dimanche 31 mai 2020

Pétrarque : ‘La vision de la biche’ [traduction M.P.]



Sonnet CLVIII : La vision de la biche

Sur le vert de l'herbe, j'eus cette vision
d'une biche blanche aux deux cornes dorées,
entre deux rivières, à l'ombre d'un laurier,
au soleil levant, en précoce saison.

Superbe et douce était sa contemplation ;
pour la suivre, tout mon labeur je quittai,
comme l'avare qui, avec volupté,
cherchant un trésor, adoucit sa passion.

Autour de son beau col, il était écrit
avec des topazes et diamants taillés :
"Libre et intouchée mon César m'a voulue."

Le soleil déjà était à son midi
que, les yeux las de voir, mais non rassasiés,
je tombai dans l'eau ; alors elle s'en fut.


Sonetto CLVIII : La visione della cerva

Una candida cerva sopra l'erba
Verde m'apparve con due corna d'oro
Fra due riviere all'ombra d'un alloro,
Levando'l sole alla stagione acerba,

Era sua vista si dolce superba,
Ch'i' lasciai per seguirla ogni lavoro,
Come l'avaro, che'n cercar tesoro
Con diletto l'affanno disacerba,

Nessun mi tocchi, al bel colle d'intorno
Scritto avea di diamanti e di topazi,
Libera farmi al mio Cesare parve.

Ed era il sol' già volto al mezzo giorno,
Gli occhi miei stanchi di mirar, non sazi :
Quand'io caddi nell'acqua, ed ella sparve.


samedi 30 mai 2020

Juana Inés de la Cruz : Sonnet [traduction M.P.]



Monde, à me poursuivre tu t'intéresses.
Où est l'offense à loger seulement
des joliesses dans mon entendement,
non mon entendement dans les joliesses ?

Je n'aime les trésors ni les richesses
et j'ai toujours plus de contentement
aux richesses de mon entendement
qu'à mon entendement dans les richesses.

J'estime la beauté quand, abolie,
elle n'est que dépouille des années ;
richesse déloyale je n'envie,

et je tiens pour meilleur, en vérité,
consumer les vanités de la vie
que consumer ma vie en vanités.


En perseguirme, Mundo, ¿ qué interesas ?
¿ En qué te ofendo, cuando sólo intento
poner bellezas en mi entendimiento 
y no mi entendimiento en las bellezas ?

Yo no estimo tesoros ni riquezas ;
y así, siempre me causa más contento
poner riquezas en mi pensamiento
que no mi pensamiento en las riquezas.

Y no estimo hermosura que, vencida,
es despojo civil de las edades,
ni riqueza me agrada fementida,

teniendo por mejor, en mis verdades,
consumir vanidades de la vida
que consumir la vida en vanidades



vendredi 29 mai 2020

Lorca : ‘Chanson du cavalier’ [traduction M.P.]



Chanson du cavalier

Cordoue,
lointaine et solitaire.

Cheval noir, lune blanche,
des olives dans mon sac ;
bien que je sache les chemins
jamais à Cordoue je n'arriverai.

Dans la plaine, dans le vent,
cheval noir, lune rouge,
et la mort qui me guette
du haut des tours de Cordoue.

Ah ! que le chemin est long !
Ah ! que mon cheval est bon !
Ah ! la mort qui m'attend
avant que j'arrive à Cordoue.

Cordoue, 
lointaine et solitaire.



Canción del Jinete 

Córdoba.
Lejana y sola.

Jaca negra, luna grande,
y aceitunas en mi alforja.
Aunque sepa los caminos
yo nunca llegaré a Córdoba.

Por el llano, por el viento,
jaca negra, luna roja,
la muerte me está mirando
desde las torres de Córdoba.

¡ Ay qué camino tan largo !
¡ Ay mi jaca valerosa !
¡ Ay que la muerte me espera,
antes de llegar a Córdoba.

Córdoba.
Lejana y sola.



jeudi 28 mai 2020

Lorca : ‘Sérénade’ (Hommage à Lope de Vega) [traduction M.P.]



Sérénade (Hommage à Lope de Vega)

Aux rives de la rivière,
la nuit vient se rafraîchir
et sur les seins de Lolita
meurent d'amour les rameaux
Meurent d'amour les rameaux. 

Parmi les ponts du mois de mars
la nuit se dénude et chante
et Lolita lave son corps
dans l'eau saline et la menthe.
Meurent d'amour les rameaux.

La nuit d'anis et d'argent
scintille au-dessus des toits.
Argent des ruisseaux, des miroirs.
Anis de tes cuisses blanches.
Meurent d'amour les rameaux.




 Serenata (Homenaje a Lope de Vega)

Por la orillas del río
se está la noche mojando
y en los pechos de Lolita
se mueren de amor los ramos
Se mueren de amor los ramos

La noche canta desnuda
sobre los puentes de marzo.
Lolita lava su cuerpo ww 
con agua salobre y nardos.
Se mueren de amor los ramos

La noche de anís y plata
relumbra por los tejados.
Plata de arroyos y espejos.
Anís de tus muslos blancos.
Se mueren de amor los ramos



mercredi 27 mai 2020

Lorca : 'Sérénade' [traduction M.P.]



Séville

Séville est une tour
pleine de fins archers.

       Séville pour meurtrir.
       Cordoue pour mourir.

     Une ville aux aguets
des rythmes amples
et qui les torsade
en labyrinthes,
comme des pampres
incendiés.

       Séville pour meurtrir !

     Sous l'arc du ciel,
sur sa plaine pure,
vole perpétuelle
la flèche de ton fleuve.

      Cordoue pour mourir !

     Et folle d'horizon,
elle mêle dans son vin
l'amer de Don Juan,
et le parfait de Dionysos.

      Séville pour meurtrir.
      Toujours Séville pour meurtrir !


Sevilla

Sevilla es una torre
llena de arqueros finos.

       Sevilla para herir.
       Córdoba para morir.

     Una ciudad que acecha
largos ritmos,
y los enrosca
como laberintos.
Como tallos de parra
encendidos.

       ¡ Sevilla para herir !

     Bajo el arco del cielo,
sobre su llano limpio,
dispara la constante
saeta de tu río.

       ¡ Córdoba para morir !

     Y loca de horizonte,
mezcla en su vino,
lo amargo de Don Juan
y lo perfecto de Dionisio.

       Sevilla para herir.
       ¡ Siempre Sevilla para herir !


mardi 26 mai 2020

Lorca : Sonnet [traduction M.P.]


Sonnet

Vaste spectre d'argent, mouvante brise,
le vent de cette nuit qui soupirait
ouvrit ma blessure d'une main grise
et s’éloigna. Et moi, je désirais.

Plaie d'un amour qui donnera la vie,
source de sang et de pure lueur.
Fissure où Philomèle aura son nid,
muette au creux du bois, tendre douleur.

Quelle douceur dans ma tête résonne !
J’approcherai de la naïve fleur
où flotte ta beauté, sue de personne.

Errante, l’eau dorera ses couleurs,
et mon sang court dans les joncs qui frissonnent
sur le rivage imprégné de senteurs.


Soneto

Largo espectro de plata conmovida,
el viento de la noche suspirando
abrió con mano gris mi vieja herida
y se alejó ; yo estaba deseando.

Llaga de amor que me dará la vida
perpetua sangre y pura luz brotando.
Grieta en que Filomela enmudecida
tendrá bosque, dolor y nido blando.

 ¡ Ay qué dulce rumor en mi cabeza !
Me tenderé junto a la flor sencilla
donde flota sin alma tu belleza.

Y el agua errante se pondrá amarilla,
mientras corre mi sangre en la maleza
olorosa y mojada de la orilla.


samedi 23 mai 2020

Anonyme : 'Romance de l'infant Arnaldos' [traduction M.P.]


L'infant Arnaldos 

Qui eut jamais telle aventure
sur les eaux de l'océan

comme eut l'infant Arnaldos
au matin de la Saint-Jean ?

Pour nourrir son épervier
il s’en allait chassant ;

il aperçut une galère
de la terre s'approchant.

Ses voiles étaient de soie,
d'or torsadé ses gréements.

La barre était de fin corail
et les ancres étaient d'argent.

Le marinier qui la menait
venait en disant un chant,

qui faisait se calmer la mer,
qui faisait tomber les vents,

et remonter à la surface 
les poissons au fond séjournant ; 

les oiseaux qui volent au ciel
viennent se poser sur le mât.

Alors parla le jeune Arnaldos
écoutez bien ce qu'il dira :

Par ta vie, le marinier,
ce chant, sur l'heure, dis-le moi.

Le marinier lui répondit,
cette réponse il lui donna :

«Jamais je ne dis ma chanson
qu'à celui qui vient avec moi.» 



El infante Arnaldos

  ¡Quién hubiera tal ventura
sobre las aguas del mar

como hubo el infante Arnaldos
la mañana de San Juan !

Andando a buscar la caza            
para su halcón cebar,

vio venir una galera
que a tierra quiere llegar ;

las velas trae de sedas,
la jarcia de oro torzal,             

áncoras tiene de plata,
tablas de fino coral.

Marinero que la guía,
diciendo viene un cantar,

que la mar ponía en calma,           
los vientos hace amainar ;

los peces que andan al hondo,
arriba los hace andar ;

las aves que van volando,
al mástil vienen posar.    
          
Allí habló el infante Arnaldos,
bien oiréis lo que dirá :

«Por tu vida, el marinero,
dígasme ora ese cantar.»

Respondióle el marinero,             
tal respuesta le fue a dar :

«Yo no digo mi canción
sino a quien conmigo va.»
      

vendredi 22 mai 2020

Lorca : Sonnet à Falla [traduction M.P.]


Sonnet d'hommage à Manuel de Falla,
en lui offrant quelques fleurs

Lyre d'argent, cordiale, éblouissante,
à l’accent dur, nerveux et libéré,
voix et feuillages d’une Espagne ardente
l'amour de tes mains les a dessinées.

Dans notre sang est la source qui chante,
par ta raison et ton rêve exaltée,
du front serein l’algèbre transparente,
rigueur et passion de ce qui fut rêvé.
Les huit provinces de l'Andalousie,
dans l’air, oliviers, en mer, avirons,
chantent ta joie, Falla, te glorifient.

Avec fleurs, laurier, que nous déposons
devant ta demeure aimée, aujourd’hui,
l’amitié pure et simple nous t’offrons.


Soneto de Homenaje a Manuel de Falla, 
ofreciéndole unas flores

Lira cordial de plata refulgente
de duro acento y nervio desatado,
voces y frondas de una España ardiente  
con tu manos de amor has dibujado.

En nuestra propia sangre está la fuente, 
que tu razón y sueños ha brotado.
Algebra limpia de serena frente,
disciplina y pasión de lo soñado.

Ocho provincias de la Andalucía,
olivo al aire y a la mar los remos,
cantan, Manuel de Falla, tu alegría.

Con el laurel y flores que ponemos,
amigos de tu casa en este día,
pura amistad sencilla te ofrecemos.


jeudi 21 mai 2020

Lope de Vega : ‘Sonnet expédié’ [traduction-adaptation M.P.]



Sonnet expédié

On veut que j'invente un sonnet,
mais je ne me sens pas très fier ;
pour un sonnet, quatorze vers,
en voilà déjà trois de faits.

Après tout, j'arrive à rimer
et me voilà à mi-quatrain,
le tercet à portée de main,
pas mécontent des huit premiers.

Dans ce tercet je m'aventure,
et, ce me semble, d'un bon pas,
puisque ce vers va le conclure.

Dans le dernier, n'en doutons pas,
treize vers font bonne mesure ;
un quatorzième, et puis voilà !



Soneto de repente

Un soneto me manda hacer Violante,
que en mi vida me he visto en tal aprieto ;
catorce versos dicen que es soneto,
burla burlando van los tres delante.

Yo pensé que no hallara consonante
y estoy a la mitad de otro cuarteto,
mas si me veo en el primer terceto
no hay cosas en los cuartetos que me espante.

Por el primer terceto voy entrando,
y aun parece que entré con pie derecho,
pues fin con este verso le voy dando.

Ya estoy en el segundo, y aun sospecho
que voy los trece versos acabando ;
contad si son catorce, y está hecho.


mercredi 20 mai 2020

Quevedo : Au rossignol [traduction M.P.]


Au rossignol

Prolixe, mouvante fleur,
ton aile siffle, ta voix brille,
lyre de plumes qui frétille,
petit bouquet chanteur.
Dis-moi, atome voyageur,
accent fleuri et plumeté
où se trouvent résumées 
tant de douceurs en contrepoint,
par quel prodige tu conjoins
si grand nombre de voluptés.

Al ruiseñor

Flor con voz, volante flor,
silbo alado, voz pintada,
lira de pluma animada
y ramillete cantor.
Dí, átomo volador,
florido acento de pluma,
bella organizada suma
de lo hermoso y lo suave,
¿ Cómo cabe en sola un ave
cuanto el contrapunto suma ?


mardi 19 mai 2020

Góngora : Sonnet [traduction-adaptation M.P.]



Tant que le trésor de ta chevelure
rejette dans l'ombre le grand soleil ;
tant que le lis pur, qu'on dit sans pareil,
semble terne auprès de ta face pure ;

tant que de l'œillet la jeune parure
séduit moins les yeux que ton ris vermeil ;
tant que ton col fier passe [sans conseil]
du parfait cristal l'exacte figure ;

Cheveux, face, ris, col, profites-en  :
ce qu'ils paraissent en cet âge tien,
soleil, lis, œillet, cristal transparent,

sont fleurs coupées que le temps ne retient,
et tout de toi devient pareillement
Terre, poussière, fumée, ombre, rien. 


Mientras por competir con tu cabello,
oro bruñido al sol relumbra en vano ;
mientras con menosprecio en medio el llano
mira tu blanca frente el lilio bello ;

mientras a cada labio, por cogello,
siguen más ojos que al clavel temprano,
y mientras triunfa con desdén lozano
del luciente cristal tu gentil cuello ;

goza cuello, cabello, labio y frente,
antes que lo que fue en tu edad dorada
oro, lilio, clavel, cristal luciente,

no sólo en plata o víola troncada
se vuelva, mas tú y ello juntamente
en tierra, en humo, en polvo, en sombra, en nada.



dimanche 17 mai 2020

Góngora ; 'La douce bouche...' [traduction M.P.]



La douce bouche à goûter nous convie
un souffle entre des perles distillé,
et à n'envier cette liqueur sacrée
par Ganymède à Jupiter servie -

amants, n'y touchez, si aimez la vie :
entre une lèvre et l'autre colorée
Amour se tient, de son venin armé,
comme entre fleur et fleur serpent tapi.

Ne vous trompent ces roses qu'à l'Aurore
vous diriez emperlées, pleines d'odeurs
se détachant de la pourpre du sein.

Ce sont fruits de Tantale que ces fleurs
qui fuient sitôt celui qui les implore,
et de l'Amour reste le seul venin !


La dulce boca, que a gustar convida
un humor entre perlas destilado, 
y a no invidiar aquel licor sagrado
que a Júpiter ministra el garzón de Ida,

amantes, no toquéis, si queréis vida ;
porque entre un labio y otro colorado
Amor está, de su veneno armado,
cual entre flor y flor sierpe escondida.

No os engañen las rosas, que al Aurora
diréis que, aljofaradas y olorosas,
se le cayeron del púrpureo seno.

¡ Manzanas son de Tántalo, y no rosas,
que después huyen del que incitan ahora,
y sólo del Amor queda el veneno !