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jeudi 20 février 2020

Céline : l’incipit du ‘Voyage’, encore et toujours…


« Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est Arthur Ganate qui m’a fait parler. Arthur, un étudiant, un carabin lui aussi, un camarade. » 
Sur cet incipit, on a tout dit, semble-t-il. Et pourtant…
« Ça a débuté comme ça » annonce la couleur (= institue un ‘pacte de lecture’) en 7 syllabes, voire dès les 3 premières lettres, le lourd hiatus çA-A étant la forme minimale de la phrase commencée et refermée par le même A. On ne va pas de l’alpha à l’oméga, mais de l’alpha à l’alpha, autant dire qu’on vit pour rien : l’existence est un absurde ouroboros (Valéry disait : « passer de zéro à zéro »). 
Flaubert avait osé commencer Salammbô par une rafale de A (« C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar »), mais Céline fait plus brutal et plus copieux encore : 
çA A débuté comme çA.  moi, j’Avais jAmais rien dit.  rien.  c’est Arthur gAnAte qui m’A fait pArler.  Arthur, un étudiant, un cArAbin lui aussi, un cAmArAde. 

D’abord, donc, une courte phrase vide, qui ne sert qu’à dire que l’on commence à parler ; on fait ronfler le moteur avant de démarrer. Phrase toute ‘phatique’, qui capte le lecteur, on le capture dès l’abord dans la narration oralisée.
Du côté du contenu, les thèmes céliniens apparaissent dès les premières lignes : le parler populaire dans la littérature, l’expérience personnelle, le paradoxe de l’écrivain qui dit qu’il vaudrait mieux se taire, la médecine. 
La médecine est présente, mais plus précisément l’hygiénisme. L’onomastique célinienne est toujours bizarre, ‘carnavalesque’ ; les noms sont d’un ridicule nettement perceptible (Des Entrayes, Puta, puis Méfaize, Pinaise, etc.). Or le tout premier nom qui apparaît, Arthur Ganate ne sonne ni comme un ‘vrai’ nom, ni comme un sarcasme. 
Le prénom est-il une allusion à Schopenhauer et donc à son pessimisme ? ce n’est pas impossible, mais cela semble improbable. C’est plutôt un prénom-type de l’époque, qui peut aussi désigner un mac ou un personnage populaire peu recommandable : on songe au Conte du Lundi d’Alphone Daudet intitulé Arthur, qui décrit un milieu et des comportements très ‘céliniens’. 
Quant au patronyme Ganate : certes, il y aura des ‘ganaches’ dans l’épisode guerrier du roman. Mais les commentateurs de Céline ont-ils mentionné le fait que ce nom peut (et presque : doit) être considéré comme l’aphérèse du mot ‘permanganate’ (de potasse), qui désigne un antiseptique très courant à l’époque dans le traitement des maladies vénériennes. [voir le texte peu engageant en fin de billet]

Cf. la lettre à Albert Milon, Londres mai-juin 1915, Pléiade p. 140 : 
« […] Il y a eu grand drame. Mlle Gonocco qui fit notre joie a malheureusement quitté la scène aux regrets de tous. Néanmoins une rentrée de cette grande artiste universellement connue est toujours possible (ô combien !). Nous avons aussi à regretter la disparition du jeune de Cental et son charmant cousin Permancravate de Godasse. »

Pour Céline, l’existence est maladie (sexuellement transmissible). Malades, nous le sommes tous, cela se verra d’autant plus dans la chaleur africaine. Les efforts des hygiénistes sont vains puisque la maladie est au cœur même de l’Être. L’évocation complaisante des maladies vénériennes est une des constantes de Céline, car elles sont un symbole de l’universelle pourriture.
Enfin, Arthur Ganate est, comme le narrateur, un étudiant en médecine, donc un spécialiste de la mort. Le terme de ‘carabin’ comporte des allusions classiques à des plaisanteries macabres, à des dissections. 
Pour ce mot, le précieux TLFi donne 
- une citation d’Aragon (Le Roman inachevé) : « Je ne récrirai pas ma vie elle est devant moi sur la table. Elle est comme un cœur de chair arraché pantelant lamentable Un macchabée aux carabins jeté pour la dissection »
- et une piste étymologique : 
Orig. incert. ; est peut-être une altération du m. fr. (e) scarrabin « ensevelisseur des pestiférés » […] [allusion] iron., à la famille de escarbot, certains de ces insectes fouillant la terre ou le fumier […] ; l'évol. sém. s'explique prob. par la réputation qu'avaient les soldats carabins de faire rapidement passer leurs ennemis de vie à trépas. 2 est issu de 1 en raison de la mauvaise renommée des chirurgiens.
On peut donc songer à un insecte, à un scarabée, à un carabe, éventuellement un insecte mangeur de cadavres, ce qui serait très célinien. On ne peut douter, que Céline ait lu le très mauvais roman satirique de Léon Daudet sur le milieu médical : Les Morticoles. Si l’existence est maladie, c’est une maladie… carabinée… On peut songer aussi à la carabine, ce qui associe de nouveau la médecine qui protège la vie et l’arme qui donne la mort. 
Y verra-t-on enfin la préfiguration cryptée des pamphlets, en disant que dans le ‘carabin’ s’expose et se cache un ‘rabbin’ ? Ce serait certainement aller bien trop loin ; mais il est plausible que Céline ait fait ce genre de jeu de mots dans la conversation houleuse qui était la sienne. 

Les maladies vénériennes (Prof. Albert Sézary) (via GoogleBooks)
« Jadis on ne recourait guère qu'à un traitement local qu'aidaient des antiseptiques internes pris par la bouche et aux vaccins gonococciques. On faisait des injections ou des lavages dans les voies génito-urinaires avec des solutions de permanganate de potasse (0 gr. 25 pour un litre d'eau bouillie).
Dans les cas rebelles et dans les blennorragies chroniques, on leur associait des manoeuvres destinées à exprimer les culs-de-sac glandulaires où se tapissent les gonocoques.
Chez l'homme, on pratiquait le massage de la prostate et celui de l'urèthre (qu'on faisait sur des mandrins métalliques, les Béniqués) ou bien on dilatait progressivement le canal à l'aide d'instruments spéciaux. Un progrès fut réalisé par l'emploi de l'urétroscope qui, introduit dans le canal, permet de repérer les lésions glandulaires et de les détruire par électro-coagulation. 
Chez la femme on prescrivait des injections vaginales ou uréthrales avec une solution de permanganate, on cautérisait le col utérin, on traitait la métrite et les complications annexielles s'il y avait lieu. »


lundi 7 octobre 2019

Flaubert : Binet binaire et Léon le paon



Remarques sur deux personnages de Madame Bovary. 
1. Binet
Il semble singulièrement lié au son. 
Le bruit de son tour est obsédant, artificiel, mauvais signe. C’est un peu la transposition moderne du rouet de Gretchen (cf., outre le poème de Goethe,  le lied de Schubert). 
Quand Binet apparaît dans le roman, c’est en tant qu’homme qui ne parle pas ; il est silencieux jusqu’à la discourtoisie. 
« pendant tout le temps que l'on fut à mettre son couvert, Binet resta silencieux à sa place, auprès du poêle ; puis il ferma la porte et retira sa casquette, comme d'usage.
– Ce ne sont pas les civilités qui lui useront la langue ! dit le pharmacien, dès qu'il fut seul avec l'hôtesse.
– Jamais il ne cause davantage, répondit-elle ; il est venu ici, la semaine dernière, deux voyageurs en draps, des garçons pleins d'esprit qui contaient, le soir, un tas de farces que j'en pleurais de rire : eh bien ! il restait là, comme une alose, sans dire un mot.
– Oui, fit le pharmacien, pas d'imagination, pas de saillies, rien de ce qui constitue l'homme de société ! »
Quand on essaie de lui extorquer un renseignement, on est mal reçu : 
« Pour en savoir plus long, elle interrogea le percepteur ; Binet répliqua, d'un ton rogue, qu'il n'était point payé par la police. »
Quand Emma le rencontre dans la campagne, il la surprend parce qu’il est silencieux (Diogène bourgeois dissimulé dans un tonneau), mais il lui reproche d’avoir été silencieuse :
« – Vous auriez dû parler de loin ! s'écria-t-il. Quand on aperçoit un fusil, il faut toujours avertir. »
Enfin, quand Emma, aux abois, va le voir, on n’assiste à la visite que par les yeux de deux commères qui, à travers les vitres, ont l’image mais pas le son. Elles conjecturent donc le sens (scandaleux bien sûr) de cette scène de cinéma muet. Seule l’exclamation finale traverse (semble traverser) les fenêtres : 
« tout à coup, comme à la vue d'un serpent, [il] se recula bien loin en s'écriant :
– Madame ! y pensez-vous ?… »
Binet semble donc lié à des alternances de silence complet et de parole sèche, voire d’exclamation. Son rapport au son apparaît comme assez… binaire (pour faire un peu d’onomastique fantaisiste).

2. Léon
Onomastique problématique pour le personnage de Léon. 
Prénom banal, surtout à l’époque, et vraisemblablement choisi pour sa banalité même. Mais, peut-on se demander (si je n’en ai pas trouvé trace dans les études sur Flaubert, c’est peut-être parce que l’idée n’a pas de pertinence), de quand date cette tradition humoristique populaire consistant à dire que le cri du paon est « Léon ! » ? (éternel problème de datation des parlers familiers). Ce serait bon à savoir car cet animal n’est pas étranger au monde de Madame Bovary. On songe bien sûr à : 
« C’était une ferme de bonne apparence. […] On [y] voyait cinq ou six paons, luxe des basses-cours cauchoises. » (cité fautivement par Proust, comme souvent : « luxe des fermes cauchoises »
À l’Opéra, quelques instants avant de rencontrer Léon, Charles le maladroit apporte de l’orgeat à sa femme, mais « en vers[e] les trois quarts sur les épaules d'une Rouennaise en manches courtes, qui, sentant le liquide froid lui couler dans les reins, jet[te] des cris de paon, comme si on l'eût assassinée. » Comme si cette dame, huissier et leit-motiv, annonçait le personnage qui va réapparaître… 
Léon n’est guère valorisé par Flaubert (mais qui l’est ?). C’est un petit provincial, bien terne, qui a pris un léger vernis parisien ; il correspondrait assez au « luxe des fermes cauchoises. »


Notule complémentaire : il a été repéré que le personnage d’Hippolyte est lié aux chevaux non seulement par sa fonction et par son nom, mais aussi par son mal, le pied-bot « équin », dont la nature exacte inquiète Charles. 
Cf. Michael Paschalis, « Hippolyte Tautain. Origine littéraire et identité sémantique d’un personnage de Madame Bovary»,  [En ligne], 18 | 2013, mis en ligne le 01 novembre 2016, consulté le 01 octobre 2019. URL : http://journals.openedition.org/anabases/4404 ; DOI : 10.4000/anabases.4404



vendredi 23 août 2019

Céline : 'Rigodon' (onomastique)



Céline aime à donner à ses personnages des noms bizarres, et à ses (nombreuses) têtes de turcs, des sobriquets saugrenus, parfois énigmatiques. Souvent, ces dénominations sont énigmatiques. Dans un billet précédent, je faisais quelques remarques peu conclusives sur « Empième » utilisé comme sobriquet de Marcel Aymé. 
Dans Rigodon, le narrateur rencontre une jeune femme : 
« Le nom de cette demoiselle... Odile Pomaré... elle se présente bien mieux que nous, je veux dire les atours, robe, corsage, petit bonnet de fourrure, tour de cou, mais comme mine elle est sûrement pire... consomptive je dirais... cette petite rougeur aux pommettes... maigre et fiévreuse... décharnée... je fais pas de réflexion mais elle a l'air gravement malade... j'ai pas à demander, tout de suite elle toussote, pour moi sans doute, elle veut me montrer, dans son mouchoir... »
Cet étrange nom tahitien s’explique grâce à une simple visite à Wikipédia, § « Famille Pomaré » : 
Le nom pō-mare signifie « tousse la nuit », de pō (la nuit) et mare (la toux). Selon William Bligh, Tarahoi Vairaatoa prit le nom de Pomare Ier en 1792 en hommage à sa fille aînée, morte de tuberculose.
Mais il est possible dans le contexte de la narration que ce choix soit aussi lié, voire suscité par le voisinage avec « Poméranie ». 

Quand Céline écrivait Rigodon, son entrée dans la Pléiade commençait à prendre forme. Il évoque à ce propos des écrivains vivants qui sont déjà dans la prestigieuse collection, Malraux et Montherlant, avec des surnoms imagés qui, en partie, s’expliquent d’eux-mêmes. Malraux est « dur-de-mèche », en raison de sa coiffure particulière. Montherlant est « buste-à-pattes », en raison de son imaginaire romain de grand stoïcien.
Mais il y a je crois une autre strate de motivation - la même pour les deux auteurs. 
« Dur-de-mèche » est vraisemblablement destiné à évoquer « casque à mèche », qui désigne le bonnet de nuit, par analogie ironique avec le « casque à crinière » des cuirassiers*. Cette allusion est destinée à jeter le soupçon sur la véracité des exploits guerriers de Malraux. 
Quant à « buste-à-pattes », il évoquait à coup sûr, dans la génération de Céline, le sobriquet « triste-à-pattes » qui désignait le simple fantassin. Cette formule est donc elle aussi un rabaissement de la valeur militaire de Montherlant, dont Céline tend à mettre en doute les faits d’armes. 
Donc, dans les deux cas, faux-dur, faux-héros, guerrier de fantaisie, à l’opposé du maréchal des logis Destouches, mutilé de guerre, invalide à 75%, croix de guerre avec étoile d’argent. 

* notons en passant que F. Vitoux semble commettre une imprécision quand, dans sa biographie de Céline, il décrit Destouches en vrai cuirassier sérieux, avec « la matelassure, la cuirasse, le casque à mèche, le sabre. »


lundi 5 août 2019

Proust et Céline : onomastique littéraire (notules)



Proust : 
Verdurin / L'Or du Rhin (trouvé une fois sur le web) : Madame V. est une wagnérienne fervente. 
Legrandin / le grand daim ; en langage 1900, le grand imbécile ; à ma grande surprise, c'est absent du web, et je ne l'ai pas trouvé chez les commentateurs. 
Combray / encombré : c'est à peine signalé ; et pourtant, pour un asthmatique aussi notoire... 
Illiers / Il y est ; moins remarqué que l'évident Elstir / elle se tire (la fugitive), et Esther / elle se terre

Céline :
Des Entrayes (général, magnifiquement prénommé Céladon) : homophonie parfaite avec les entrailles qu'il incite à donner pour la patrie... 
Mais aussi : Dans le VoyageCéline décrit Bordeaux (sous le nom de Toulouse), où il y avait déjà une caserne "Xaintrailles" (pron. "Saintrailles"), du nom du compagnon de Jeanne d'Arc. 
cf.
Proust : Le Côté de Guermantes : 
— D’ailleurs, reprit M. de Guermantes, sa mère était, je crois, la sœur du duc de Montmorency et avait épousé d’abord un La Tour d’Auvergne. Mais comme ces Montmorency sont à peine Montmorency, et que ces La Tour d’Auvergne ne sont pas La Tour d’Auvergne du tout, je ne vois pas que cela lui donne une grande position. Il dit, ce qui serait le plus important, qu’il descend de Saintrailles, et comme nous en descendons en ligne directe...
Il y avait à Combray une rue de Saintrailles à laquelle je n’avais jamais repensé. Elle conduisait de la rue de la Bretonnerie à la rue de l’Oiseau. Et comme Saintrailles, ce compagnon de Jeanne d’Arc, avait en épousant une Guermantes fait entrer dans cette famille le comté de Combray, ses armes écartelaient celles de Guermantes au bas d’un vitrail de Saint-Hilaire.


dimanche 31 juillet 2011

Onomastique littéraire : Queneau et la veuve Mouaque

   
L'onomastique littéraire n'est pas vraiment une drogue dure, mais tout de même, quand on y a touché, elle accroche pas mal son homme... 
Queneau, Zazie : "la veuve Mouaque". Bizarre patronyme. Dans son édition Pléiade, H. Godard dit avec raison :
- elle meurt en disant "moi qu'avais des rentes"
- elle se présente : "Je m'appelle Mouaque, comme tout le monde" ; c'est manifestement une allusion à Satie : "Je m'appelle Erik Satie, comme tout le monde"

Mézencor, mézoci... 

1/ ... La blague absurde de Satie se trouve selon moi très très enrichie, et acquiert une valeur linguistique, par un simple effet de prononciation, un très léger bégaiement : 
"Je m'appelle Mouaque, comme tout le monde"
"Je m'appelle moi c-comme tout le monde", car tout le monde s'appelle "moi". 
2/ Mouaque : moique : moi que : moi Queneau (moi que je m'appelle Que neau)

... Et, dans la foulée : la clausule zazique "... mon cul !" : 
Je n'ai pas vu (mais je n'ai pas tout lu) que cela peut s'écrire, triomphalement : 
"Mon Q !", mon initiale de Queneau, ma chère initiale, narcissiquement et ironiquement investie d'affects divers... Il avait anagrammisé son nom en un pessimiste "Ma queue dyra non" ; on peut songer aussi à "Raie mon Q (ueneau)"
Il avait prévu de faire apparaître l'auteur, sous le nom de Raymond Queneau, parmi les personnages, et de le faire discuter ferme avec Zazie. Ne le fait-il pas via la clausule ? Et ce, de façon probablement consciente : quand on a une telle initiale, on ne l'oublie pas quand on écrit le mot "cul".
 

samedi 26 mars 2011

Proust e(s)t son nom

  
Proust n'aimait guère son patronyme ; on n'a pas dû attendre le Céline des pamphlets pour en ôter le "S". Déjà, chez Huysmans, la chanson enfantine apparaît comme bien connue : "la contre-maître, très apitoyée, la prit dans les bras, la mit sur ses genoux et, tricotant des jambes, elle chantonnait: à dada, sur mon bidet, prout, prout, prout cadet ! ". 
On comprend que Marcel écrive : "Prière de ne pas m'appeler Proust quand vous parlez de moi. Quand on a un nom si peu harmonieux on se réfugie dans son prénom". 

Quelques petites choses dans la Recherche pourraient être liées à cela, de façon plus ou moins significative. 
Le nom de "Cambremer", qui pourrait être le point de départ d'une rêverie onomastique normande et maritime, se voit ironiquement décomposé en deux débuts qui n'osent aller au bout de dire la même chose : le début de Cambronne et le début de son mot. 

"Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant.
- Il ne commence pas mieux, répondit Swann.
- En effet cette double abréviation !...
- C'est quelqu'un de très en colère et de très convenable qui n'a pas osé aller jusqu'au bout du premier mot.
- Mais puisqu'il ne devait pas pouvoir s'empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait d'achever le premier pour en finir une bonne fois."



Plus intéressant, semble-t-il, ceci. 
La violente et coruscante "sortie" de Charlus à Morel, quand la jeune fiancée de ce dernier a usé d'une formule par trop roturière. Le vocabulaire et les allusions, les sous-entendus confirment tous la "métaphore" principale, d'autant plus sonore que monosyllabique, de cette récompense fort mal placée, "son pour son" : 

La nièce du giletier ayant dit un jour à Morel : « C’est cela, venez demain, je vous paierai le thé », le baron avait avec raison trouvé cette expression bien vulgaire pour une personne dont il comptait faire presque sa belle-fille ; mais comme il aimait à froisser et se grisait de sa propre colère, au lieu de dire simplement à Morel qu’il le priait de lui donner à cet égard une leçon de distinction, tout le retour s’était passé en scènes violentes. Sur le ton le plus insolent, le plus orgueilleux : « Le « toucher » qui, je le vois, n’est pas forcément allié au « tact », a donc empêché chez vous le développement normal de l’odorat, puisque vous avez toléré que cette expression fétide de payer le thé, à 15 centimes je suppose, fît monter son odeur de vidanges jusqu’à mes royales narines ? Quand vous avez fini un solo de violon, avez-vous jamais vu chez moi qu’on vous récompensât d’un pet, au lieu d’un applaudissement frénétique ou d’un silence plus éloquent encore parce qu’il est fait de la peur de ne pouvoir retenir, non ce que votre fiancée nous prodigue, mais le sanglot que vous avez amené au bord des lèvres ? »
L'exégèse se fait sans peine. Mais on pourrait ne pas remarquer deux situations très similaires, dans l'orthographe même des mots et ldans a position des syllabes : 
un PeT
Payer le THÉ
Si les extrêmes se rejoignent, ils désignent bien encore et toujours la même chose. 

Mais tout ceci resterait anecdotique si l'on ne pouvait procéder de même pour... le patronyme même de l'auteur :
ProusT
fort malencontreusement encadré par son alpha et son oméga... 
Proust a beaucoup rêvé, beaucoup écrit, sur les noms de pays, sur les noms de personnes, sur les noms aristocratiques qui composent le charme des deux. Il mentionne à peine, dans les milliers de pages de son œuvre, son propre prénom. Mais son patronyme, jamais ! le nom du père, (Ad)rien ! D'un certain point de vue, on peut comprendre que ce legs lui parût laid. 
Etc. etc. 

Enfin, tout ceci, ds la mesure où... , selon que... ; ou, comme on dirait en latin... prout.
  
Pour les amateurs de dissection de l'onomastique proustienne, voir
M. Schneider "Maman"
et 
A. Roger : "Proust, les plaisirs et les noms".