lundi 12 août 2019

Décadence (textes de Gautier, Bourget, Nietzsche)



Gautier (Théophile) notice de 1868 sur Les Fleurs du mal : 
« Le poète des Fleurs du Mal aimait ce qu'on appelait improprement le style de décadence [...] point de maturité extrême que déterminent à leurs soleils obliques les civilisations qui vieillissent [...] le dernier mot du Verbe sommé de tout exprimer et poussé à l'extrême outrance [...] langue marbrée déjà des verdeurs de la décomposition et comme faisandée du bas-empire romain et les raffinements compliqués de l'école byzantine, dernière forme de l'art grec tombé en déliquescence. »   

Bourget : Essais de psychologie contemporaine :
« Une société doit être assimilée à un organisme. Comme un organisme, en effet, elle se résout en une fédération d'organismes moindres, qui se résolvent eux-mêmes en une fédération de cellules. L'individu est la cellule sociale. Pour que l'organisme total fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes moindre fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée. Si l'énergie des cellules devient indépendante [...] l'anarchie qui s'établit constitue la décadence de l'ensemble. L'organisme social n'échappe pas à cette loi. Il entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s'est exagérée sous l'influence du bien-être acquis et de l'hérédité. Une même loi gouverne le développement et la décadence de cet autre organisme qui est le langage. Un style de décadence est celui où l'unité du livre se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la page, où la page se décompose pour laisser la place à l'indépendance de la phrase, et la phrase pour laisser la place à l'indépendance du mot. »

Bourget, Essais de psychologie contemporaine : 
« Style de décadence chez Wagner : la tournure particulière devient souveraine, la subordination et la composition deviennent aléatoires. »

Nietzsche : Le Cas Wagner § 7 : 
« À quoi distingue-t-on toute décadence littéraire ? À ce que la vie n'anime plus l'ensemble. Le mot devient souverain et fait irruption hors de la phrase, la phrase déborde et obscurcit le sens de la page, la page prend vie au détriment de l'ensemble : — le tout ne forme plus un tout. Mais cette image vaut pour tous les styles de la décadence : c'est, chaque fois, anarchie des atomes, désagrégation de la volonté ; en morale, cela donne : « Liberté individuelle » ; — étendu à la théorie politique : « Les mêmes droits pour tous. »