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mardi 30 juillet 2019

Image littéraire, (compléments) 2


Quelques autres compléments à 

Biély Petersbourg : « Le jardin d’été était renfrogné. Les unes après les autres, les statues s’étaient dissimulées sous des planches. » 
Biély Petersbourg : « Il se rappela le cou graisseux avec son repli ignoble. Et le cou avait ri insolemment ». 

Boulgakov : 
Le Maître et Marguerite I, XIII 308 : « Le théâtre était noyé dans l’obscurité ; des taches blanches firent leur apparition au buffet ; on dressait les tables en prévision du spectacle. »  
Le Maître et Marguerite (trad. Pléiade p. 458) : 
« Le chauffeur, furieux d'avoir perdu sa nuit, poussait son engin au maximum, et celui-ci se déportait à chaque virage. 
Voici que déjà la forêt les avait lâchés, elle était restée par là-bas derrière eux ; la rivière aussi était allée se perdre quelque part sur le côté ; des choses éparses et diverses pleuvaient littéralement à la rencontre du camion : des barrières avec leurs guérites, des empilements de bois de chauffage, des poteaux gigantesques et des sortes de mâts avec des rouleaux de câbles enfilés dessus, des tas de gravier, une terre entièrement striée de canaux, bref on sentait que Moscou était là, toute proche, qu'au prochain tournant elle allait vous tomber dessus et vous happer. »  
Le Maître et Marguerite, Folio trad. Ligny : 
« La forêt se fit plus clairsemée puis disparut, ainsi que la rivière derrière un tournant, et un décor disparate accourut à la rencontre de la camionnette : palissades, guérites, piles de planches, hauts poteaux de bois sec, espèces de mâts où étaient enfilées des bobines, tas de cailloux, terre tailladée en tous sens par des fossés et des rigoles – en un mot, on sentait que Moscou était là, tout près, et que, juste après le prochain tournant, elle allait vous tomber dessus et vous avaler. »  

Huysmans Les Sœurs Vatard VII : « le feu de leurs pipes luisant dans l’ombre faisait entrevoir dans un soudain éclair, des côtés de visages, des tranches de nez, des bouts de doigts. »
Huysmans Les Sœurs Vatard XIX : « Des ombres énormes se découpaient derrière ce rideau de vapeur comme derrière un papier huilé, des ombres chinoises. Des joueurs mettaient du blanc à leur queue de billard et le circuit rapide du bras évoquait je ne sais quel étrange écrasement à ce jeu de lumière qui déformait et rendait immense tout mouvement, toute pose ; puis des gestes cassés, des torsions de reins, des penchées de corps, des profils bizarres, des chapeaux exagérés s’estompaient sur ce transparent en de noires ébauches que brouillaient les silhouettes monstrueuses des garçons courant. »

Peut-être Nabokov a-t-il choisi l’anglais plutôt que le français à cause de l’antéposition de l’adjectif anglais, mieux adaptée à son esthétique. En français, il n’aurait pas pu écrire dans Lolita : 
« the clean-cut, glossy-haired, shifty-eyed, white-faced young beasts » : 
soit 11 syllabes qui font attendre le monosyllabe du substantif. 

La description de la chose, avant sa dénomination ; les éléments avant l’idée du tout ; faire durer le suspens : la description cherche son centre de gravité :
Goncourt J1-1200 : « À la porte du petit salon de la princesse, une forme de femme blanche, en camisole et en jupon court. Un cri. Des chiens qui jappent. C’est la princesse en déshabillé, qui se sauve avec deux femmes en noir. »
Goncourt J1-1217 : « On sent là-dedans, la banalité, l’impropriété, la chose à tous. Il y a un ordre froid, une symétrie inanimée, rien ne flâne, rien ne traîne, rien ne met aux meubles la trace d’un hier à vous, un livre, un objet oublié. / Au fond c’est nu, garni du strict nécessaire, des éléments du mobilier, sans le luxe et la distraction de la moindre inutilité, à peine une gravure au mur, pas un portrait, pas un souvenir, pas un de ces objets personnels, pour ainsi dire, à un lieu. 
Les meubles ont la forme courante des ameublements à la grosse, écoulés aux commissaires-priseurs ; ils ont les recouvrements tristes des couleurs insalissables. La cheminée n’est pas le foyer et n’a pas de cendres. 
Voilà les mélancolies d’une chambre d’hôtel. »


jeudi 18 juillet 2019

Valéry lecteur des Goncourt ??


On ne sait pas tout ce qu’a lu Valéry. Il affectait de ne rien lire, sinon, tardivement, signe de sénescence, disait-il. On peut en douter un peu. En outre, il a passé plusieurs années à lire à haute voix, pour Edouard Lebey, toutes sortes de textes, depuis les cours de la Bourse jusqu’aux sermons de Bourdaloue ; mais on ne connaît pas précisément la teneur de cette bibliothèque orale (les savants l’auraient-ils reconstituée ?). Dommage car il est fréquent de trouver des parallèles entre des passages de Valéry et des passages d’auteurs antérieurs, dont il ne se réclame pas. On peut imaginer des réminiscences. Il serait intéressant de les repérer de façon systématique (très gros travail).

Par exemple, quand un valéryen lit le Journal des Goncourt, il sursaute parfois :

Lettre à Gide du 4 juillet 1891 (Corr. p. 107) : Valéry s’écrie : 
« Ah ! savez-vous ce que c'est qu'une robe - même en dehors - surtout en-dehors, de tout désir simpliste de chair ? » 
Vers le début du Journal des Goncourt (Bouquins 1-35) : 
« L’amour, un rêve à propos d’un corps, quand ce n’est pas à propos d’une robe. »

Valéry :  Automne (in Mélange)
« Feuilles mortes. La forêt plus belle après sa mort d'automne, par ses couleurs plus variées, plus sonores que celles de la vie. 
Parlera-t-on ici de "nature" ? Il s'agit de choses mourantes et mortes, et cette splendeur résulte comme elle peut, de la dégradation d'organes d'où la vie s'est retirée. 
C'est l'abandon, la décomposition, l'oxydation lente qui emplissent nos yeux de valeurs puissantes. »
  
Goncourt Journal 1 875-876 : 
« Tout est mélancolique dans Watteau, jusqu'aux verdures. Il a pour ses paysages la palette de l'automne, la dernière richesse des feuilles et des tons. C'est la campagne jetant sa lueur suprême, donnant sa dernière note, les feuilles dorées, les arbres dégarnis, des gaîtés de tons finissantes ; la saison où le vert prend tant de fantaisies en se décomposant, un ton dont le rayonnement touche à la pourriture, à la mort. C'est la maturité accomplie et passée, déjà le déclin »

Le logis de Monsieur Teste : 
« Dans la chambre verdâtre qui sentait la menthe, il n’y avait autour de la bougie que le morne mobilier abstrait, – le lit, la pendule, l’armoire à glace, deux fauteuils – comme des êtres de raison. Sur la cheminée, quelques journaux, une douzaine de cartes de visite couvertes de chiffres, et un fla- con pharmaceutique. Je n’ai jamais eu plus fortement l’impres- sion du quelconque. C’était le logis quelconque, analogue au point quelconque des théorèmes […] »
Celui de Gavarni (Journal, 22 mai 1859, Bouquins 1 p. 459-460) : 
«Tout ce logis de Gavarni est nu, dur, comme une couchette de cénobite. Ce grand salon a l'air d'une grande cellule, où rien ne vit, qu'une pensée. C'est le domicile rigoureux d'une pensée abstraite » 


Mais le plus étonnant, qui laisse très pensif, c’est de trouver exposé de façon précise, sous la plume des bichons, le programme intellectuel et littéraire de Valéry - ceci en juillet 1856 (Bouquins 1-189) : 
« Après avoir lu du Poë, la révélation de quelque chose dont la critique n’a point l’air de se douter. Poë, une littérature nouvelle, la littérature du XXe siècle : le miraculeux scientifique, la fabulation par A + B, une littérature à la fois monomaniaque et mathématique. De l’imagination à coup d’analyse, Zadig juge d’instruction, Cyrano de Bergerac élève d’Arago. Et les choses prenant un rôle plus grand que les êtres, — et l’amour, l’amour déjà un peu amoindri dans l’œuvre de Balzac par l’argent, — l’amour cédant sa place à d’autres sources d’intérêt ; enfin le roman de l’avenir appelé à faire plus l’histoire des choses qui se passent dans la cervelle de l’humanité que des choses qui se passent dans son cœur. »