vendredi 22 octobre 2021

Notules (12) (divers littérature)


Molière : Monsieur Jourdain, grand bovaryste, rêve d’un autre monde, aristocratique, élevé, de qualité, et ne supporte pas d’être bourgeois. À la différence d'Emma, ce n’est pas par des lectures qu’il a contracté ce mal ; c’est par le mépris social dont il souffre. Mais ce monde autre existe, il y a des aristocrates, de même que la Vaubyessard existe. La mobilité sociale commence, un peu, à l’époque de Louis XIV : Colbert, (peut-être un modèle de Monsieur Jourdain) était fils de drapier me semble-t-il. Mais la naissance ne s’acquiert pas, et on ne quitte pas Yonville. Donc la vraie vie est inaccessible, elle sera toujours ailleurs ; d'où les échecs similaires de M. Jourdain et d'Emma. Jourdain, Bovary, Proust : le snobisme, fil rouge des mentalités françaises ? 



Un bel exemple d'écriture artiste : Fénéon, dans Les Ventres : "Des rotondités féminines se trouvaient soudain en contact avec le plancher."



Deux débuts de romans (d'époque très voisine) qui se ressemblent beaucoup : Queneau, Les derniers Jours, et Aymé, Maison basse. Tous les deux visiblement issus de Bouvard et Pécuchet. Le style de Queneau a plus de relief que celui de Marcel Aymé (dont, il faut le reconnaître, Maison basse n'est pas ce qu'il a fait de mieux). Mais face à la fabuleuse richesse littéraire (et philosophique) de Flaubert, il (comme on dit) n'y a pas photo. L'incipit flaubertien est la description d'un monde sans humains, d'un parfait silence, où les choses jouent entre elles, dans une indifférence surnaturelle. Mais l'arrivée symétrique des deux bonshommes semble elle aussi une mécanique, un système de jacquemarts. 

Cf. la citation de Hugo donné à ce mot par le TLFi : "Chaque fois que l'aiguille atteint un chiffre, des portes s'ouvrent et se ferment sur le fronton de l'horloge, et des jaquemarts armés de marteaux, sortant ou rentrant brusquement, frappent l'heure sur le timbre en exécutant des pyrrhiques bizarres." (Le Rhin, 1842, p. 258)



Aymé, Maison basse. Il y a de bonnes, voire de très bonnes choses dans ce roman. Aymé a voulu montrer la vie d'un immeuble, avec divers appartements, les gens qui y vivent, l'influence de l'architecture et de l'urbanisme sur les mentalités et les relations sociales, etc. Mais il n'a pas réussi à les coordonner de façon souple et crédible. On a des blocs narratifs qui se rattachent mal. Jules Romains avait une technique plus audacieuse, et plus efficace. Perec procèdera de tout autre façon, en se dégageant des contraintes narratives habituelles. Dans le contexte d'une narration classique, je trouve (une fois n'est pas coutume) que c'est Zola qui a vraiment tenu ce pari difficile de l'unité multifocale, avec Pot-Bouille. Dans la production de M. Aymé, si l'on met de côté les nouvelles, il y a des pièces de théâtre, majoritairement ratées, et des romans, majoritairement réussis. Maison basse n'est pas dans le lot. 



Barthes, entretiens radio. Il dit que dans les arts plastiques, la couleur est de l'ordre de la pulsion. Cela fait des siècles que l'on dit, avec raison, que la couleur est l'élément sensuel et le dessin (forme) l'élément intellectuel. Que gagne-t-on à user de ce vocabulaire de la pulsion, sinon une teinture de modernisme ? 

(Ensuite, quand il dit qu'on ne peut pas ne pas être sensible à Magritte, il se trompe ; on peut).



Il y a des auteurs dont les œuvres principales peuvent se relire indéfiniment, comme on réécoute cent fois de grandes œuvres musicales. Parmi eux, pour moi : Flaubert, Giono, Céline, Nabokov, Queneau, Bouvier. Ça se relit comme Le Cimetière marin. On ne découvre rien de l'anecdote ; on n'a plus que la musique, la forme libérée de sa gangue. C'est ce que disent Proust (Sur la Lecture) et, dans une certaine mesure, Lukacs. 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/10/lukacs-forme.html



Balzac, Le Chef-d'œuvre inconnu. Le tableau, intitulé : La belle Noiseuse. Pourquoi Noiseuse ? Les érudits ont dû en traiter. En tout cas Balzac y fournit un modèle de peinture oiseuse. 



 

Queneau : la ville des crimes ?

 

Francis Bout de l'An... personnage qui n'est pas singulier seulement par le nom. Un des plus extrêmes collaborateurs (mentionné par Céline à Sigmaringen). On lit en effet sur sa fiche Wiki : 

L'arrestation de sa femme Simone le 6 juin 1944 lors de la libération de Saint-Amand-Montrond (Cher, en zone libre) par les troupes du maquis Surcouf/Combat, le décide à faire reprendre la ville à l’aide de miliciens et de troupes allemandes, le 8 juin 1944. Les pires exactions sont commises en ville : prises d’otages, exécutions, assassinats, incendies. Le mois de juillet voit s’enchaîner rafles et exécutions sordides des juifs cachés dans cette discrète petite ville ; 36 personnes : hommes, femmes, enfants, vieillards seront massacrés dans les puits de Guerry. Le calme ne revient à Saint-Amand qu’après la fuite de Bout de l’An. 


Pour certains, la ville de Saint-Amand-Montrond évoque irrésistiblement celle de Saint-Montron, ville natale de Zazie, où il s'est passé aussi (une quinzaine d'années plus tard) des choses bien horribles liées également à de sombres histoires de famille... : 

"Vous vous souvenez de la couturière de Saint-Montron qu'a fendu le crâne de son mari d'un coup de hache? Eh bien, c'était maman. Et le mari, naturellement, c'était papa. [...] Heureusement que Georges était là pour un coup. – Et qui était ce Georges ? – Un charcutier. Tout rose. Le coquin de maman. C'est lui qui avait refilé la hache (silence) pour couper son bois (léger rire)."