samedi 28 janvier 2023

Pensées recueillies çà et là (21)


Simenon :

"Dans mon roman, tout est vrai sans être exact."

préface à Pedigree


Valéry : 

"[La musique] nous tisse un temps de fausse vie en effleurant les touches de la vraie."


Ricœur :

"Le texte, orphelin de son père, l'auteur, devient l'enfant adoptif de la communauté des lecteurs."


Cocteau :

"Savez-vous le poids occulte et beau de ce qui aurait pu être et de ce qu’on retranche ?"


Renard :

"L'amour tue l'intelligence. Le cerveau fait sablier avec le coeur. L'un ne se remplit que pour vider l'autre."


Fitzgerald : 

"À dix-huit ans, nos convictions sont des montagnes d'où nous regardons ; à quarante-cinq, ce sont des grottes où nous nous cachons."   


Camilleri : 

"Les hommes sont instinctivement persuadés que ce qui change bouge, alors que les vrais changements se mussent sous une immobilité apparente."


Renard : 

"Nos vertus, nous les devons à l'impuissance où nous sommes d'avoir des vices."


Hawthorne :

"Personne ne devrait lire un poème ou regarder un tableau ou une sculpture s'il n'est pas capable d'y trouver beaucoup plus que ce que le poète ou l'artiste y a mis."


Heine : 

"De mes grands chagrins je fais de petites chansons"

Intermezzo lyrique, trad. Nerval


Tchékhov : 

"Un seul et même mot a mille significations, mille nuances, suivant le ton dont il est prononcé et la forme qui est donnée à la phrase"


Pirandello :

 "Je suis vivant et je ne conclus pas ; la vie ne conclut pas"


Valéry :

"Pour organiser […] l’ensemble des choses observables, il faut multiplier les choses qui ne le sont pas."

Cours de Poétique


Valéry : 

"Le philosophe […] organise […] à froid les conceptions, les idées des images qu’il a conçues à chaud."

Cours de Poétique


Valéry : 

"Tout ouvrage de l'esprit n'est qu'une excrétion par quoi il se délivre à sa manière de ses excès d'orgueil, de désespoir, de convoitise et d'ennui." 

Le Solitaire


samedi 21 janvier 2023

Peinture (autres textes brefs)


Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture, I, sect 3 : 

"Le mérite principal des poèmes et des tableaux consiste à imiter les objets qui auraient excité en nous des passions réelles. Les passions que ces imitations font naître en nous ne sont que superficielles."


Balzac, La Cousine Bette : 

"Ce brio, mot italien intraduisible et que nous commençons à employer, est le caractère des premières œuvres. C’est le fruit de la pétulance et de la fougue intrépide du talent jeune, pétulance qui se retrouve plus tard dans certaines heures heureuses."


Helmholtz (référence ?) : 

"Dans une oeuvre d'art les figures ne pourront pas être celles des hommes ordinaires [...] mais des figures expressives et caractéristiques, aussi belles que possible, qui n'appartiennent à aucun individu vivant ou ayant vécu, mais à un homme tel qu'il pourrait ou qu'il devrait y en avoir, pour mettre en lumière un côté de l'être humain dans son complet développement".


Baudelaire, Salon de 1845 (Corot) : 

"Il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini – en général ce qui est fait n'est pas fini, et une chose très finie peut n'être pas faite du tout."


Delacroix, Journal 25 jan 1857 Plon p. 624 

"Byron dit que les poésies de Campbell sentent trop le travail... tout le brillant du premier jet est perdu. Il en est de même des poèmes comme des tableaux, ils ne doivent pas être trop finis. Le grand art est l'effet, n'importe comment on le produit. 


Merleau-Ponty, La Prose du monde chap. Le langage indirect : 

"Il importe de comprendre la peinture classique comme une création, et cela, dans le moment même où elle veut être une représentation de la réalité". 


Mauclair, De Watteau à Whistler (1905) : 

"Un tableau est une surface colorée, dans laquelle les divers tons et les divers degrés de lumière sont répartis avec un certain choix : voilà son être intime ; que ces tons et ces degrés de lumière fassent des ligures, des draperies, des architectures, c'est là, pour eux, une propriété ultérieure qui n'empêche pas leur propriété primitive d'avoir toute son importance et tous ses droits."


Zola, Proudhon et Courbet [1866], in Mes haines GF, 2012 , p. 69 :

"L’objet ou la personne à peindre sont les prétextes ; le génie consiste à rendre cet objet ou cette personne dans un sens nouveau, plus vrai ou plus grand. Quant à moi, ce n’est pas l’arbre, le visage, la scène qu’on me représente qui me touchent : c’est l’homme que je trouve dans l’oeuvre, c’est l’individualité puissante qui a su créer, à côté du monde de Dieu, un monde personnel que mes yeux ne pourront pas oublier et qu’ils reconnaîtront partout." 


Hugo, Choses vues p. 256 : 

"Quand nous commençons un tableau, me disait l'autre jour M. Granet, nous sommes riches ; l'inspiration rayonne en nous ; nous croyons avoir cent mille francs à dépenser. Hélas ! le tableau fini, il se trouve souvent que nous n'avons dépensé qu'un petit écu."


Valéry, Manet Pléiade t. 2 p. 1332 : "Le moderne va vite et veut agir avant la mort de l'impression"


Malraux, Psychologie de l'art (1947-1948-1950) : 

”L’obscur acharnement des hommes pour recréer le monde n'est pas vain parce que rien ne redevient présence au-delà de la mort, à l'exception des formes recréées.”


Nabokov, Lolita, explicit : 

"… te faire vivre à jamais dans l'esprit des générations futures. Je pense aux aurochs et aux anges, au secret des pigments immuables, aux sonnets prophétiques, au refuge de l'art. Telle est la seule immortalité que toi et moi puissions partager, ma Lolita."



vendredi 20 janvier 2023

Quatre remarques plus ou moins philosophiques


Nostalgie

On a remarqué, depuis le XVIII° siècle au moins, que la force de la nostalgie n'était pas en rapport avec le caractère idyllique du pays natal. Elle serait plutôt en raison inverse : plus le pays natal est aride, pénible, plus est forte la nostalgie. Mais peut-être ce "bien que" est-il lui aussi un "parce que" inaperçu. Dans cette nostalgie mordante d'un pays rude, voire hostile, apparaît la nostalgie dans son essence pure, déshabillée de tout prétexte aimable. Ce pays m'est cher seulement parce que c'est lui, et parce que c'est moi ; parce que nous sommes unis par nature, pas par jugement ou agrément. Il s'agit d'une convenance essentielle, et non pas d'un regret superficiel de climats amicaux et de fruits sucrés. C'est un amour-passion, qui ne se forme pas à travers l'évaluation de motifs et de plaisirs. Soft or hard, my country ! 



Malebranche et le  Kintsugi. 

Pour Malebranche, le mal est le problème, mais il est aussi la solution. Le Créateur montrerait certes une grande puissance s'il produisait un ouvrage parfait (Malebranche est peu enclin à l'idée leibnizienne selon laquelle cette perfection ne pourrait être qu'un jumeau inutile de Dieu). Le Créateur peut et même doit faire mieux, plus fort : un ouvrage imparfait, qui contient un défaut (le péché) qui détruise l'ouvrage, mais aussi occasionne un rétablissement merveilleux de sa perfection (felix culpa !) par l'intervention d'un Réparateur (le Christ). Un ouvrage qui se brise et se reconstitue est une preuve bien plus grande de la puissance divine, par rapport à une maigre et banale perfection.



Rivalité mimétique. 

A voit B avec une très belle femme. Il en est envieux car il prête à B des joies qu'il ne peut qu'imaginer, qui sont donc nimbées des prestiges du possible, et donc très surestimées. C'est connu (cf. Girard, passim). Stendhal disait qu'aimer, c'est s'exagérer les délices de l'intimité. L'envieux est donc dans un état qui a les mêmes effets que l'amour. Il est difficile de ne pas s'exagérer ce bonheur dont on ne jouit pas, mais qui doit bien être possible, puisque les autres semblent en jouir. On juge le réel en utilisant, comme norme implicite, un irréel qui est entr'aperçu (donc survalorisé), non dans les romans comme pour Emma Bovary, mais dans le veinard au bras d'une beauté. 



La chose et l'impression de la chose. 

Le grand tournant se produit vers le milieu du XVIII° siècle. On passe de la chose au sujet. De l'ontologie à la phénoménonlogie. De la recherche de ce qui est, à l'étude de ce qui nous apparaît. De la calologie (étude du Beau) à l'esthétique (étude de la sensation de beauté) (cf. Baumgarten). 

On étudie ce qui se passe dans le sujet ; dans un sujet qui est doté de mémoire, pour qui le présent n'est pas le pur présent, mais est imprégné du passé qu'il a connu, qui demeure en filigrane, en palimpseste, avec sa dimension affective. 

D'où l'intérêt de l'époque pour l'expérience de la nostalgie. 

D'où, en technique d'écriture narrative, la généralisation de l'hypallage. L'homme solitaire dans la forêt ressent la forêt comme solitaire, et l'exprime ainsi : on passe de "il allait, solitaire, dans la forêt" à "il allait dans la forêt solitaire". Certes, cela s'est toujours dit, mais avec grande parcimonie ; alors que cette figure de rhétorique est désormais généralisée au point de devenir un marqueur de modernité. 

Si l'objet disparaît en tant que chose, il demeure toujours plus ou moins en tant que souvenir, en tant que que parfum. Ce n'est qu'à partir de cette époque que l'on peut faire ce "mot" en apparence superficiel, mais à la fois fin et profond, selon lequel "Le silence qui suit du Mozart est encore du Mozart". Leibniz, via Baumgarten, permet la formule de Guitry car on peut donner un statut et une efficacité aux perceptions confuse -– ici, aux rémanences acoustico-affectives. 

La chose en vient même à être considérée comme encombrante. Avec les impressionnistes, la vibration lumineuse induite par la chose doit être préférée à une copie minutieuse de la chose elle-même. Et avec Mallarmé, il faut lui substituer la simple (et pure) suggestion du mot, plus riche en vibrations secrètes et précieuses.