samedi 27 novembre 2021

Haydn subversif


Dans le classicisme, il y a une forme (générale) qui précède et commande le contenu qui réalise cette forme. La loi est donc de ne pas surprendre, de ne pas prendre à contre-pied, de ne pas trahir les attentes. Quand Haydn, dans la symphonie dite La Surprise (Londres, 1792), fait intervenir, dans un contexte très doux et aisé, un fortissimo tonitruant (Paukenschlag, "coup de timbales", qui est le sous-titre en allemand), il enfreint délibérément cette règle. Dans son oratorio Die Schöpfung, La Création, il fait de même sur le mot "Licht", mais de façon plus sophistiquée et motivée. Il s'agit de Dieu créant la lumière : il y a motif à être nouveau dans la forme. On dit (?) que lors de la création de la Création, il s'était arrangé pour que la partition restât secrète sur ce point, afin que l'effet de saisissement fût maximal - et en effet il le fut : une terreur sacrée dans l'Autriche de la fin du XVIII° siècle. 

Mais la surprise de la symphonie qui porte son nom ne surprend plus guère — ni l'éclat de Licht. La surprise est un procédé dont les effets s'érodent. Valéry dit à propos de Bossuet le classique, en le comparant aux modernes : "il spécule sur l'attente qu'il crée, alors que nous spéculons sur la surprise." Haydn, premier moderne ? en cela, peut-être. "Moderne" ou "romantique" ? ici comme souvent, c'est équivalent. 

Dans son livre sur le mariage d'amour, Pascal Bruckner dit que le mariage fondé sur la passion est comme un plat très chaud au début, qui ne peut que devenir tiède avec le temps. Alors que d'autres mariages sont comme un brouet mis à tout petit feu ; au début, ce n'est pas fameux ; mais avec le temps, cela va en s'arrangeant, et peut finir par être très bon. Valéry, toujours lui, disait qu'on ne peut demeurer dans la flamme d'une chandelle, seulement y passer un instant. 

Choc et cumulation s'opposent comme entropie et néguentropie, comme passion et action, comme extase et construction, comme instant et durée. Ne verrait-on pas chez Haydn, de façon très paradoxale, les premières lézardes dans les valeurs de durée ? Très vite, avec Beethoven, les lézardes vont se faire plus nombreuses et plus sérieuses. 


Symphonie La Surprise, Solti, de 8'25 à 8'59

https://www.youtube.com/watch?v=gbf1LVE4UKM


Schöpfung dir. Spering : de 6'32 à 9'18

(avec une illustration pertinente)

https://www.youtube.com/watch?v=4u5Yigq9zQs



vendredi 26 novembre 2021

Mozart : à propos de la Gigue en Sol


Nouvelle écoute comparative. 

Après Falla et Jolivet : Mozart, petite Gigue en Sol (Leipziger Gigue, 1789) K. 574. 


Je re-recopie l'avertissement : 

J'ai procédé, avec mes moyens (limités) à une écoute comparative, un banc d'essai, une tribune à un seul critique. J'ai pris ce que j'ai trouvé sur Qobuz et sur Youtube (je crois avoir épuisé les diverses versions. Je ne suis pas musicien ni critique professionnel. Seulement auditeur (éclairé par une calbombe). Je rappelle plus que jamais que tous les jugements ci-dessous sont implicitement précédés de "il me semble que...", "j'ai l'impression que..." etc. 


On peut sans trop de problèmes écouter et apprécier un grand nombre de versions, chacune prenant environ une minute et demie. J'ai fait une large vendange, sur Qobuz et sur Youtube. Mais ce n'est probablement pas intégral : avec Qobuz, la recherche réserve toujours des surprises... 


Pour la présentation de l'œuvre, on peut voir :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Gigue_en_sol_majeur_pour_piano,_K._574


J'aime bien les œuvres dont la partition tient sur une page - quand même pas sur un post-it (cf. Webern) : la Sarabande en Cm pour violoncelle de Bach, ou cette 'piécette' de Mozart, dont les Massin ne disent rien, mais à laquelle Hocquart rend au moins un peu justice, et même hommage :

Hocquart, Mozart, 2° version, Seuil 1970 p. 140-141 : 

"Ne passons pas sous silence une petite merveille qui éclôt le 16 mai lors de son retour. Dans le livre de famille d'un organiste de Leipzig, il griffonne, en quelques instants, la Gigue en sol, K. 574, qui montre à quel point il avait fait sien le style de Bach en créant une pièce purement mozartienne."


Quelques remarques utiles dans la notice suivante, issue d'un disque, montrée au début de la vidéo de Demus et traduite presque impeccablement par le logiciel Google :

Mozart made a thorough study of The Well-tempered Clavier and The Art of the Fugue, even to the point of arranging some of the fugues for string quartet and string trio. He also wrote a number of fugues himself, as an additional way of becoming familiar with what was for him a new style and technique. Eine Kleine Gigue in G major (K. 574), though composed several years after his first encounter with Bach and Handel, enables us to see in what manner he was able to apply the contrapuntal style of a bygone era to his own purposes. The theme of the gigue is reminiscent of several similar works of Bach, though of course the overall treatment is quite different. At the beginning of the second section, the manner in which Mozart quotes fragments of the theme upside down in the right hand, in answer to the right-side-up version played in the left hand, is especially interesting. 

"Mozart a fait une étude approfondie du Clavier bien tempéré et de L'Art de la fugue, au point même d'arranger certaines des fugues pour quatuor à cordes et trio à cordes. Il a également écrit lui-même un certain nombre de fugues, comme un moyen supplémentaire de se familiariser avec ce qui était pour lui un nouveau style et une nouvelle technique. Eine Kleine Gigue en sol majeur (K. 574), bien que composée plusieurs années après sa première rencontre avec Bach et Haendel, permet de voir de quelle manière il a su appliquer le style contrapuntique d'une époque révolue à ses propres fins. Le thème de la gigue rappelle plusieurs œuvres similaires de Bach, bien que le traitement global soit bien sûr assez différent. Au début de la deuxième section, la manière dont Mozart cite des fragments du thème à l'envers à la main droite, en réponse à la version à l'envers jouée à la main gauche, est particulièrement intéressante." 


On peut aussi lire : 

Kinderman (William) : Mozarts Piano Music

"An admiration for J. S. Bach remained with Mozart until his final years and is reflected in one of his last independent piano pieces, the masterly contrapuntal Gigue, K. 574, in three voices, composed at Leipzig on 16 May 1789. The piece was written into the family album of the court organist Carl Immanuel Engel, evidently as a tribute to the Leipzig master, but it remains stylistically quite independent of Bach and, indeed, unlike anything else Mozart ever wrote. Particularly distinctive are the twisting angularity of the melodic lines, whose registral disparities enrich the polyphony, the bold dissonances, and the unusual pedal effects heard against shifting harmonies."

traduction Google :

"Une admiration pour JS Bach est restée avec Mozart jusqu'à ses dernières années et se reflète dans l'une de ses dernières pièces indépendantes pour piano, le magistral contrapuntique Gigue, K. 574, à trois voix, composé à Leipzig le 16 mai 1789. La pièce a été écrite dans l'album de famille de l'organiste de la cour Carl Immanuel Engel, évidemment en hommage au maître de Leipzig, mais il reste stylistiquement assez indépendant de Bach et, en fait, différent de tout ce que Mozart a jamais écrit. L'angularité sinueuse des lignes mélodiques est particulièrement distinctive, dont les disparités de registre enrichissent la polyphonie, les dissonances audacieuses et les effets de pédale inhabituels entendus contre des harmonies changeantes." 


***


Il y a des versions à l'orgue, vraisemblablement l'instrument que Mozart avait à l'esprit en l'écrivant (à Leipzig, dans une ambiance dominée par Bach, chez un organiste). Ce qui n'exclut pas le pianoforte, ni le piano moderne. Les performances acoustiques du pianoforte et les possibilités immenses de registration à l'orgue rendent la comparaison délicate entre les trois groupes.

Il y a bien sûr ensuite la... le... l'adaptation commise par Tchaïkovski pour un orchestre à cordes, dans Mozartiana, dont je préfère ne rien dire. 

Puis il y a, plus lointainement, les gigues de Schönberg ; celle pour piano évoquant assez nettement notre joyau en Sol ; et celle pour orchestre, op. 35 (liens en fin de billet). 

Je n'ai trouvé (ce qui ne garantit rien), que très peu de transcriptions, presque aucune de celles, plus ou moins bizarres ou exotiques, que l'on trouve souvent pour Bach ; les amateurs d'accordéon, d'ocarina ou de marimba ont pourtant bien dû y penser (les Cambridge Buskers ?).


On trouve facilement la partition ; téléchargement en .pdf p. ex. sur 

https://www.lespartitions.info/gratuites/mozart-gigue-en-sol-majeur-kv-574-idpart-217.html

La partition autographe est perdue, dit Wikipedia. Mais il faut signaler qu'un fac-simile (modérément lisible) est resté, téléchargeable sur ISMLP :

Holograph manuscript, 1789 ; 1918 facsimile reproduction of the autograph, formerly in the Kulturhistorisches Museum Magdeburg, which was destroyed during World War II. Low quality scan. 

https://imslp.org/wiki/Gigue_in_G_major,_K.574_(Mozart,_Wolfgang_Amadeus)


La pièce est très brève, c'est une danse, jetée sur le papier à toute vitesse ; cela fait plusieurs raisons d'éprouver combien le tempo est essentiel. Ici comme dans le Concerto pour clavecin de Falla (ou dans le théâtre de Feydeau), un rien, un brin, un poil plus lent, et le soufflé tombe. 

On procèdera par instrument : orgue, puis pianoforte, puis piano moderne, puis transcriptions. Dans chaque rubrique, un ordre... aléatoire. 



à l'orgue : 


Warnier

pas sur le web ; 

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/3279791112033]

agréable, bien net, de l'allant, très bonne lisibilité, sans problèmes de résonance, registration opportune.


Lecaudey

pas sur le web ; 

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/5410939750726

agréable, fluide, 'naturel', registrations légères ; bonne version (malgré la regrettable pochette du CD...). Style et qualité proches de Warnier.


Vernet 

sur le web  : 

https://www.youtube.com/watch?v=wB0IKJxAhaE

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/5410939750726

rapide, et pourtant sérieux (trop), présent, et même imposant ; un effet, probablement, de la registration. 


László Fassang

https://www.youtube.com/watch?v=4NlBfQGgkq8

très joli son ; peu rythmé, serein ; ce n'est pas ce que j'attends de cette gigue, mais c'est réussi dans son genre. 


Liuwe Tamminga

pas sur le web

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/4015023241725

C'est trop présent, cela s'impose trop ; pas assez transparent, pas du tout arachnéen ; cela reste écoutable, mais sans plus. 


Leo van Doeselaar

pas sur le web

sur Qobuz :

https://play.qobuz.com/album/0888608962964

Le son est séraphique; irréel, ce qui peut se défendre ; mais c'est extrêmement lent ! (2'10 contre 1'45 pour la plupart des autres). Il arrive à faire trouver l'œuvre  longue et ennuyeuse ! Quant à la danse, elle est bien loin.


Jean Guillou

pas sur le web

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0002894761205

terriblement lent, poussif (2'09 !)

Sonorités oniriques ; combiné avec la lenteur, cela m'évoque les Montres molles de Dali, ou le Jour de lenteur, de Tanguy. L'apparition tardive d'un registre nasillard particulièrement incongru complète ce "tableau" où règne une confusion auditive pénible. Guillou était compositeur ; il aurait fallu intituler : "adaptation par Guillou d'une page de Mozart"... 


Martin Haselböck 

pas sur le web 

https://www.youtube.com/watch?v=ht91P6_OgWE

registration très délicate, bon tempo ; glisse sans poids. Un plaisir. 


Hadrien Jourdan (2006)

pas sur le web

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0794881807925

C'est lent (1'53) ; ce n'est pas vraiment compensé par des accents et des phrasés inaccoutumés. Peut-être est-ce la registration qui est contre-productive ? On a moins une gigue qu'un déhanchement, une sorte de swing mou. Bizarre...


Hans-Andre Stamm (2014)

https://www.youtube.com/watch?v=-lFDDvqW7z4

Rapide ; la danse est presque perdue faute d'accents. Il n'y pas d'air, tout l'espace sonore est rempli à ras bord, alors que l'un des intérêts majeurs de l'œuvre, c'est le vide sur lequel se détachent les notes, comme un peintre qui laisse des 'réserves' sur sa toile pour la faire respirer. Ici, on ne respire pas ; et il est inutile que ce soit bien joué. 




au pianoforte


Paul Badura-Skoda (1986)

sur le web

https://www.youtube.com/watch?v=I5fNXpTYUGE

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/3614973142055

Il faut aimer le pianoforte, et juger selon des critères pianofortistes. J'ai longtemps adoré. Je suis maintenant bien plus réservé. Les aigus en particulier me semblent  moins minces que maigres et peu agréables (pas du fait de PBS, mais du fait de l'instrument qu'il a choisi). Les graves et le medium-grave ont de belles et intéressantes rondeurs, profondeurs. [PBS semble ne pas mentionner la Gigue dans sa somme L'Art de jouer Mozart au piano].


Kristian Bezuidenhout (2016)

https://www.youtube.com/watch?v=FeSFNTiiFVo

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0093046753221

Bon tempo, de l'impulsion, ça avance bien. Au pianoforte, c'est forcément un peu sec, mais il y a des interventions (modérées) de l'interprète à travers des ornements. Une version décidée, franche du collier. Le pianoforte n'est pas trop grêle, la résonance de la salle est bonne, ainsi que la prise de son. Version remarquable. 


Joël Gauvrit (2009)

https://www.youtube.com/watch?v=BGsCEM_4cOM

sur Qobuz :

https://play.qobuz.com/album/3610152719759

Assez animé, bon tempo, ; un peu sec (mais c'est du pianoforte). Du mordant (au sens psychologique) ; s'écoute très agréablement. 


Andreas Staier (2012)

https://www.youtube.com/watch?v=MItvcYDsXVU

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/3149020838907

Rapidissime (1'16'') ; parfaitement joué, avec des nuances ; mais l'ensemble est emporté par une hâte mécanique qui empêche de les goûter. C'est dommage. Il faut plusieurs écoutes de cette interprétation pour en repérer et en savourer les beautés.


Ludwig Semerjian (2000)

https://www.youtube.com/watch?v=BUO1W5Tf4yg

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0722056224925

Vif, très bien fait. Aucune critique. Mais rien de spécial non plus quant à l'expérience musicale. Pourrait servir de 'diapason' pour les versions pianoforte. 


Michael Tsalka

https://www.youtube.com/watch?v=JRkW6kky-9Y

C'est très curieux... (il faut voir la vidéo). Un pianoforte d'époque, avec des changements de "registres". On passe du très sec au très doux. Il y a quelques moments de grande beauté éthérée, d'autres de mécanique plate. Il n'est presque pas question d'interprétation, seulement d'organologie. 


Kaoru Iwamura (2020)

https://www.youtube.com/watch?v=q82roWRsa2k

(enregistré à domicile)

Pas mal du tout. Très bien fait (quelques accrocs sans importance), fin, délicatement touché. Convaincant car la simplicité vient d'une absence de prétention ; c'est donc cohérent et agréable. 



au piano moderne


Gesa Luker (2009)

pas sur le web

https://play.qobuz.com/album/4260036251531

C'est rapide, net, peu expressif, donc un peu impersonnel ; mais c'est très clair, il n'y a rien à critiquer, sinon que cela ne fait pas faire une expérience singulière. Le fortissimo final me semble inopportun, en raison de la légéreté de la pièce. 


Andras Schiff (1988)

sur le web : 

https://www.youtube.com/watch?v=HYb4xtLOEcQ

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0002894832354

Bonne version ; de la délicatesse, de la nuance ; la fin est fortissimo, hélas. Mais le tempo est un poil trop lent, le ton un poil officiel  et le piano un poil trop massif. Ce que l'on voit en comparant avec :

Andras Schiff Live 2004

https://www.youtube.com/watch?v=GYy57ZOOXIM

Je préfère de très loin cette version, plus souple, plus vivante, plus ronde, et surtout, au tempo excellent. En décomptant les blancs et les applaudissements des 2 versions, on obtient 1'22" en public contre 1'33" pour la version studio ; c'est une différence très significative. Il est possible que ce soit un 'encore', au moment où le musicien est plus 'chaud' et plus personnel. D'où beaucoup de vivacité, d'allant, ce qui est essentiel.


Jörg Demus  [3 versions]

1. sur Qobuz (Saphir) :

https://play.qobuz.com/album/0884385826406

Belle version, très fine. Un peu trop de résonance. Un minuscule bémol d'interprétation : la prolongation de l'accord final me semble peu opportune dans ce contexte de joyeuse expéditivité. 

2. sur le web

https://www.youtube.com/watch?v=aNhYYhsqBnA

Une autre version dit "Digitized from the LP shown above, released on the MHS label in the early 1970s", indiquée 1962. Ça craque un peu. Le son est plus mince, plus piquant (non sans charme), l'ensemble est nettement plus rapide (1'26" contre 1'34) ; c'est plus aéré et aérien. Ça danse. L'accord final est plus bref. Bref, je préfère.

3. en public, 2006

https://www.youtube.com/watch?v=s-SVGmLtbrA

Ce n'est pas convaincant du tout ; l'acoustique est déplorable, et le jeu... (78 ans)


Mitsouko Ushida (1985)

sur le web

https://www.youtube.com/watch?v=mPoibloHm_s

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/0002894830625

Très délicat, finement nuancé, à la fois précis et humain ; termine en douceur. Le piano moderne exploité avec beaucoup de grâce et de pertinence. L'accord final délicatissime. "Rien que du bonheur", comme on dit !


Fou T'Song (date ?)

sur le web :

https://www.youtube.com/watch?v=5E-b_Pyl7NA

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0191018140755

C'est magnifique ; délicat, impeccable, discret et rapide (à la limite supérieure de la bonne rapidité). Cela coule admirablement, avec un toucher parfait. Rigueur et fluidité. La perfection reste humaine. Une des meilleures versions.

Vikingur Olafsson 

sur le web

https://www.youtube.com/watch?v=nhyxjSULzMc

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/l0ymh7idlouza

Beau toucher, net et chantant ; fait apparaître des lignes souvent estompées dans les autres versions ; la fin n'est pas martelée. Très bon équilibre de technique, de nuance et de danse. L'effet acoustique (de la salle ? de la prise de son ? du piano ?) est un peu trop ample pour ce morceau intime. Accord final très réussi : discret, bef, un peu amusé / amusant. Excellente version.


Walter Gieseking : 

sur le web

https://www.youtube.com/watch?v=PQcawynUOPQ

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/0887396347854

Le son, ancien, gêne beaucoup mon appréciation. Le jeu me semble nuancé, délicat. Le piano un peu volumineux et un peu lent. Mais je n'arrive pas à juger (sauf le FF de la fin, regrettable)


Albert Ferber (entre 1945 et 1951)

sur le web :

https://www.youtube.com/watch?v=TLHZttlKA5Y

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/gl41vteq27tqc

Comme pour Gieseking, le son fait obstacle. Moins délicat que Gieseking, mais plus allant. Mais les accents sont peu marqués. En compensation, ça galope bien. 


Eileen Joyce (1941)

sur le web 

https://www.youtube.com/watch?v=6sASvtTNEDc

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/search/all

Son d'époque ; alternance entre des passages nuancés et des passages (plus nombreux) trop athlétiques. La fin piano fait pardonner bien des choses... 


Leon McCawley (2006)

sur le web

https://www.youtube.com/watch?v=pnRhLVkFO94

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/0822252210521

Un peu appuyé ; on ne file pas au-dessus du sol. Le son a du poids, et il ne devrait pas en avoir. Il faut un elfe, un feu follet... 


Christian Chamorel (2018)

sur le web : 

https://www.youtube.com/watch?v=P04uYWodNM8

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/f044mkfd94naa

Vitesse folle : à peine plus d'une minute (il y a un long silence après la fin, le timing indiqué n'est donc pas représentatif). C'est parfait, parfaitement virtuose. On n'a le temps de rien entendre. La danse n'est plus que très lointainement perceptible. C'est prodigieux et consternant. D'autant que, dans le disque, cette course de F1 suit un Adagio en Si mineur très beau, mesuré, pondéré, très délicat. (le toucher de la Gigue est délicat aussi, mais...).


Karl Engel (1982)

sur le web : 

https://www.youtube.com/watch?v=xg7DjiK4_o8

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/0825646233663

Le pianiste est homonyme du dédicataire. Lent, analytique, froid ; pas engagé du tout ; renâcle au dynamisme, à la danse ; les appuis sont favorisés sans contrepartie. C'est joué de façon très égale, indifférente (si j'étais méchant, je dirais : 'inhabité', ou 'scolaire'). C'est du travail sérieux ; mais ici, le sérieux seul est une pauvre chose. Baudelaire disait : "'il y a une grande différence entre un morceau fait et un morceau fini - [...] en général ce qui est fait n'est pas fini, et [...] une chose très finie peut n'être pas faite du tout."


Leo Sirota (avant 1965)

sur le web :

https://www.youtube.com/watch?v=1avzhNEBAg4

enregisrement à l’ancienne ; dommage que la fin soit FF car l’ensemble est léger, dansant, d’un toucher agréable, d'un bon tempo. Le tout début semble un peu confus dans ses appuis, puis ça va fort bien. 


Ingrid Haebler 

https://www.youtube.com/watch?v=MU6xRoSOQ6U

(avec le manuscrit)

Le son d'époque est médiocre ; le tempo convient ; belle interprétation, nuancée (suivi de la version Tchaïkovski, avec la partition)


Lili Kraus 

https://www.youtube.com/watch?v=rcl_ZAeHfKU

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0017685100123

C'est très rapide (1'22"), très dynamique, à la limite de la précipitation (les dernières mesures p. ex.). La délicatesse des aigus est un peu trop opposée au poids de certains graves. Souvent lourd. Assez décevant, venant d'un si grand nom.


Carl Seeman (1956)

sur le web : 

https://www.youtube.com/watch?v=NLPny1o8wNE&t=17s

sur Qobuz : 

https://play.qobuz.com/album/0002894775856

clair et net ; s’écoute bien ; bon tempo ; peu nuancé, peu personnel, mais précis, et un son assez bon. 


Daniel Hoexter (1991)

https://www.youtube.com/watch?v=-FO5eNktDlo

tempo très vif (un poil trop ?) ; précis, bien fait ; accord final en douceur ; version fine, très agréable.


Peter Donohoe (2020)

sur le web :

https://www.youtube.com/watch?v=SZqfRx_0TDE

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/fy1q2v1dnxh4a

Rapide (1'20") et très ferme. Du nerf, du dynamisme ; et pourtant ce n'est pas la danse qui est favorisée mais, souvent, l'assise harmonique ; ce qui donne une très bonne stabilité malgré le tempo. Cela fait une association originale entre prestesse et assise. On peut trouver que le caractère "dilacéré" de la pièce (son côté "Oiseau prophète") est nié, mais il y a de belles compensations. Version affirmative.


Daniil Bogdanov

sur le web : 

https://www.youtube.com/watch?v=LMhgN17IjeY&t=18s

(à 1’30”)

très bon tempo, rapide, fluide, très agréable ; peu de nuances, mais une sensation d’aise, de facilité, de naturel ; pas de poids. Intéressant.

-> on peut admirer ici DB en bébé-prodige dans une acoustique massacrante :

https://www.youtube.com/watch?v=YtKcags09IE


Mayuko Obushi (live, 2019 ?)

https://www.youtube.com/watch?v=AUYLkRTKVSo

Sur scène (sans public semble-t-il). Bien ; un peu appuyé ; un petit ritardando (à 1'11") qui semble peu cohérent avec l'ensemble ; une conclusion trop forte. L'acoustique (ou la prise de son) n'est pas très agréable. 


Stephen Malinowski

https://www.youtube.com/watch?v=VAwD0pLA8Pk

On a droit à une visualisation de la musique ; c'est amusant ; c'est peu propice à l'écoute véritable, mais c'est astucieux et bien fait. 

Musicalement, c'est rapidissime, ce qui pourrait convenir ; mais c'est parfaitement mécanique, impersonnel. C'est plus sautillant que vivant. On croit entendre un ordinateur (c'est peut-être en effet un ordinateur).


Alexander Lonquich (1990)

https://www.youtube.com/watch?v=HIoygwDDb38

Extrêmement rapide (1'15" !) ; à mon avis, trop ; on n'a pas le temps d'entendre, de savourer, et la danse est annulée aussi par cette vitesse qui devient "expéditivité" (probable néologisme). Technique parfaite, mais c'est tout ce qui reste, et c'est au crédit du pianiste, pas de Mozart. L'illustration de la vidéo est le Funambule de Klee ; cela désigne bien l'intention - et les limites - de cette version. 


Federico Colli (2011)

https://www.youtube.com/watch?v=vKI-MyVFObs

en public à Salzbourg ?

Un commentaire dit : "Precisione millimetrica. Eccezionale." Un autre : "Ottima, ma forse un po' troppo veloce." Le toucher est très délicat ; la danse est presque évaporée dans la rapidité (1'12" !) et la fluidité. C'est très beau, léger comme un elfe prémendelsohnnien. On devrait critiquer le côté performance ; mais c'est si bien fait qu'il fait apparaître une autre tendance de l'œuvre, un rêve de facilité magique et de richesses chuchotées ; une sorte d'aile de libellule, un presque rien onirique ou surnaturel. On lit sur la page Wilki du pianiste : "Son toucher magnifiquement léger et sa grâce lyrique font briller la musique, selon The Daily Telegraph."

Il a enregistré du Scarlatti : je vais aller écouter ça !


Mikhail Petukhov

https://www.youtube.com/watch?v=S_JY0BWQZdM

(live, Moscou)

Rapide, léger, précis, agréable. Piano moderne assumé, pas asséné.


 Fubuki Yajima

sur le web :

https://www.youtube.com/watch?v=iG-V4IsLQnY&t=11s

Très bien fait, un peu dur ; un piano un peu trop athlétique (Bösendorfer bien montré); mais des inflexions intéressantes ; fin un peu sèche. 

Tous les détails sont donnés sur la technique d'enregistrement :   

VideoCamera: Sony·FDR-AX45 ; Microphones: AudioTechnica·ATM450 ; Recorder: Tascam DR-40x ;

on se croirait chez Bret Easton Ellis ou chez Houellebecq,... mais pas de date.


Antonina Suhanova (2019)

https://www.youtube.com/watch?v=yxVk5X_tndY

sur scène sans public, Londres

rapide ; très au point ; peu personnel


Yoav Levanon

https://www.youtube.com/watch?v=R_QK1xQ-21s

(WOK Mozart Festival)

fin, peu marqué, très délicat, peu dansant, mais très fluide, très bien fait. ; très beau son de piano. À la toute fin, un ornement ; pourquoi pas ? Présentation visuelle très soignée.


Itzhak Solsky (2005)

https://www.youtube.com/watch?v=5HrbmfnnmXw

live, Israel

semble assez bien, mais l'acoustique de la salle est rhédibitoire


André Pédico (2020)

https://www.youtube.com/watch?v=7wGMsF1lrHY

enregistré at home (Yamaha Clavinova CLP 635)

assez sec, pas mal fait


Kit Armstrong (2020)

https://www.youtube.com/watch?v=aNwQGZpQOWg

(commence par des propos en anglais où il y a... à prendre et à laisser) Jeu très net, clean (comme l'image) ; parfait ; froid. Mais on peut trouver que cela a le mérite d'établir une sorte de version-repère.


Nigel Coxe (2018 ?)

https://www.youtube.com/watch?v=eL5TJeD1Oi4

enregistrement à domicile ; l'acoustique est déplorable, mais c'est bien fait ; tempo assez modéré ; une note accrochée je crois, à 1'11' (mais c'est sans importance, c'est même le grain de sel de ces interprétations domestiques) ; peu de nuances ; c'est donc un peu froid, mais très écoutable (hormis l'acoustique)


Chris Breemer (22 octobre 2021)

https://www.youtube.com/watch?v=_WccW_3KAFY

enregistrement Kawai à domicile ; l'acoustique est ... relative ; l'instrument sonne très gros ; comme le jeu est assez marqué, l'ensemble est trop volumineux, athlétique - et peu nuancé. Quelques flottements - mais on est tellement accoutumé aux enregistrements en studio de super-virtuoses qu'il est difficile de mettre en regard une prise "en famille"


Boon Chuan (2020)

https://www.youtube.com/watch?v=UIhwCvE3Sso

at home ; c'est gentiment joué, et très lent, sans relief. 


IGA000TAKA (??)

https://www.youtube.com/watch?v=yEqDzGx0Unk

froid, mécanique, son dur, et bien des fautes (2 fois, avec la caméra placée autrement… à quoi bon ?)


Maestroberti (??) (2018) 

https://www.youtube.com/watch?v=8m3duXwH3vI

la site indique 'Non solo Pianoforte' ; en effet... ; c'est le piano moderne dans toute sa dureté ; pénible car lourd, contre l’esprit de la pièce ; mécanique.


David Ernest Molnar (2021)

https://www.youtube.com/watch?v=DynNf4s1mdc

très lent, analytique, exercice de déchiffrage en demi-vitesse ; pénible. On suit la partition. Cela ne compense pas. On croit réviser son solfège... 



transcriptions / adaptations


Yuko Inoue (2019)

https://www.youtube.com/watch?v=Z5FrCg9jd98&t=1s

(à 8' 50") (enregistrement à domicile)

la seule version que j'aie trouvée pour le clavecin ! Mais des rythmes étranges, un son confus, une acoustique déplaisante, et pas mal de fautes... 


Leszek Możdżer (2017)

https://www.youtube.com/watch?v=s1b8-1LEDIY

arranged by Walter Norris

Tant qu'on s'en tient à la partition, c'est inerte, avec une sonorité déplorable ; les effets d'adaptation sont calamiteux. L'ensemble promet de durer 5'43, je craque à 2'40... 


Kreutzer Quartet (déc 2021, publié en fév 2021 ... ?)

https://www.youtube.com/watch?v=0ohl2zQWF4k

(avec masques covid)

Les adaptations sont rares. En général, je suis friand de transcriptions sérieuses pour quatuor. Mais là, ça sonne horriblement faux ; c'est insupportable ; je présume que c'est l’acoustique de la salle qui doit être meurtrière, car il ne s’agit pas d’amateurs en répétition ; ils ont enregistré du Reicha… Mais, même hormis le "son", c'est bien trop lent et sans vie.


Goodman ... and friends

sur le web 

https://www.youtube.com/watch?v=zR2kbfpxg6c

sur Qobuz

https://play.qobuz.com/album/0805552213027

vocaliste, violoncelle, vibraphone, tambourin, guitare

C’est tout à fait charmant ! très agréable. Mais ce qui vient après la transcription proprement dite me semble bien moins convaincant. 



***


En écho, en parallèle avec cette gigue : 

Haendel, Scarlatti et Bach, signalés sur France-musique comme voisins de cette gigue :

https://www.francemusique.fr/emissions/une-oeuvre-trois-idees/mozart-et-sa-gigue-pour-piano

De Scarlatti, on y peut entendre la fugue écrite sur un thème proposé par son chat - comme Bach écrivait sur un thème proposé par Frédéric...

De Bach (par Gould), une pièce qui commence de façon magnifiquement déchiquetée, comme notre Gigue.

Mais, nobody's perfect, l'alourdissement tchaïkovskien en est mentionné sans warning pour la protection des oreilles enfantines. 


Ensuite, je suggère, pas pour la danse, mais pour le piano qui lance de minces lignes diaphanes, aux harmonies magiques : 

Schumann, L'Oiseau prophète (Pirès) (avec partition) :

https://www.youtube.com/watch?v=GT_q5d84cVY


Pour la réelle descendance de la Gigue de Mozart : 

Schönberg suite op 25 [et non 35], Gigue par Gould

(Youtube) (1966 ?)

https://www.youtube.com/watch?v=pLKVe8YikRo

Schönberg Gigue finale de la Suite op 29 Boulez 

(Youtube) (2009)

https://www.youtube.com/watch?v=KHGs_TyZ86E



Podium 


En résumé, l'art consistant, surtout dans cette 'œuvrette', à "satisfaire simultanément à des exigences contradictoires" (Valéry dixit), l'excellence est rare, même si la bonne qualité est assez fréquente. 


à l'orgue :

Warnier https://play.qobuz.com/album/3279791112033]

Lecaudey https://play.qobuz.com/album/5410939750726

(Guillou et Doeselaar exclus)



au pianoforte : 

Bezuidenhout https://www.youtube.com/watch?v=FeSFNTiiFVo

en embuscade :  

Staier https://www.youtube.com/watch?v=MItvcYDsXVU

https://play.qobuz.com/album/3149020838907



au piano moderne : 

Ushida 

https://www.youtube.com/watch?v=mPoibloHm_s

Schiff en public 

https://www.youtube.com/watch?v=GYy57ZOOXIM

Fou T'song

https://www.youtube.com/watch?v=5E-b_Pyl7NA

    mention spéciale : 

    Colli         

https://www.youtube.com/watch?v=vKI-MyVFObs


+ 2 versions très appréciables : 

Olafsson  

https://www.youtube.com/watch?v=nhyxjSULzMc

Donohoe 

https://www.youtube.com/watch?v=SZqfRx_0TDE