennt ?
Erinnerungen reiß ich nicht herein.
O Leben, Leben : Draußensein.
Und ich in Lohe. Niemand der mich kennt.




Tu peux venir, ma bien-connue, l'Ultime,
douleur déchirant le tissu du corps.
Mon âme est cendre, et jusqu'à l'intime
je brûle en toi. Mon bois cesse l'effort
de repousser ton feu, se décourage,
se laisse dévorer, brûler en toi ;
ma pulpe si douce devient ta rage
de fournaise infernale ; je suis ta proie.

Émacié de projets, pur d'avenir,
je suis au bûcher des mille tourments,
ne cherchant à mendier quelques moments
pour ce cœur silencieux qui va finir.
Cette brûlure, est-ce donc tout mon être
qui n'emporte même nul souvenir ?
O, vivre, vivre : pouvoir se sortir.
Moi dans le feu. Et nul pour me connaître.