mercredi 30 octobre 2019

Diderot : le cheval de Jacques


[quelques remarques philosophiques très très simples]

Le cheval de Jacques le Fataliste a un comportement singulier : une nette propension à aller vers les gibets. Jacques y voit une lugubre prémonition. Le Maître fait alors cette réflexion : 
« Si cet animal n'est pas inspiré, il est sujet à des lubies. » 
Autrement dit, deux hypothèses lui viennent à l’esprit : 1/ par une inspiration surnaturelle, divine ou magique, le cheval se fait le messager du destin 2/ le cheval est dérangé et ses comportements sont dénués de toute signification. 
Dans le premier cas, on a affaire à une cause surnaturelle, dans le deuxième, à une cause naturelle mais parfaitement arbitraire, un pur désordre. Dans le premier, une rigoureuse nécessité ; dans le deuxième, une totale contingence. Signe surhumain, ou radicale insignifiance. 
La suite montrera l’insuffisance de cette alternative très binaire. Le surnaturel n’envoie pas de signes dans le monde (non datur fatum, dirait Kant), mais il n’y a pas non plus de hasard dans le monde (non datur casus, dirait le même). Dans le monde tout se passe conformément à une règle. En l’occurrence, c’est l’habitude, la répétition (notions fort prisées au siècle de Hume) qui expliquent la bizarrerie : le cheval appartenait à un bourreau. Rien de mystérieux, de transcendant, ni de hasardeux. Juste la répétition concrète qui creuse son chemin, qui fait son lit, qui creuse sa routine, créant ainsi une singularité qui ne relève d’aucune aberration. 
Ce qui est immanent n’est pas pour autant livré à l’irrationnel, à l’aléatoire, mais relève d’une causalité toute terrestre ; l’irrégularité apparente relève d’un régularité plus discrète que l’on peut repérer et, éventuellement, cultiver ou éviter pour obtenir ou empêcher certains effets. 
Déjà, un siècle et demi plus tôt, à propos de l’animal conçu comme pure machine, mais machine en quelque sorte « reprogrammable » :
 Descartes, Lettre à Mersenne, 18 mars 1630 : 
« … si on avait bien fouetté un chien cinq ou six fois au son du violon, sitôt qu'il ouïrait une autre fois cette musique, il commencerait à crier et à s'enfuir