mardi 9 mars 2021

Céline (notules)

 

Un écho hugolien ? Dans Mort à crédit : après avoir échoué à l'éduquer, Courtial envisage de nourrir l'humanité, car les hommes, ce sont : "Des goinfres !... Des gouffres !..." On pense bien sûr au William Shakespeare de Hugo : " Il y a du gouffre dans le goinfre." Le lien est assez naturel puisque Hugo dit cela à propos de Rabelais, dont Céline s'est (en partie) réclamé.


Équivoque de vocabulaire. Dans la légende de Krogold (Pléiade 1 p. 648), on lit "toute la houle en transe" alors qu'on attendrait plutôt "toute la foule en transe" ; mais l'ambiguïté est intéressante, on oscille sur les deux, comme dans les mots-valises de L. Carroll ; et la rime foule-houle est riche et classique, phonétiquement et sémantiquement. 


Autre équivoque de vocabulaire. À deux reprises, le verbe baratiner est employé là où conviendrait baratter. Dans l'expérience de la nage (presque de la noyade) en mer : "Un univers en cailloux me baratine tous les os parmi les flocons, la mousse." Puis lors de la promenade anglaise : "Baratinés sous les rafales on se raccrochait au petit bonheur..." Outre le plaisir d'un mot décalé, on a une allusion au fait que, pour le jeune Ferdinand, les paroles sont maudites, on parle toujours trop, on lui parle trop, on lui fait des sermons, on veut le faire parler - c'est un des thèmes constants de Mort à crédit, et, au fond, non sans paradoxe, de tout Céline. Pour dire que tout le corps est malmené par une tempête, on évoque un flux de paroles. [noter que "baratin" est une des traductions possibles du mot "bagatelles" dans le titre du pamphlet.]


Traitement similaire de la scène de noyade et les scènes de sexe (Mme Gorloge et Nora) : confusion, chamboulement, et, surtout, étouffement, asphyxie. "Je trouve plus mes trous pour respirer..."


La Chine est présente chez Céline sous plusieurs formes : des costumes (Guignol's Band) ; un bijou ciselé (Gorloge) ; mais aussi et surtout comme un symbole du néant, de l'anéantissement. Ce qui est au delà de la zone (Mort à Crédit) : "Plus loin que la route, c’est les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne... plus loin encore c’est les pays inconnus... la Chine... Et puis rien du tout." Phrase qu'on peut relier à plusieurs titres avec les dernières obsessions et les derniers mots de l'écrivain : "il finira tout saoul heureux, dans les caves, le fameux péril jaune ! encore Cognac est bien loin... milliards par milliards ils auront déjà eu leur compte en passant par où vous savez... Reims... Épernay... de ces profondeurs pétillantes que plus rien existe..." 


Un auteur et son thème fondamental. Proust = interprétation. Céline = dissolution.