samedi 28 mai 2022

Céline, ego et alter (suite)


en complément de 

http://lecalmeblog.blogspot.com/2022/05/celine-ego-et-alter.html


Dans le Voyage, Céline décrit, à travers les propos de Baryton, le pamphlétaire qu'il deviendra environ cinq années plus tard : 

"Ce n’est peut-être que de la conviction exagérée... Mais je m’y connais en fait de démences contagieuses... Rien n’est plus grave que la conviction exagérée !... J’en ai connu bon nombre, moi qui vous parle Ferdinand, de ces sortes de convaincus et de diverses provenances encore !... Ceux qui parlent de justice m’ont semblé, en définitive, être les plus enragés !... Au début, ces justiciers m’ont un peu intéressé, je le confesse... A présent ils m’agacent, ils m’irritent au possible ces maniaques... N’est-ce point votre avis ?... On découvre chez les hommes je ne sais quelle facilité de transmission de ce côté qui m’épouvante et chez tous les hommes m’entendez-vous ?... Remarquez-le Ferdinand ! Chez tous ! Comme pour l’alcool ou l’érotisme... Même prédisposition... Même fatalité... Infiniment répandue... Vous rigolez Ferdinand ? Vous m’effrayez alors à votre tour ! Fragile ! Vulnérable ! Inconsistant ! Périlleux Ferdinand ! Quand je pense que je vous croyais sérieux, moi !… "



Notules (22) Littérature


Je méditais naguère sur les "slings and arrows" du monologue d'Hamlet : 

http://lecalmeblog.blogspot.com/2021/01/coquilles-invertebrees-inveterees.html

Mon option (modérée) pour la lecture "stings" se trouve affaiblie par la considération d'un texte antique que Shakespeare ne devait pas ignorer : l'Anabase de Xénophon. Dans la traduction de Taine, et dans d'autres j'imagine, il est souvent question de l'armée des Grecs subissant des attaques cruelles à coups de flèches et de frondes... Il faudrait voir la traduction dont pouvait disposer Shakespeare. 

cf. Taine, Anabase livre III : "ni les flèches des archers crétois, ni nos javelots ne peuvent atteindre aussi loin que les arcs et les frondes des Barbares"



Voisinage visuel... 

Valéry ("À Grasse", in Mélange) écrit très finement : "Grenouilles croassent et oiseaux gazouillent. / Croassements réguliers comme une scie, et sur ce fond, tout le cisaillement pépié des oiseaux."

Ce "cisaillement" est très juste. Pourrait-on aussi songer, à ce propos, à l'extrême proximité visuelle entre les deux mot "oiseaux" et "ciseaux" : il suffit de gommer un peu de la partie droite du "o" inititial des oiseaux pour en faire des ciseaux... 

Il y a un oiseau qu'on appelle ciseau :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bec-en-ciseaux

Il y a aussi des ciseaux en forme d'oiseaux : 

https://www.amazon.fr/EPRHY-Inoxydable-tranchants-Artisanat-Bricolage/dp/B07S8DC5TC



Bloy est un Don Quichotte du Saint-Esprit. Il est persuadé d'être missionné pour une grande œuvre de remise en ordre, de restauration d'un monde médiéval fantasmé. Même capacité à souffrir, à s'halluciner. Même tendance à entraîner autrui dans son rêve, que les échecs répétés ne le découragent pas. 



Le TLFi donne comme exemple, pour "quintal", une phrase de Jouy, dans L'Hermite de la Chaussée d'Antin, dont on peut penser que c'est une blague : "Une immense collection d'anciens journaux (...) pesant environ quatre quintaux, qu'on lui livra sur le pied de cinq sous la livre". 



Genèse matérielle de la littérature dans la littérature elle-même ; c'est-à-dire la littérature se souciant de son humble support, le papier : 

- Melville, Le Tartare des jeunes filles

- Hrabal, Une trop bruyante solitude

- Didierlaurent, Le Liseur du 6h27  

et bien sûr 

- Queneau, Les Enfants du limon : 

manie d'Astophe de récupérer de vieux papiers, de les trier, puis de les recycler. Mais on ne peut pas aller contre la dégradation de la qualité (entropie). Avec du papier, on ne peut faire que du carton. Cf.  surtout livre 8 chap. 159 : "Évidemment le carton on n’écrit pas dessus. Ce n’est pas comme le hollande. Mais quel déshonneur ? malgré la hiérarchie. Il faut sauver la matière."



Genèse du roman, mentionnée, voire décrite, dans le roman lui-même : Tristram Shandy ; Proust, La Recherche ; mais aussi Oblomov (dans la version complète). Et Queneau, Les Enfants du limon. 

Et d'autres (j'exclus les effets faciles de distanciation systématique dans le sinistre "nouveau roman" et dans les formalismes de cette époque frigide). 



Petit problème de traduction. Markowicz rend très bien, avec naturel, les tours familiers, approximatifs. Mais un problème se pose, c'est l'utilisation de formules très justes quant à leur signification et leur registre, mais  récentes, et donc marquées d'une actualité trop fraîche. Par exemple, dans Le Maître et Marguerite, un personnange parle d'un "grand n'importe quoi". Cela me gêne parce que ce n'est pas une expression des années 20, qui détonne donc. Cette expression, je l'ai "vue naître", comme on dit. Je l'ai entendue sur Canal Plus, et, pour moi, elle est liée à une configuration mentale qui n'a rien à voir avec le Moscou de 1920. Trop fraîche, trop jeune. Mais doit-on traduire uniquement en utilisant le français de l'époque du locuteur ou de l'auteur ? Ce serait trop historique (Shakespeare en vocab et graphie françaises du temps). Il faut que la formule se soit refroidie, désinsérée de son milieu d'apparition. Mais le problème est que pour un lecteur né en 2000, une formule de 1990 est "froide" ; il ne l'a pas vue naître ; elle fait partie du français familier ordinaire, sans adhérences particulières. En somme, quand on dit "trop récent"... ça dépend pour qui. 

Un exemple encore plus net. Les traductions anciennes conservent le pseudonyme russe du poète : "Biezdomny". Markowicz le traduit (bien) par "Sans-logis". On aurait pu risquer de le traduire par le pseudo-russe "Esdéef", efficace, mais anachronique. 



Depuis Gogol, la littérature russe est fertile en comparaisons saugrenues (un homme qui ressemble à un samovar, à un concombre). Par exemple, Slavnikova : "une petite vieille énergique pareille à une commode recouverte d’une housse de soie à volants." (Chez cette romancière, le physique des personnes est souvent traité de façon surprenante).



Dans une traduction du russe (Slavnikova) : " ... un sombre héros romantique..." Y a-t-il une blague dans l'original ? Le traducteur n'a-t-il pas "entendu" le calembour ?



Programme : lire en parallèle Chesterton, Le nommé jeudi, et Biély, Petersbourg. Ce dernier est l'exemple même du roman qu'il faudrait lire dix fois pour le savourer ; mais ce seraient dix odyssées... (nonobstant le fait qu'il faudrait le lire en langue originale...)



Nabokov plaçait le Petersbourg de Biély au plus haut. Cela se comprend déjà anecdotiquement (est-ce si anecdotique ?) par les innombrables brillances, luisances, scintillements et scintillations. Par exemple :  "un petit samovar tout neuf luisait comme un miroir"



Warhol, pour son titre Ma philosophie de A à B, s'est inspiré d'une vacherie de Dorothy Parker à propos d'une actrice : "elle parcourt tout l'alphabet des émotions de A à B".



jeudi 26 mai 2022

Pensées recueillies çà et là (13)


Queneau : 

"La folie est l’auto-déifîcation d’un individuel dans lequel ne se reconnaît aucun collectif." 

Les Enfants du limon


Guimard : 

"On ne devrait pas laisser aux jeunes gens ces corps qu'ils gaspillent et dont ils ont l'impudence de croire que la perfection, la docilité, vont de soi."

Les Choses de la vie


Valéry : 

"Ce qui ne se trouve point dans une époque est d’une importance capitale."

Cahiers, XXVI, 42


Valéry :

"D'où tirer l'énergie de vouloir ce qui s'adresserait à ce qu'il y a aujourd'hui en fait d'hommes ?"

1942


Kleist  ;

"L’esprit ne peut se tromper quand il brille par son absence."

Marionnettes


Céline : 

"La raison est morte en 14. Après, c'est fini. Tout déconne". 

Nord


Bloy :

"Le miracle, c'est la restitution de l'ordre"


Bloy :

"Ce n'est pas d'hier qu'on abuse de la parole ou de l'écriture pour l'extermination de la pensée" 

Belluaires


Valéry : 

"Si la vie avait un but, elle ne serait plus la vie." 

Cahier b, 1910


Giono :

"Nous sommes trop vêtus de villes et de murs."

Rondeur des jours


Céline :

"Les protestants savent s'ennuyer mieux que personne au monde, aussi sont-ils moraux et productifs et dominent-ils le monde."

L'Église


Valéry : 

"Il faut vouloir pour voir et cette vue voulue a le dessin pour fin et pour moyen à la fois". 

Degas


Claudel :

"Une œuvre qui est écrite dans l'intention d'un public quelconque sera toujours une œuvre manquée."


Mallarmé : 

".. l'apport hasardeux extérieur, qu'on recueille sous le nom d'expérience..."


Ronsard :

"La seule lyre douce 

L'ennuy des cœurs repousse

Et va l'esprit flattant

de l'écoutant."

   


mardi 17 mai 2022

Céline, ego et alter


Dostoïevski a inauguré, aux antipodes des exigences classiques de continuité et d'évolution logique du personnage romanesque, les transformations soudaines, inexpliquées, inexplicables ; les discontinuités mentales, morales ; les courts-circuits. Claudel voit bien sûr dans ces ruptures le signe de la toute-puissante irruption de la grâce dans le pécheur, plutôt que les effets de l'épilepsie. 

Chez Céline, on est aussi très apte aux substitutions de personnalité (l'un devient l'autre), et aux inversions (le personnage devient soudain l'inverse de ce qu'il a été). On saute aisément de ego à alter. Mais le plus étrange est que cela se joue autant au niveau des personnages romanesques qu'à celui de l'auteur lui-même, avec des passerelles entre les deux ordres de la fiction et de la réalité.

C'est, emblématiquement, ce par quoi Céline inaugure son œuvre : Bardamu s'engage, à l'opposé de ce qui semblait être ses convictions. Première et spectaculaire inversion des rôles. Autre exemple : le manuscrit du Voyage et la lettre à Gallimard montrent qu'entre Bardamu et Robinson, il a pu opérer d'étonnantes substitutions. Ensuite, le Ferdinand de Mort à crédit ridiculise son père qui dégoise des propos obsessionnels antisémites, puis Louis-Ferdinand, peu après, devient le plus obsessionnel éructant du genre.  

Dans ce registre (de l'inversion et de la substitution de registres) on trouve aussi une sorte d' "exercice de style" très intéressant, qui prend place au bureau du Génitron : quand vient un "râleux", Ferdinand, pour l'éconduire, prend le parti tactique d'en rajouter dans les insultes à l'égard de Courtial, ce qui désarçonne le visiteur en lui volant son rôle. Si bien que, sortant de sa planque, Courtial se demande quand même un peu si son jeune employé n'a pas dit ses vrais sentiments. Le lecteur quant à lui, se doute bien que c'est aussi, outre une tactique pour couper l'herbe sous le pied au récriminant, une façon d'exhaler son mépris. Mais quand on lit ce passage de véhémence simulée (en principe simulée), on a déjà un échantillon de ce que sera l'extrémisme des pamphlets : le personnage romanesque, banc d'essai du pamphlétaire ?

Face à ces étranges bascules on se demande (comme chez Pirandello) si la simulation n'est pas la vérité et la vérité simulation... Céline semble dire, comme Nerval "Je suis l'autre". 


voir complément :

https://lecalmeblog.blogspot.com/2022/05/celine-ego-et-alter-suite.html



mardi 10 mai 2022

Céline : Ferdinand équipé

 

Quelques remarques de rythme et de style sur un petit paragraphe :


Céline, Mort à crédit, Pléiade p. 654 :

"On m’a équipé à nouveau, pour me rendre plus séduisant. Je devenais coûteux comme un infirme. J’avais usé tout mon complet... J’avais traversé mes tatanes... En plus des guêtres assorties j’ai eu la neuve paire de tatanes, des chaussures Broomfield, la marque anglaise, aux semelles entièrement débordantes, des vraies sous-marines renforcées. On a pris la double pointure, pour qu’elles me durent au moins deux ans... Je luttais fort résolument contre l’étroitesse et l’entorse. Je faisais scaphandre sur les Boulevards... 


On m’a équipé à nouveau, 8

pour me rendre plus séduisant. 8

Je devenais coûteux comme un infirme. 10

ou   J'dev'nais coûteux comme un infirme 8

J’avais usé tout mon complet... 8

J’avais traversé mes tatanes... 8

En plus des guêtr'assorties 7 

la liaison serait infiniment trop littéraire

j’ai eu la neuv'paire de tatanes, 8

des chaussures Broomfield 5 

la marque anglaise 4 

ces deux segments plus brefs sont d'abord une apposition à "tatanes", puis une apposition à cette apposition ; des explications, des précisions, comme en aparté, comme entre parenthèses

aux semell'entièr'ment débordantes, 9 

là, ça déborde aussi, même avec deux élisions populaires ; 

on pourrait envisager une 3° élision "s'mell", ce qui donnerait le 8 si fréquent chez Céline, mais cela deviendrait artificiel, l'octosyllabe semblerait voulu, d'autant qu'il ne se rythmerait pas bien

des vraies sous-marin's renforcées. 8 

On a pris la double pointure, 8 

l'e final de "double" ne peut être élidé devant un P, car cela donnerait un "BLP" imprononçable ; 

pas impossible d'éliminer le L et de prononcer approximativement "douppointur", ce qui donnerait un segment de 7

pour qu’elles me dur'au moins deux ans... 8

Je luttais fort résolument 8

contre l’étroitesse et l’entorse. 8

Je faisais scaphandre sur les Boulevards... 10

long et large... 



Quelques remarques diverses : 


"On m’a équipé à nouveau, 

2 hiatus

pour me rendre plus séduisant.

auto-ironie

Je devenais coûteux 

vocabulaire des parents

comme un infirme. 

être habillé "convenablement", c'est être corseté, sanglé comme dans des prothèses ; cf. Vallès, L'Enfant, et son rapport toujours problématique aux vêtements qui l'engoncent et le grattent

J’avais usé tout mon complet... 

usage populaire et célinien de "tout", qui n'indique pas la totalité, mais signifie "vraiment"

J’avais traversé mes tatanes... 

exagération comique de l'usure et de l'allongement des pieds de l'adolescent, qui prépare les exagérations suivantes

En plus des guêtres assorties j’ai eu la neuve paire de tatanes, 

"neuve" mis en évidence ;: oralité ironiquement fière

des chaussures Broomfield, la marque anglaise, 

ironie toujours : les "tatanes" sont des chaussures de luxe

aux semelles entièrement débordantes, 

on ne lésine pas sur la quantité ; "entièrement", comme "tout", signifie "vraiment"

des vraies sous-marines renforcées. 

... mieux encore que les chaussures larges en général comparées à des bateaux ; élision du susbtantif ; l'adjectif suffit ; sémantiquement, "sous-marines" prépare le "scaphandre"

On a pris la double pointure, 

"on" = la mère, bien sûr, qui décide au nom de la famille ; 

vu la suite, il s'agit probablement de deux pointures de plus (mais cf. infra)

pour qu’elles me durent au moins deux ans... 

être économe, prévoyant, investir à bon escient ; le discours de la mère imprègne celui du narrateur

Je luttais fort résolument 

on lui dit et lui répète, on lui serine qu'il faut lutter dans la vie...

contre l’étroitesse et l’entorse. 

l'entorse, c'est normal puisque les chaussures sont trop grandes ; mais l'étroitesse ? cela ne semble pas logique avec deux pointures de plus ; peut-être est-ce pour suggérer que les inconvénients inverses ne s'excluent pas

Je faisais scaphandre sur les Boulevards... 

formule admirablement rapide, à la fois précise et allusive (j'avais l'air d'un sc. pour les autres + je me faisais l'effet d'être un sc.) 

on le voit se voyant rentrer chez lui méconnaissable, ridicule, énorme, pataud et vide ; vision de film comique ; 

il s'assimile maintenant à son vêtement, à son enveloppe ; sous ce déguisement, il a l'impression que son corps n'existe plus ; il est devenu carapace vide, apparence socialement convenable qui sacrifie l'individu. Le scaphandre évoque le milieu dangereux que sera la vie sociale. Cf. les scaphandres  à venir, des chercheurs de trésors chez Courtial, et ceux de Sosthène. Ferdinand va devoir plonger... 

 

 

lundi 9 mai 2022

Céline (et Valéry) : bateaux


Un point commun entre Céline et Valéry : l'attitude par rapport à la mer et aux bateaux. Tous deux sont passionnés par les bateaux comme spectacle, mais très réticents à l'embarquement et à la navigation. Les bateaux donc, mais vus du rivage : là est le pur plaisir.

Deux échantillons en étaient donnés ici : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/02/valery-et-celine-ports.html

Chez Valéry, le voyage en bateau est un cauchemar : cf. Sinistre. 

Chez Céline, les voyages en bateau tournent le plus souvent très mal (bateaux-mouches 'hygiéniques" où l'on taloche les moutards pour leur faire prendre le bon air ; vomissements sans fin de la traversée de la Manche ; traversée sur L'Amiral-Bragueton). Céline est obsédé par le thème du Styx à la traversée angoissante. 

Dans le spectacle nautique au contraire, tout est facile, tout est beau car allégé (par le principe d'Archimède). L'œil a peine à se détacher de ce miracle qu'est une pesanteur diminuée. On assiste alors, pour parler comme Baudelaire, à la seule chose qui importe, la "diminution des traces du péché originel" - ce péché étant, chez Céline, la pesanteur. Comme chez la danseuse, cette pesanteur semi-vaincue, c'est la grâce.

Dans l'aventure nautique au contraire, on perd ses repères, on est embarqué sans recours dans un "bateau ivre" sans poésie. Le séjour en bateau n'est serein que s'il s'agit d'une péniche amarrée où l'on fête un anniversaire. Après le choc de l'obus tombé à proximité, "on en chantonn[e] même un brin, en titubant, comme quand on a fini une bonne partie de canotage et qu’on a les jambes un peu drôles."

De cet horrible tangage interne, conséquence du traumatisme, un nouvel exemple est disponible dans Guerre : 

"J’avais tous les vertiges d’un bateau dans mon propre intérieur. La guerre m’avait donné aussi à moi une mer, pour moi tout seul, une grondante, une bien toute bruyante dans ma propre tête. "



lundi 2 mai 2022

Rencontres de noms...


 Deux remarques dont il n'y a peut-être rien d'autre à tirer qu'un étonnement amusé... 


1. Boulgakov et Perec :


Dans Le Maître et Marguerite (traduction française parue en 1968), l'épilogue montre une population effrayée qui, au moindre signe de ressemblance, croit partout retrouver les énergumènes diaboliques, parmi lesquels Koroviev. Or, du fait de ce zèle intempestif,

"Se trouvèrent pris, en différents autres lieux, en outre, neuf Korovine, quatre Korovkine et deux Karavaïev."


Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966) : le personnage principal est affligé d'un nom en perpétuelle variation, toujours commençant par "Kara..." : Karalerowicz, Karamanlis, Karaschmerz, Karawurz, etc.. 

Le préfacier dit : "Quant aux soixante-douze patronymes différents du héros, de Karamanlis à Karalarico, ils doivent sans doute beaucoup aux permutations qui, chez Queneau, frappent le Bolucra du Dimanche de la vie." 


2. Proust et Jarry (Charlus et Ubu)


... puisqu'il y avait justement M. de Cambremer et qu'il est marquis, comme vous n'êtes que baron… – Permettez, répondit M. de Charlus avec un air de hauteur, à M. Verdurin étonné, je suis aussi duc de Brabant, damoiseau de Montargis, prince d'Oléron, de Carency, de Viareggio et des Dunes. D'ailleurs cela ne fait absolument rien. Ne vous tourmentez pas », ajouta-t-il en reprenant son fin sourire, qui s'épanouit sur ces derniers mots : « J'ai tout de suite vu que vous n'aviez pas l'habitude. »


PERE UBU : Eh ! je m'enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens.

LE GREFFIER : Comté de Sandomir.

PERE UBU : Commence par les principautés, stupide bougre !

LE GREFFIER : Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.