samedi 6 juin 2020

Pétrarque : Sonnet LXVI [traduction M.P.]

[On a renoncé aux rimes, qui auraient exigé de trop cruels sacrifices ; surtout mondo / pondo, rime richement mélancolique et insubstituable, qui commande toute l’acoustique de ce sonnet pré-nervalien, desdichado : monde sans soleil, poète inconsolé…]



Tu as laissé, ô Mort, le monde sans soleil,

obscur et froid, l’Amour aveugle et désarmé,

la Grâce démunie, et les beautés infirmes,

et moi inconsolé, à moi-même fardeau,


La Courtoisie bannie, et l’Honneur à l’abîme.

Je m’en afflige seul, mais qui ne le devrait ?

Tu as détruit le germe illustre de vertu.

Disparu le premier, que devient le second ?


L’air, la terre et la mer devraient s’apitoyer

sur l’humaine lignée, qui est presque, sans elle,

une prairie sans fleurs, ou un anneau sans gemme.


Tant qu’il la posséda, le monde l’ignora :

mais moi je l’ai connue, qui suis resté pleurer,

et l’a connue le ciel, qui de mes pleurs se pare.




Lasciato ai, Morte, senza sole il mondo 

oscuro et freddo, Amor cieco et inerme, 

Leggiadria ignuda, le bellezze inferme, 

me sconsolato et a me grave pondo, 


Cortesia in bando et Honestate in fondo. 

Dogliom'io sol, ne sol o da dolerme, 

che svelt'ai di vertute il chiaro germe : 

spento il primo valor, qual fia il secondo ? 


Pianger l'aer et la terra e 'l mar devrebbe 

l'uman legnaggio, che senz'ella e quasi 

senza fior' prato, o senza gemma anello. 


Non la conobbe il mondo mentre l'ebbe: 

conobbil'io, ch'a pianger qui rimasi, 

e'l ciel, che del mio pianto or si fa bello.