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lundi 7 février 2022

Houellebecq styliste


   Houellebecq n'est pas un styliste, c'est évident. Sa phrase est souvent plate, médiocrement rythmée, bancale — fautive parfois. L'intérêt de la lecture est le plus souvent ailleurs : dans l'ambiance, la formule, le comique, la dérision, la dépression, les théories sociologiques, les allusions, etc. 

On trouve toutefois à la fin de Soumission une très belle réussite d'écriture. Les dernières pages ont un statut narratif et stylistique très intéressant. C'est une conclusion, un épilogue, mais par anticipation, et sur le mode du conditionnel. Perec ouvrait Les Choses par un conditionnel de rêverie magistral. Houellebecq (plus tard dans sa carrière que ne l'était Perec) clôt son roman par plusieurs pages réellement originales. Le personnage, qui sait qu'il va accepter le nouveau deal de la situation politique, esquisse à l'avance les étapes toutes simples de son accès à un nouveau statut, à une sorte de bonheur dans la soumission. 

Il introduit cette partie par une très habile notation météorologique, ou plutôt climatique :

"Quelques semaines allaient encore s'écouler, comme une espèce de délai de décence, pendant lesquelles la température allait peu à peu se radoucir, et le printemps s'installer sur la région parisienne ; et puis, bien entendu, je rappellerais Rediger."

Vu la saison, il est tout à fait prévisible que la température va se radoucir. L'ordre des choses est ainsi. La terre tourne, se rapproche du soleil, et le narrateur s'approche de l'acceptation : "... la température [...] et puis, bien entendu, je...". Les deux domaines sont entrelacés : on peut avoir la vague impression que la météo va observer un délai de décence. De même que l'hiver va évidemment céder au printemps, tout est joué d'avance pour l'homme qui va bénéficier d'une sorte de renouveau. La décision (je rappellerais) aura lieu, on peut l'estimer approximativement, comme la météo. Le conditionnel exprime ici l'inéluctable et, non sans paradoxe, il exprime un futur modalisé par l'acceptation. 

On retrouve dans ce procédé d'écriture quelque chose de ce que Spitzer a fort bien caractérisé, chez Charles-Louis Philippe comme "pseudo-motivation objective" (dont nous avions noté un analogue chez Ajar) : le sujet humain s'ex-cuse de ses actes en en faisant des effets découlant des mécanismes naturels. L'homme est entraîné avec le flux de toutes choses et, selon des modalités différentes chez Philippe, Ajar et Houellebecq, il constate qu'il n'est pas sujet autonome, que décisions et rébellions ne seraient que des glaçons au printemps. 

Sous la frêle protection d'un conditionnel tout platonique, le narrateur peut alors esquisser son épilogue dans ses grandes lignes inévitables, émaillant sa narration anticipative de quelques détails vraisemblables, qui constituent la faible marge d'indéterminisme de l'avenir. Il n'y a d'imprévu que l'insignifiant, que le secondaire. 

Ce qui donne la couleur singulière de ces pages, et l'intense plaisir de lecture qu'elles procurent, c'est l'utilisation étonnante du conditionnel pour exprimer l'amor fati, le consentement, l'humilité, et donc la soumission, à une religion certes, mais surtout à un ordre du monde qui nous entraîne. Une soumission nonchalante, sans grandeur, une résignation calme. Un stoïcisme serein, qui rappelle la célèbre comparaison (déjà citée) : "[Zénon et Chrysippe] affirmaient que tout est soumis au destin, avec l’exemple suivant. Quand un chien est attaché à une charrette, s’il veut la suivre, il est tiré et il la suit, faisant coïncider son acte spontané avec la nécessité ; mais s’il ne veut pas la suivre, il y sera contraint dans tous les cas. De même en est-il avec les hommes : même s’ils ne veulent pas, ils seront contraints de suivre leur destin." (Hippolyte, Réfutation des hérésies, I, 21).

Un véritable romancier, qui ne se contente pas de rendre un contenu intéressant dans une forme soignée, voire adaptée, mais qui entrelace intimement fond et forme, qui trouve, voire invente la forme spécifique qui exprime au mieux le fond singulier. 



dimanche 23 janvier 2022

Céline et Houellebecq, sur le maréchal Moncey

 

On trouve dans Soumission, quelques lignes sur le maréchal Moncey, à propos de sa statue place Clichy ; c'est probablement en rapport avec la situation de politique-fiction du roman ; c'est peut-être aussi un clin d'œil de Houellebecq au Voyage, où apparaît ce militaire oublié (les causes perdues sont un thème célinien constant).


Céline : 

"On prétendait qu’il possédait un plan d’escroquerie magnifique pour faire sa fortune en deux ans...[...] Tout cela était bien connu des actionnaires qui l’épiaient de là-bas, d’encore plus haut, de la rue Moncey à Paris, le Directeur, et les faisait sourire. Tout cela était enfantin.

 [...........]

L’Avenue est longue. 

Tout au bout c’est la statue du maréchal Moncey. Il défend toujours la Place Clichy depuis 1816 contre des souvenirs et l’oubli, contre rien du tout, avec une couronne en perles pas très chère. J’arrivai moi aussi près de lui en courant avec 112 ans de retard par l’Avenue bien vide. Plus de Russes, plus de batailles, ni de cosaques, point de soldats, plus rien sur la Place qu’un rebord du socle à prendre au-dessous de la couronne. Et le feu d’un petit brasero avec trois grelotteux autour qui louchaient dans la fumée puante. On n’était pas très bien. 

[...........]

Puisqu’on était heureux l’un et l’autre de se retrouver on s’est mis à parler rien que pour le plaisir de se dire des fantaisies et d’abord sur les voyages qu’on avait faits l’un et l’autre et enfin sur Napoléon, comme ça, qui est survenu à propos de Moncey sur la Place Clichy dans le courant de la conversation. Tout devient plaisir dès qu’on a pour but d’être seulement bien ensemble, parce qu’alors on dirait qu’on est enfin libres. On oublie sa vie, c’est-à-dire les choses du pognon.

De fil en aiguille, même sur Napoléon on a trouvé des rigolades à se raconter."


Houellebecq :

"La statue du maréchal Moncey, imposante et noire, se détachait au milieu de l'incendie. Il n'y avait personne en vue. Le silence avait envahi la scène, uniquement troublé par le hurlement répétitif d'une sirène.

« Vous connaissez la carrière du maréchal Moncey?

- Pas du tout.

- C'était un soldat de Napoléon. Il s'est illustré en défendant la barrière de Clichy contre les envahisseurs russes en 1814."


Monument de la place de Clichy (où Moncey est plutôt "XVIII°") : 

https://www.pinterest.fr/pin/303359724875380223/

Statue du Louvre, plus sombrement célinienne :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bon-Adrien_Jeannot_de_Moncey#/media/Fichier:Statue_du_mar%C3%A9chal_Moncey_au_Louvre.jpg


lundi 17 janvier 2022

Houellebecq : 'anéantir' est un gros roman


Je n'ai pas spécialement envie de dire du mal de Houellebecq ; mais il faut que j'en dise de son "gros dernier". En trois (ou quatre) mots : long ; pas bon ; raté (le premier résultant des autres).


1/ Pas bon :

Bien peu de verve, de mordant. Le plaisir de lecture est très mince ; même, l'ennui guette. La langue est souvent relâchée, dans les deux sens (phrases mal construites, et dénuées de caféine stylistique).

Les thèmes sont usés, les commentaires attendus. Un passage excellent, d'une page (cité ici) mais qui relève de l'édito (très réussi) plus que du roman. Si le roman avait été le déploiement fictionnel de ces idées, on aurait eu je crois un grand livre. Mais cette page sent la pièce rapportée dans une narration qui, elle, semble interminable... 


2/ raté : 

Ce ne peut être que très long, puisqu'il y a trois romans en un, qui ne se coordonnent presque pas. 

On a 1) un roman du ratage familial et conjugal, qui dure déjà beaucoup trop... Entrelardé par 2) un roman d'anticipation politique, qui, au moins pique la curiosité. Vient le moment (tardif) où les deux entrent en contact ; on croit que les deux thèmes vont s'entretisser - et puis non, ils ne font que se croiser en se disant à peine bonjour. On attaque alors 3) un autre roman (prévisible sur un indice qui se veut discret mais qui n'avait pas échappé à ma sagacité) sur la maladie, qui annule les deux romans précédents, qui les "débranche"... Ce roman n° 3, sur la maladie gravissime, est lui aussi long, détaillé, complaisamment précis sur les thérapeutiques (pas drôles) et les méditations (pas originales) du malade. Peut-être l'auteur a-t-il voulu montrer que les entreprises politiques et sociales sont irrémédiablement et arbitrairement annulées par la maladie ? 

Pour qui connaît la biographie de Huysmans (très présent dans Soumission), la maladie en provient très directement. Cf. mon ancien billet :

http://lecalmeblog.blogspot.com/2019/12/la-passion-de-j-k-huysmans.html

... et d'ailleurs, dans Soumission, Houellebecq anticipe très explicitement son roman suivant quand il écrit : "j'allais attraper par exemple un cancer de la mâchoire, comme Huysmans, c'était un cancer fréquent chez les fumeurs, Freud aussi en avait eu un, oui, un cancer de la mâchoire paraissait plausible. Comment est-ce que je ferais, après une ablation de la mâchoire ?"

À la jointure de 2) et 3), la restauration des relations conjugales n'est guère crédible ; l'auteur semble ne pas se soucier de la rendre telle - mais il en avait manifestement besoin pour la suite.

Et ça finit comme ça, sans finir d'ailleurs, sur la perspective d'avoir à mourir sous peu, ce qui n'est pas drôle, mais pas intéressant non plus. 

L'anticipation politique est plutôt amusante ; elle reprend la tonalité de Soumission. Le versant terroriste high-tech est le plus appétissant, mais il tourne très court. Les médias ont surtout parlé du ministre qui, dans le roman, est (jusque dans son nom) le décalque de l'actuel ministre de l'Économie. Je n'y avais pas pensé, et je les remercie de me l'avoir signalé. 


Je n'ai pas envie disais-je de dire du mal de Houellebecq : sa posture m'agace, sa médiatisation outrancière m'est pénible et, surtout, ses romans antérieurs sont selon moi très inégaux. 

Extension était une magnifique réussite, avec des idées et des situations, de la rapidité, beaucoup de mordant : le coup de maître d'un écrivain qui a de la patte dès son coup d'essai.

Les Particules avai[en?]t une grande ambition intellectuelle,  bien soutenue par l'écriture et la construction (la gageure était audacieuse). L'énorme vague médiatique n'empêchait pas que ce fût un roman important.

Plateforme, moins ambitieux, fonctionnait bien, et a bénéficié de son aspect prophétique.

Malheureusement, La Possibilité d'une île était selon moi un désastre, illisible, périssant d'ennui ; de grandes ambitions, comme les Particules, mais la "réalisation" tenait du naufrage. 

Avec La Carte et le territoire, on retrouvait de grandes ambitions, ma foi très bien soutenues par l'écriture, la construction et les situations. 

Soumission se lisait bien, agréablement ; amusant, bien que l'auteur semblât ne s'être pas trop fatigué, mais grosso modo, ça marchait. Un universitaire spécialiste de Huysmans, cela peut faire un bon pivot pour un roman de légère anticipation, et on peut imaginer que c'est cela qui a décidé la Pléiade à gommer (assez mal) cette honte de n'avoir pas admis Huysmans dans son empyrée.

Sérotonine, bof bof, ça tournait en rond, bien plat, rien de bien nouveau, un livre pour rien.

Puis anéantir, donc. 

Je conclurai en parodiant Woody Allen : le néant, c'est long, surtout au bout de 700 pages... 


*


Post-scriptum autobiographique : comment j'ai découvert Houellebecq. 

[ réécriture de Socrate découvrant Anaxagore (Platon, Phédon 96 a-99 d) ... et de Malebranche découvrant Descartes]

Partout, on parlait des Particules ; on voyait son auteur sur les écrans. Mauvais signe. À la Bibliothèque municipale de Bordeaux, lieu béni entre tous, j'avise en rayon un volume plus mince de cet auteur au nom bizarre. J'ouvre, et je tombe sur son article "Jacques Prévert est un con". Illumination instantanée : celui qui écrit cela ne peut pas être foncièrement mauvais... 

J'ai mis en ligne cet incipit qui me fut un Chemin de Damas houellebecquien : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/11/houellebecq-prevert.html


*

 

... en annexe, quelques miettes, anecdotiques :
   On lit
        1/ "ce n’est pas de ça dont je voulais vous parler pour le moment"
   D'accord, c'est dans le propos d'un personnage, rapporté entre guillemets ; c'est peut-être pour le faire parler de façon défectueuse.
   Mais mais mais... ce qui suit n'est pas un propos rapporté :
        2/ "ce n’était pas seulement des autres dont il avait du mal à se souvenir"
        3/ une belle anacoluthe :
"Fervente admiratrice d’Hitler, ses écrits annonçaient par ailleurs les thèses de l’écologie profonde"
        4/ une phrase cocasse :
"Où était passée Cécile ? elle avait disparu au milieu de la tarte aux pommes."
        5/ En revanche, une phrase qui fait mouche, vite et bien :
"elle c’était juste une pauvre sans commentaires"