vendredi 31 janvier 2020

Diderot : promenade, délassement, conversation


... une page et quelques remarques …

Diderot, lettre à Sophie Volland, 3 octobre 1759 : 
« Il fit dimanche une très-belle journée ; nous allâmes nous promener sur les bords de la Marne ; nous la suivîmes depuis le pied de nos coteaux jusqu’à Champigny. 
Le village couronne la hauteur en amphithéâtre. Au-dessous, le lit tortueux de la Marne forme, en se divisant, un groupe de plusieurs îles couvertes de saules. Ses eaux se précipitent en nappes par les intervalles étroits qui les séparent. Les paysans y ont établi des pêcheries. C’est un aspect vraiment romanesque. Saint-Maur, d’un côté, dans le fond ; Chennevières et Champigny, de l’autre, sur les sommets ; la Marne, des vignes, des bois, des prairies entre deux. L’imagination aurait peine à rassembler plus de richesse et de variété que la nature n’en offre là. Nous nous sommes proposé d’y retourner, quoique nous en soyons revenus tous écloppés [sic]. Je m’étais fiché une épine au doigt ; le Baron* était entrepris d’un torticolis, et un mouvement de bile commençait à tracasser notre mélancolique Écossais**. 
Il était temps que nous regagnassions le salon. Nous y voilà, les femmes étalées sur le fond, les hommes rangés autour du foyer ; ici l’on se réchauffe ; là on respire. On est encore en silence, mais ce ne sera pas pour longtemps. C’est Mme d’Holbach qui a parlé la première, et elle a dit:
- Maman, que ne faites-vous une partie ? - Non ; j’aime mieux me reposer et bavarder. - Comme vous voudrez. Reposons nous et bavardons. »

* d’Holbach
** le Père Hoop


D’abord, l’indication générale de la promenade, d’une très grande simplicité.
Puis la nature décrite par juxtapositions, un peu à la manière d’une peinture, juste avec la mention de ‘romanesque’, qui vaut ici comme équivalent de ‘pictural’, de ‘pittoresque’. La nature est vite vue comme art. Pour Diderot, la promenade est le lieu privilégié de l’association entre art et nature (cf. la ‘Promenade Vernet’).
La pure description, paisible, fait sentir que la sérénité du monde ne fait qu’un avec celle du promeneur : 
« la Marne, des vignes, des bois, des prairies entre deux. »
On songe à Rousseau revenant de son évanouissement, revenant au monde : 
« J’aperçus le ciel, quelques étoiles, et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux… Je naissais dans cet instant à la vie »
Les choses sont ce qu’elles sont, dans une parfaite harmonie spontanée. Ce n’est pas seulement le regard qui est comblé, c’est tout l’homme, qui exprime non son ‘ravissement’ (le sens premier du mot gênerait ici), mais le bonheur de la présence, de la complétude : 
« L’imagination aurait peine à rassembler plus de richesse et de variété que la nature n’en offre là. »
La formule peut évoquer l’expérience pascalienne de l’immensité
« l’imagination […] se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. »
mais sans les vertiges ni les gouffres. On ne se sent pas du tout perdu, ni anéanti dans un monde infini, mais en équilibre serein avec lui. 
Le désir de refaire la promenade est exprimé en même temps que les (légers) dommages subis, qui mettent en relief le bonheur de l’expérience. Habileté de la transition narrative : ces mêmes dommages justifient le retour au foyer. Après le plaisir du dehors, le plaisir du dedans. 
Ce passage du dehors au dedans est rendu (c’est le plus beau de cette page) par la modulation soudaine et vertigineuse de l’imparfait du subjonctif le plus remarquable au présent le plus simple ; présent même pas indiqué, mais d’abord seulement supposé mais anticipé par « nous y voilà » ; le lecteur participe de l’intimité.
Après la peinture de paysage, la scène de genre : femmes, puis hommes (sans verbes) ; hommes, puis femmes (avec verbes au présent) ; balancement, équilibre dans la différence (des lieux, des sexes, des actions), présentée en chiasme, le narrateur étant parmi les hommes (« ici »). Diversité des attitudes de soulagement, de repos. Le silence est celui d’une peinture (‘Le retour de promenade’). Cette peinture, si elle met en regard femmes et hommes, étalées et rangés, ne les oppose pas avec la brutalité d’un Serment des Horaces : juste ce qu’il faut de différence pour que soit possible une conversation mixte ; elle va arriver tout naturellement. 
Premières paroles rapportées, on ne sait de qui ni à qui ; la correspondante doit le savoir, mais pour nous, cela a le charme de l’indécis. 
Plutôt que de jouer (aux cartes, probablement), activité de ceux qui ont peu à dire en société, on va bavarder, comme il est naturel dans ce petit milieu, conversation informelle qui n’exclut pas le repos. Après la bonne fatigue, la bonne détente. Après les plaisirs de la nature, ceux de la culture, après les choses, les mots ; après le monde, les hommes. 
L’impression générale d’idylle vient de cette alternance souple de plaisirs simples où les échanges sont permanents et variés : entre dedans et dehors, nature et culture, paysage et promeneur, promeneur et amis, hommes et femmes, corps et esprit, activité et délassement. 


mercredi 29 janvier 2020

Sterne et C.-J. Cela : deux discours en regard


Tristram Shandy et La Ruche.
Les extraits que je propose ci-dessous sont assez longs. 
Intéresseront-ils ? Ils m’ont intéressé. 
Est-il pertinent de les mettre en regard ? il m’a semblé ; on peut en juger autrement. 

Tout d’abord, les remarques qui m’ont semblé justifier la comparaison : 

- Les deux romans jouent sur la discontinuité : gratuite et bouffonne chez Sterne, simultanéiste voire unanimiste chez Cela. 
- Les deux discours sont rendus in extenso (un extenso plus étendu au XVIII° siècle qu’au XX° - le temps de la lecture n’était pas le même). 
- Ce sont des ‘discours’ faits en tout petit comité : l’intimité de maison familiale chez Sterne, l’intimité ultime de la solitude chez Cela (ce qui accuse à la fois le comique et le tragique de l’exercice)
- Ils portent sur des sujets extrêmement voisins (le droit de propriété en fonction du mode d’acquisition). 
- Ils sont tous les deux filandreux. Chez Sterne, c’est une joyeuse parodie des philosophies du droit et de l’économie. Chez Cela, c’est le pathétique d’un pauvre homme qui essaie de se valoriser à ses propres yeux, et qui n’a à sa disposition qu’une rhétorique inerte. 
En l’occurrence, ce n’est pas Sterne mais Cela qui est ‘sentimental’. 
- La posture du personnage de Cela est brièvement mais nettement indiquée. Ce n’est pas le cas ici chez Sterne ; mais, dans un autre passage fameux (quand le même ‘orateur’, Trim, lit un sermon), nous avons droit à une posture oratoire méthodiquement décrite (avec la garantie que cette précision fera se dissoudre l’illusion réaliste). Je cite donc aussi cet autre passage.




Cela, La Ruche chap. 2, trad. Astor, L’imaginaire-Gallimard p. 94-95 : 
"Don Ibrahim de Ostolaza y Bofarull se planta face à la glace, releva la tète, se caressa la barbe et s'écria :
- Messieurs les Académiciens : Je ne voudrais pas distraire plus longtemps votre aimable attention, etc. (Oui, ça va au poil... De l'audace dans le port de tête... Attention aux manchettes, à certains moments elles dépassent un peu trop, on dirait qu'elles vont s'envoler.)
Don Ibrahim alluma sa pipe et se mit à faire les cent pas dans la chambre, de long en large. Une main posée sur le dossier d'une chaise et l'autre tenant haut la pipe, comme le rouleau que tiennent ordinairement les messieurs des statues, il poursuivit :
- Comment admettre, comme le veut le senor Clemente de Diego - que « l'usucapio » soit un moyen d'acquérir des droits par le seul fait de les exercer ? Le peu de poids d'un tel argument saute aux yeux, messieurs les Académiciens. Qu'on veuille bien me pardonner mon insistance et qu'il me soit permis d'invoquer, une fois de plus, ma vieille amie, la logique : rien, sans elle, n'est possible dans le domaine des idées. (Là, il y aura sûrement des murmures d'approbation.) N'est-il pas évident, Messieurs, que pour user d'une chose il faut la posséder ? Je devine dans vos yeux une réponse affirmative. (Au besoin, quelqu'un de l'auditoire dira à voix basse : "C'est évident, c'est évident !"). Donc, si pour utiliser une chose il faut la posséder, en mettant la phrase à la forme passive, nous pourrons assurer que rien ne saurait être utilisé sans une préalable possession. 
Don Ibrahim avança un pied vers les lumières de la rampe et caressa, d'un geste élégant, les revers de sa robe de chambre, pardon ! de son frac. Puis il sourit.
- Or, messieurs les Académiciens : de même que pour utiliser une chose il faut la posséder, pour posséder une chose il faut l'acquérir. Peu importe à quel titre ; j'ai dit seulement qu'il faut l'acquérir, puisque rien, absolument rien ne peut être possédé sans une préalable acquisition. (Il se peut que les applaudissements m'interrompent. Il convient d'y être préparé.)
La voix de don Ibrahim résonnait solennellement, comme celle d'un basson. De l'autre côté de la cloison, un mari, rentrant de son travail, demandait à sa femme :
- Elle a fait son caca, la petite ?
Don Ibrahim eut légèrement froid et remonta un peu son écharpe."

Cela, La Colmena
« Don Ibrahim encendió la pipa y se puso a pasear por la habitación, para arriba y para abajo. Con una mano sobre el respaldo de la silla y con la otra con la pipa en alto, como el rollito que suelen tener los señores de las estatuas, continuó:
-¿Cómo admitir, como quiere el señor Clemente de Diego, que la usucapión sea el modo de adquirir derechos por el ejercicio de los mismos? Salta a la vista la escasa consistencia del argumento, señores académicos. Perdóneseme la insistencia y permítaseme que vuelva, una vez más, a mi ya vieja invocación a la lógica; nada, sin ella, es posible en el mundo de las ideas. (Aquí, seguramente, habrá murmullos de aprobación.) ¿No es evidente, ilustre senado, que para usar algo hay que poseerlo? En vuestros ojos adivino que pensáis que sí. (A lo mejor, uno del público dice en voz baja: "Evidente, evidente".) Luego si para usar algo hay que poseerlo, podremos, volviendo la oración por pasiva, asegurar que nada puede ser usado sin una previa posesión. Don Ibrahim adelantó un pie hacia las candilejas y acarició, con un gesto elegante, las solapas de su balín. Bien: de su frac. Después sonrió..
-Pues bien, señores académicos: así como para usar algo hay que poseerlo, para poseer algo hay que adquirirlo. Nada importa a titulo de qué; yo he dicho, tan sólo, que hay que adquirirlo, ya que nada, absolutamente nada, puede ser poseído sin una previa adquisición. (Quizá me interrumpan los aplausos. Conviene estar preparado.)
La voz de don Ibrahim sonaba solemne como la de un fagot. Al otro lado del tabique de panderete, un marido, de vuelta de su trabajo, preguntaba a su mujer:
-¿Ha hecho su caquita la nena? »

Sterne, Tristram Shandy, III LXXVIII, trad. Wailly : 
« Or, mon père, comme je vous ai dit l’an dernier, détestait tout ceci ; - il ramassait une opinion, monsieur, comme un homme dans l’état de nature ramasse une pomme : - elle devient sienne ; et s’il est homme de courage, il perdra plutôt la vie que de s’en dessaisir.
Je me doute que Didius, le grand jurisconsulte, contestera ce point, et s’écriera : D’où vient le droit de cet homme à cette pomme ? ex confesso, dira-t-il, — les choses étaient dans l’état de nature. — La pomme est autant à Frank qu’à John. — Je vous prie, monsieur Shandy, quelle patente peut-il nous exhiber ? et quand cette pomme a-t-elle commencé à être sienne ? était-ce quand il a jeté dessus un dévolu ? ou quand il l’a ramassée ? ou quand il l’a mangée ? ou quand il l’a fait cuire ? ou quand il l’a pelée ? ou quand il l’a apportée au logis ? ou quand il l’a digérée ? ou quand il… ? - Car il est clair, monsieur, que si le premier acte de ramasser la pomme ne l’a pas constituée sienne, - aucun acte subséquent ne l’a pu faire.
Frère Didius, répondra Tribonius — (or la barbe de Tribonius, docteur en droit civil et en droit canon, étant de trois pouces et demi et trois huitièmes plus longue que celle de Didius, - je suis charmé qu’il relève le gant à ma place, et je ne m’embarrasse plus de la réponse). - Frère Didius, répondra Tribonius, c’est un fait reconnu, comme vous pouvez le voir dans les fragments des codes de Grégoire et d’Hermogène et dans tous les codes depuis ceux de Justinien jusqu’à ceux de Louis et Des Eaux, — que la sueur du front d’un homme, et les exsudations du cerveau d’un homme, sont autant la propriété d’un homme, que les culottes qu’il a au derrière ; — lesquelles dites exsudations, etc., étant tombées sur ladite pomme par suite de la peine qu’on a eue à la trouver et à la ramasser ; et étant en outre irrévocablement perdues et non moins irrévocablement annexées par celui qui a ramassé, à la chose ramassée, emportée au logis, cuite, pelée, mangée, digérée, etc. — il est évident que celui qui a recueilli la pomme, en le faisant, a mêlé quelque chose qui était sien, à la pomme qui n’était pas sienne ; au moyen de quoi il a acquis une propriété ; ou, en d’autres termes, que la pomme est à John. »

« Now, my father, as I told you last year, detested all this--He pick'd up an opinion, Sir, as a man in a state of nature picks up an apple.--It becomes his own--and if he is a man of spirit, he would lose his life rather than give it up.
I am aware that Didius, the great civilian, will contest this point ; and cry out against me, Whence comes this man's right to this apple? ex confesso, he will say--things were in a state of nature -The apple, is as much Frank's apple as John's. Pray, Mr. Shandy, what patent has he to shew for it? and how did it begin to be his ? was it, when he set his heart upon it ? or when he gathered it ? or when he chew'd it ? or when he roasted it ? or when he peel'd, or when he brought it home ? or when he digested ?--or when he - ? - For 'tis plain, Sir, if the first picking up of the apple, made it not his - that no subsequent act could.
Brother Didius, Tribonius will answer--(now Tribonius the civilian and church lawyer's beard being three inches and a half and three eighths longer than Didius his beard - I’m glad he takes up the cudgels for me, so I give myself no farther trouble about the answer.) - Brother Didius, Tribonius will say, it is a decreed case, as you may find it in the fragments of Gregorius and Hermogines's codes, and in all the codes from Justinian's down to the codes of Louis and Des Eaux--That the sweat of a man's brows, and the exsudations of a man's brains, are as much a man's own property as the breeches upon his backside; - which said exsudations, &c. being dropp'd upon the said apple by the labour of finding it, and picking it up ; and being moreover indissolubly wasted, and as indissolubly annex'd, by the picker up, to the thing pick'd up, carried home, roasted, peel'd, eaten, digested, and so on ; - ’tis evident that the gatherer of the apple, in so doing, has mix'd up something which was his own, with the apple which was not his own, by which means he has acquired a property ; - or, in other words, the apple is John's apple. »


La posture de l’orateur chez Sterne : 

Tristram Shandy, II, XVII : 
« Il se tenait debout — (car je le répète, pour qu’on embrasse le tableau d’un coup  d’œil), le corps courbé, et un peu penché en avant ; sa jambe droite sous lui, portant les sept huitièmes de tout son poids,… le pied de sa jambe gauche, dont la défectuosité n’était nullement désavantageuse à son attitude, un peu allongé ; — non pas de côté, ni droit devant lui, mais entre deux ; — le genou plié, mais sans effort, — mais de manière à tomber dans les limites de la ligne de beauté : — et j’ajoute de la ligne de science aussi ; car considérez qu’il avait un huitième de son corps à soutenir ; — de sorte que, dans ce cas, la position de la jambe est déterminée, — attendu que le pied ne pouvait pas être avancé ni le genou plié au-delà du point où les lois de la mécanique lui permettaient de recevoir dessus un huitième de tout son poids, et de le porter en outre.
Ceci, je le recommande aux peintres ; — ai-je besoin d’ajouter aux orateurs ? — je ne le pense pas : car s’ils ne suivent pas cette règle,… nécessairement ils tomberont sur le nez.
Voilà pour le corps et les jambes du caporal Trim… Il tenait le sermon de la main gauche sans le serrer, mais non pas nonchalamment, plus haut que son estomac de quelque chose, et un peu détaché de sa poitrine ; son bras droit tombant négligemment à son côté, comme l’ordonnaient la nature et les lois de la gravité, — mais la paume de la main ouverte et tournée vers son auditoire, prête, au besoin, à aider le sentiment.
Les yeux du caporal Trim et les muscles de sa face étaient en parfaite harmonie avec les autres parties de lui-même ; — il avait l’air franc, — à son aise, — assez sûr de lui-même ; — mais sans aucune effronterie.
Que les critiques ne demandent pas comment le caporal Trim avait pu en arriver là, — je leur ai dit que cela serait expliqué ; — mais tel il se tenait devant mon père, mon oncle Toby et le docteur Slop ; — le corps ainsi penché, les membres ainsi contractés, et un tel ensemble de lignes oratoires dans toute sa personne, — qu’un statuaire aurait pu le prendre pour modèle : — et, qui plus est, je doute que le plus vieux sociétaire d’un collège, — que le professeur d’hébreu lui-même, eût pu beaucoup l’améliorer.
Trim fit un salut, puis il lut ce qui suit : […] »

« He stood,--for I repeat it, to take the picture of him in at one view, with his body swayed, and somewhat bent forwards,--his right leg from under him, sustaining seven-eighths of his whole weight,--the foot of his left leg, the defect of which was no disadvantage to his attitude, advanced a little,--not laterally, nor forwards, but in a line betwixt them;--his knee bent, but that not violently,--but so as to fall within the limits of the line of beauty;--and I add, of the line of science too;--for consider, it had one eighth part of his body to bear up;--so that in this case the position of the leg is determined,--because the foot could be no farther advanced, or the knee more bent, than what would allow him, mechanically to receive an eighth part of his whole weight under it, and to carry it too.
This I recommend to painters;--need I add,--to orators!--I think not; for unless they practise it,--they must fall upon their noses.
So much for Corporal Trim's body and legs.--He held the sermon loosely, not carelessly, in his left hand, raised something above his stomach, and detached a little from his breast;--his right arm falling negligently by his side, as nature and the laws of gravity ordered it,--but with the palm of it open and turned towards his audience, ready to aid the sentiment in case it stood in need.
Corporal Trim's eyes and the muscles of his face were in full harmony with the other parts of him;--he looked frank,--unconstrained,--something assured,--but not bordering upon assurance.
Let not the critic ask how Corporal Trim could come by all this.--I've told him it should be explained;--but so he stood before my father, my uncle Toby, and Dr. Slop,--so swayed his body, so contrasted his limbs, and with such an oratorical sweep throughout the whole figure,--a statuary might have modelled from it;--nay, I doubt whether the oldest Fellow of a College,--or the Hebrew Professor himself, could have much mended it. 
Trim made a bow, and read as follows :   [...] »



mardi 28 janvier 2020

Céline, Auguste et Corpechot


… ou : 
De la folie douce à la folie tout court…

Dans Mort à crédit, le père est presque toujours ridicule et insupportable. Il n’a la sympathie du fils qu’à propos de son amour des bateaux, qu’il observe, décrit, imagine, dessine, peint. Céline lui a donné une de ses passions, un de ses rares îlots de pureté, de beauté. 
« il contemplait les étoiles, l’atmosphère, la lune, la nuit, haute devant nous. C’était sa dunette. Je le savais moi. Il commandait l’Atlantique ».
Mais Auguste (le mal nommé) est un gratte-papier méprisé de ses chefs. Ses rêveries (comme celles d’Emma) sont l’envers d’un destin manqué, et elles accusent cruellement le contraste : 
« Une fois sorti de son bureau, il mettait plus que des casquettes, des maritimes. Ç’avait été toujours son rêve d’être capitaine au long cours. Ça le rendait bien aigri comme rêve. »
Ces rêveries maritimes sont le fait d’un désir d’ailleurs, donc d’une âme poétique, mais elles sont aussi le refuge dans un fantasme sur le mode puéril du déguisement (un sternien songerait à l’Oncle Toby…).

Dans D’un Château l’autre, on trouve des thèmes analogues, mais bien plus univoques dans le ridicule, avec le personnage de Corpechot, mythomane qui se croit affecté à la surveillance du Danube (petit torrent quand il passe à Sigmaringen) par où la flotte russe pourrait remonter et enlever Pétain… Et, curieusement, Pétain et ses ministres en promenade obéissent à ses consignes farfelues de prudence - ce qui est peut-être une façon de suggérer le gâtisme de Pétain à travers le délire de Corpechot. 
De même que l’écriture de Céline a repoussé les limites qu’elle avait encore dans les années trente, la douce rêverie maritime du père est devenue folie complète :
« vous pensez que ce Corpechot on l’avait arrêté dix fois... vingt fois !... et vingt fois relâché !... plus aucune place dans les Asiles !… »

« Après mettons deux kilomètres de berge du Danube vous voyiez surgir une silhouette... ça manquait jamais : une silhouette à gestes... signes d’avancer !... ou de reculer !... signes que Pétain avance encore... ou fasse demi-tour !... on la connaissait ! silhouette !... c’était l’Amiral Corpechot, il avait la garde du Danube, et le commandement de toutes les flottilles jusqu’à la Drave... il voyait venir l’offensive russe : le Maréchal en pleine promenade!... la flotte fluviale russe remonter le Danube !... il était certain !... il s’était nommé lui-même : Amiral aux Estuaires d’Europe et Commandant des deux Berges... il voyait la flotte russe de Vienne passer la Bavière et prendre le Wurtemberg à rebours !... et Siegmaringen !... forcément ! et toute la « collaboration »... et surtout Pétain !... il voyait Pétain kidnappé !... ficelé fond de cale d’un de ces engins submersibles qu’il avait vu sortir de l’eau !... oui ! lui !... amphibies !... qui pullulaient passé Pest !... Corpechot me racontait tout !... je le soignais pour son emphysème... il avait eu connaissance de tous les plans russes ! matériel et stratégie ! il savait même le fin du fin de leur dispositif aéro-aquo-terrestre, la catapulte par hydrolyse, le système Ader renversé, sous-nautique !… »
Le pauvre cinglé n’a même pas la grandeur des rêves au long cours (commander l’Atlantique) ; il est le suprême marin d’eau douce, et le pantin de lui-même : 
 « il s’était nommé lui-même : Amiral aux Estuaires d’Europe et Commandant des deux Berges » (Pléiade p. 129).
 Cette désignation bouffonne à rallonges ne serait-elle pas une allusion au mot allemand souvent cité pour sa spectaculaire longueur : 
Donaudampfschiffahrtsgesellschaftskapitän 
soit : "capitaine de la compagnie navale du Danube" ? 
Il faudrait savoir si, à l’époque de rédaction du roman, ce mot était déjà connu en France et cité ironiquement pour son gigantisme. En tout cas, pour le sens et pour l’allure, la formule de Céline en est très proche. 

Mais on pourrait surtout se demander si la rêverie paternelle et la folie corpechottesque ne se combineraient pas dans l’étrange affabulation de Céline disant que Laval l’a nommé, lui, Céline, Gouverneur de Saint-Pierre et Miquelon (Pléiade p. 245). On ne peut que noter la ressemblance avec Sancho Pança qui s’imagine un jour Gouverneur d’une île. On retrouve dans cette invention le thème paternel du commandement Atlantique, et, plus proche de Corpechot, le thème de la bizarre mission in partibus confiée, mais sans trace écrite, sans témoin vivant, par des Autorités plus que chancelantes. 
On passe d'un narrateur qui a un point commun avec les rêves du personnage paternel à un personnage mythomane ; et on a finalement affaire (synthèse des deux) à un chroniqueur qui, bien qu’il se prétende exact et scrupuleux, s’invente un titre ronflant et bouffon auquel le lecteur ne peut guère croire. La fiabilité du chroniqueur était déjà très douteuse. Il la mine encore un peu plus avec cette affabulation grotesque par laquelle il s’assimile au plus fou.


Sur Corpechot, cf. Christine Sautermeister : L.-F. Céline à Sigmaringen, chap. 6 « Deux exaltés, Corpechot et Restif. »


dimanche 26 janvier 2020

Céline, Nabokov : interversions affectives


Faire passer l’oralité dans l’écrit littéraire, c’est faire place à une affectivité qui aura le droit et même le devoir de bousculer la syntaxe attendue. Les affects les plus puissants exprimeront directement leur ébullition par le désordre même de la phrase. Cette expression spontanée constitue un ‘naturel’ psychologique qui se substitue au ‘naturel’ concerté, rationnel, de l’écriture classique, à tel point que l’infraction peut presque passer inaperçue. 

Deux exemples d’une même distorsion. 

Chez Céline, dans Mort à crédit, le narrateur évoque la dévotion que sa mère éprouvait pour les magnifiques pièces de dentelle. On est dans l’indirect libre ; il va de soi que l’enfant se moque bien des dentelles et ne fait que rapporter l’enthousiasme maternel pour des pièces exceptionnelles : « Des Venises entiers en chasubles, comme y en a plus dans les musées ! » Le lecteur, contaminé par la ferveur professionnelle de la mère, note à peine que la formule est inversée : ce sont plutôt « en (point de) Venise, des chasubles entières ». Chasubles en dentelles ou dentelles en chasubles, peu importe, c’est la merveille qui compte, car elle souligne la dignité quasi-sacerdotale du petit commerce dont Clémence se fait gloire d’être la dévote ancille. 
Note 1 : « Venises » : Céline associe la majuscule et le pluriel, ce qui n’est pas très orthodoxe ; Morand le fera aussi, mais dans une intention tout autre
Note 2 : On pourrait croiser cette formule d’exultation avec une très importante métaphore de l’écriture fournie à quelques pages de là, suggérant la fonction sotériologique de la littérature : « C’est pas gratuit de crever ! C’est un beau suaire brodé d’histoires qu’il faut présenter à la Dame. C’est exigeant le dernier soupir. » De la chasuble au suaire, de la dentelle proprement dite à la dentelle de mots, la transposition se fait aisément (et plus encore si on tient à jouer sur les fils de la dentelle et le fils de la mère…). 

Deuxième exemple : Nabokov. 
Pnine dégringole un escalier sur le dos, son regard est comme égaré, on l’aide à se relever. Il n’y a rien de cassé. Ouf. 
« Poor Pnin had come down the last steps on his back. He lay supine for a moment, his eyes moving to and fro. He was helped to his feet. No bones were broken. »
Rudement émotionné, il tente de faire bonne figure, et se raccroche à ce qui lui est le plus naturel : la littérature russe. À peine relevé, il conseille à Victor de lire la nouvelle de Tolstoï La Mort d’Ivan Ilitch, où le personnage, suite à une chute, meurt d’un cancer du rein. Mais toute situation difficile détériore encore plus l’anglais de Timofei : 
« Pnin smiled and said : “It is like the splendid story of Tolstoy - you must read one day, Victor - about Ivan Ilyich Golovin who fell and got in consequence kidney of the cancer. »
Le romancier ne prend pas la peine de souligner l’étonnante interversion finale : « kidney of the cancer », au lieu de « cancer of the kidney. » Les mots sont tourneboulés comme le personnage, mais on peut très bien ne pas le remarquer, par rectification automatique à la lecture. 
C’est peut-être ce qui est arrivé au traducteur français qui, parfois insoucieux de rendre l’anglais chaotique si caractéristique de Pnine, néglige ici cet élément important du texte, et traduit « cancer du rein ». Il se contente de meurtrir la syntaxe : 
« Pnine sourit et déclara :
- C’est comme dans cette merveilleuse histoire de Tolstoï. Il faut que vous la lisiez, Victor, un jour ou l’autre. Où il est raconté comment Ivan Ilyitch Golovine tombe et du cancer du rein qui en résulte. »
 Il est vrai que le rythme anglais de la formule (2 + 2 en chiasme donnant encore 2 + 2) explique l'interversion. On aurait pu dire : « Où il est raconté comment Ivan Ilyitch Golovine tombe et du rein du cancer qui en résulte. » Le léger effet de bafouillement de « du rein du cancer » conviendrait assez. Une transposition même approximative aurait été souhaitable pour que le chiasme des mots rende la confusion des affects.


mardi 21 janvier 2020

Nabokov : escarbilles et corps glorieux


La principale leçon spirituelle de Nabokov est que, le passé étant irrémédiablement perdu, la Russie, qui est l’enfance, ne sera jamais retrouvée, ni même regrettée. Toutefois, le passé est susceptible d’être non pas reconstruit, mais recréé : cette entreprise d'anaktisis, plus ambitieuse qu’une laborieuse reconstitution, est pourtant la seule légitime. On n’inverse le temps que par l’œuvre, c’est-à-dire par les signes. La création artistique accomplit dans son ordre un miracle semblable à celui du pardon, qui, dans son ordre moral, transforme le passé en en changeant la signification. 
Il ne s’agit donc pas, surtout pas, de récupérer pieusement des bribes du monde disparu et de les rassembler par exemple dans un appartement à la russité ostentatoire comme font les beaux-parents de Loujine. Une telle entreprise met plutôt en relief la misère de ces débris tristement privés du contexte qui seul leur donnait sens et vie. 
La problématique de Nabokov, comme de bien d’autres auteurs, est l’antique question « ubi sunt… ? » Où est passé le passé ? Que sont les amis devenus ?
Il arrive que la question soit posée de façon strictement matérielle. Dans ses rêveries, Ganine se souvient des détails merveilleux de son adolescence et songe à l’hypothèse d’un éternel retour qui promettrait, au prix de beaucoup de patience, la réédition stricte des mêmes choses, des mêmes êtres, des mêmes situations : 
« Et où est tout cela maintenant ? songeait Ganine. Où est le bonheur, le soleil, où sont ces épaisses quilles de bois qui bondissaient et s'entrechoquaient si joliment, où est ma bicyclette avec son guidon bas et son grand pignon ? Il y a une loi, paraît-il, qui dit que rien ne disparaît jamais, que la matière est indestructible. Donc les éclisses de mes quilles et les rayons de ma bicyclette existent encore, quelque part, aujourd'hui. Ce qui est dommage, c'est que jamais je ne les retrouverai - jamais. J'ai lu autrefois quelque chose sur ‘l’éternel retour’. Mais qu'arrive-t-il quand ce jeu de patience compliqué ne réussit pas une seconde fois ? » [traduction Pléiade]
« Where is the happiness, the sunshine, where are those thick skittles of wood which crashed and bounced so nicely, where is my bicycle with the low handlebars and the big gear ? It seems there’s a law which says that nothing ever vanishes, that matter is indestructible ; therefore the chips from my skittles and the spokes of my bicycle still exist somewhere to this day. The pity of it is that I’ll never find them again - never. I once read about the ‘eternal return.’ But what if this complicated game of patience never comes out a second time ? »
L’hypothèse d’une résurrection matérielle sombre dans le ridicule d’une attente infinie. Malgré ce que disent certains critiques, il semble bien que Ganine n’accède pas au niveau de la création, de la re-création artistique. Mais, en refusant de revoir Machenka, il manifeste qu’il accède au moins à la valeur et à l’autonomie de la mémoire, de la remémoration - donc à une des conditions essentielles de la création. On n’est pas tout à fait sûr que la femme d’Alfiorov soit vraiment la Machenka de Ganine (ce prénom diminutif est on ne peut plus répandu). Mais ce qui est certain, c’est que Ganine a vraiment compris que, même si c’était bien sa Machenka à lui, la femme qu’il reverrait sur le quai de la gare ne serait pas, ne pouvait plus être celle qu’il a aimée. Alors que la mémoire la lui restitue à tout instant dans sa vérité éternelle. 

Vers la fin de Pnine, le narrateur Vladimir Vladimirovitch, se montrant ouvertement sur le devant de la scène romanesque, évoque sa toute première rencontre avec Pnine, dans son enfance petersbourgeoise : 
« Mon premier souvenir de Pnine est associé à un grain de poussière de charbon entré dans mon œil gauche par un dimanche de printemps en 1911 »
« My first recollection of Timofey Pnin is connected with a speck of coal dust that entered my left eye on a spring Sunday in 1911. »
Le jeune V. V. souffre d’une escarbille logée à l’extême nord (bien sûr) de son globe oculaire ; c’est dire que son monde, son orbe, son ‘mir’ en est perturbé, gâché. On l’emmène chez le Dr Pavel Pnine, qui résout le problème en un instant.
« Et quel soulagement divin quand, au moyen d’un instrument menu semblable à la baguette de tambour d’un elfe, le doux docteur retira du globe de mon œil l’atome qui l’opprimait. »
« And what a divine relief it was when, with a tiny instrument resembling an elf’s drumstick, the tender doctor removed from my eyeball the offending black atom ! »
Mais s’ensuit une étrange rêverie :
« Je me demande où il se trouve aujourd’hui, ce petit point noir. Le fait est, bête et fou, qu’il existe réellement quelque part. » 
« I wonder where that speck is now ? The dull, mad fact is that it does exist somewhere. »
Comme les atomes d’Épicure, les particules élémentaires de la matière sont indestructibles. La douleur a disparu en un instant ; la particule durera à jamais, mais n’obsèdera pas le narrateur, qui pourra mener une vie libre, heureuse et créatrice - heureuse principalement parce que créatrice. 
Mais il n’en va pas de même pour le fils du docteur, notre Timofei, qui fait une brève apparition à ce moment-là. 
[Le rapport entre V. V, Pnine, et l’escarbille est traité selon une autre perspective par Stephen Casmier dans « A Speck of Coal Dust : Vladimir Nabokov's Pnin and the Possibility of Translation », Nabokov Studies, Volume 8, 2004, pp. 71-86 ; Published by International Vladimir Nabokov Society and Davidson College. DOI: https://doi.org/10.1353/nab.2004.0005]
Outre ses divers handicaps comiques (maladresse, anglais biscornu, manies etc.), Pnine souffrira de ‘specks’ qui, eux, ne s’en vont pas d’un coup de baguette magique : par exemple sa calamiteuse épouse, et V. V. comme témoin triomphant de son passé ridicule. 

Mais ce n’est pas encore là le plus sérieux. 
Pnine sait bien lui aussi qu’il ne retrouvera pas la Russie ; mais il ne peut s’y faire (en cela, il ressemble plus au névrosé qu’au psychotique ; video meliora proboque, deteriora sequor…). Il cherche à tout prix à sauver le sens de sa vie en récupérant des bribes de traditions, des mots, des vestiges du paradis perdu. Avec ces broutilles touchantes mais insignifiantes, il tente de composer un ‘grand’ ouvrage, qui ne verra certainement jamais le jour, et qui ne serait au mieux qu’un bric-à-brac. Il cherche à maintenir un monde disparu, mais n’a ni la force ni le génie de le faire revivre dans la transfiguration de l’œuvre, dans la résurrection par les signes. Ganine sait que la remémoration est la seule voie, et s’en arrête là. Nabokov le sait aussi, mais sa remémoration, elle, est active, elle restitue son objet dans le monde de l’art. Ce sont là deux façons de revivre le passé « recollected in tranquility » [cf. Wordsworth : « Poetry is the spontaneous overflow of powerful feelings : it takes its origin from emotion recollected in tranquility »].

Le plus sérieux, la raison la plus profonde de cette incapacité de Pnine, nous est peut-être suggéré à travers l’indice de l’escarbille. Le narrateur, on l’a vu, en a été débarrassé en un clin d’œil. Mais Pnine n’arrive pas, malgré ses efforts, à ne plus penser à Mira, son 'mir’, son monde perdu, qui a vraisemblablement été dispersé à jamais en une infinité d’escarbilles, véritables particules de charbon résultant d’une carbonisation, que l’on ne peut matériellement récupérer, rassembler, recollecter. L’ubi sunt ? est pour lui une question définitivement sans réponse. Il recueille pieusement des faits et anecdotes ponctuels, mais ne pourra en faire un corps, un individu, une personne. Il ne peut renoncer à une reconstitution matérielle. Dans la scène de la baignade, est évoqué le rapport entre la foi et le sens tactile. De même que saint Thomas exigeait de toucher pour croire, Pnine ne peut admettre la dissémination physique définitive de Mira. C’est pourquoi il ne veut pas penser à elle : « Pnine avait appris au cours des dernières années à ne jamais se souvenir de Mira Belotchkine » [« Pnin had taught himself, during the last ten years, never to remember Mira Belochkin »]
C'est parce qu'il est foncièrement mélancolique, parce qu’il ne se remet pas de la perte de l'être aimé, qu’il collectionne vainement et indéfiniment les petits faits qui sont l’image de sa dispersion en même temps que la dispersion de son image. 

Longtemps la religion chrétienne a proscrit la crémation pour ne pas contrevenir à la résurrection promise des corps. Mais pour un dieu tout-puissant, rien n’est impossible, et rien ne coûte. Il lui est aussi facile de recomposer des escarbilles dispersées dans tout l'univers que de restituer l’intégrité d’un corps inhumé. Nabokov est ce Dieu tout-puissant et serein qui refait le monde avec des mots, un autre monde qui est le même, mais transfiguré en matériaux purs, en pigments éternels, en mots incorruptibles, qui ressuscite Lolita en corps glorieux. 
Lolita sera transfigurée en Lolita. 
Mira ne sera pas transfigurée en Mira.


Nabokov / Sterne (minimes notules)


Sterne signale dans Tristram Shandy la « bend sinister », la « brisure à senestre » sur le carrosse familial, formule qui a fourni un titre de roman à Nabokov. 
C’est on le sait un signe de bâtardise, ce que le nom de Pnine est aussi (réduction du nom noble ‘Repnine’) 
Puis, quelques pages plus loin, (à propos de l’épisode du marron brûlant), Sterne évoque de façon périphrastique la braguette (sans zipper à l’époque) en des termes qui font songer au passage correspondant dans Pnine : 
« it was that particular aperture which, in all good societies, the laws of decorum do strictly require, like the temple of Janus (in peace at least) to be universally shut up. »
trad. Frenais, 1803 : « cette espèce de baie, que les lois du décorum exigent qui soit strictement fermée comme le temple de Janus, au moins en temps de paix… »
La comparaison avec le temple de Janus, ouvert ou fermé selon qu’on est en paix ou en guerre, est déjà très drôle ; drôlerie que la possible mise en relation avec la meurtrissure guerrière et les obsessions polémologiques de l’oncle Toby ne fait qu’accroître.
Un regret : la traduction de decorum par ‘décorum’ ; il semble qu’il vaudrait mieux, le sens anglais se rapprochant de l’étymologie, dire ‘décence’ (« Dulce et decorum est pro patria mori »). En Folio, Tadié traduit aussi par ‘décorum’.
Traduction plus judicieuse : 
« cette ouverture que dans toute bonne société les lois de la simple politesse exigent qu'on tienne, ainsi que le temple de Janus (en temps de paix du moins), fermée. »
traduction donnée (mais non créditée je crois) par 
Dupont Victor. Note sur l'immoralité de Sterne : "Tristram Shandy" et le "Voyage sentimental" . In: Littératures 4, janvier 1956. pp. 91-115; doi : https://doi.org/10.3406/litts.1956.946
https://www.persee.fr/doc/litts_0563-9751_1956_num_4_1_946 »)

Rappelons la phrase de Pnine : 
« The zipper a gentleman depends on most would come loose in his puzzled hand at some nightmare moment of haste and despair. »


vendredi 17 janvier 2020

Céline, virtuose du bredi-breda (+ Flaubert et Nabokov)


CNRTL : 
bredi-breda :
Vx, fam. D'une manière précipitée et brouillonne. Il nous a raconté cela bredi-breda (Ac.1798-1932) ; il [l'archiprêtre] allait tenter un effort pour se mettre debout, puis se retirer bredi-breda (F. Fabre, Le Roi Ramire,1884, p. 250).
Prononc. et Orth. : [bʀədibʀəda]. Les dict. écrivent bredi-breda avec un trait d'union sauf Ac. 1798 qui écrit bredi, breda. Pour brédi-bréda avec é accent aigu, cf. A. Delvau, Dict. de la lang. verte, 1867, p. 59. Étymol. et Hist. Ca 1580 bredi bredac (Ph. d'Alcripe, Nouvelle fabrique, p. 80 dans Hug. : sautant bredi bredac). Onomat. burlesque exprimant la précipitation et ayant pour base le lat. brittus, v. bredouiller, bredindin et bretonnant.


L’écrivain classique ne propose au lecteur qu’un texte concerté, pourpensé, pesé, évalué. Il trie ses mots, élimine ses formules, opère des substitutions, et ne garde, de tout ce qui lui vient, que le plus efficace, afin de produire un texte qui fasse flèche sans hésitation, sans le moindre ‘tremblé’. Du brouillon à la version définitive, il y a loin. Avec Valéry (pour le poème) un tel travail est en droit indéfini : « Je suis le roi de la rature ». Pour Flaubert, le travail de la prose est presque sans fin, car il faut trouver la tournure et le mot insubstituables qui, en droit, existent. La logique propre à l’écrit consiste à donner, à force de choix, l’impression de la nécessité. Les mots qui viennent en foule doivent être impitoyablement élagués. De là vient l’étrange impression que donnent les brouillons où l’auteur accumule, hésite, surcharge, laisse encore flotter les potentialités, dans une survie qu’on sait très temporaire. 
Par exemple ce brouillon de Flaubert (la table du banquet de noces de Madame Bovary) : 
«C’était sous la charreterie que l’on avait dressé la table – elle était à trois côtés en fer à cheval – il y avait trois quarante couverts, & une table de plus pr les marmots – les murs d’argile étaient tendus des draps blancs & les colonnes qui portaient le grenier de toile tendaient les murs d’argile – il y avait quatre gigots – un à chaque bout trois gigots, avec leur frisure de papier admirablement faite – quatre aloyaux dans les coins – un gigot à chaque bout aux quatre coins bouts – un deux gigots atterrissant avec contre – entr’eux – séparés par des aloyaux entr’eux par deux aloyaux qui venaient après et une fricassée de poulet}} pas de poisson ni de légumes»
La version définitive, bien connue, sera parfaitement ‘nettoyée’ : 
« C’était sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à l’oseille. »

Dans le roman de Nabokov, le frère de Sebastian Knight consulte les papiers que l’écrivain a laissés à sa mort : 
Nabokov, La vraie Vie de Sebastian Knight, chap. IV, Pléiade p. 417 :
« Parmi des documents juridiques, je trouvai un bout de papier sur lequel il avait commencé d'écrire une histoire — il n'y avait qu'une unique phrase s'arrêtant court, mais qui me donna l'occasion d'observer la façon étrange qu'avait Sébastian — en plein travail d'écriture — de ne pas biffer les mots qu'il venait de remplacer par d'autres ; si bien que, par exemple, la phrase sur laquelle j'étais tombé se déroulait comme suit : «Comme il avait le sommeil Ayant le sommeil profond, Roger Rogerson, le vieux Rogerson acheta le vieux Rogers acheta, craignant tellement Ayant le sommeil profond, le vieux Rogers craignait tellement de manquer le lendemain. Il avait le sommeil profond. Il craignait mortellement de manquer l'événement du lendemain la splendeur un des premiers trains la splendeur aussi ce qu'il fit fut d'acheter et de rapporter chez lui un d'acheter ce soir-là et de rapporter chez lui non pas un mais huit réveils de différentes tailles avec un tic-tac vigoureux neuf huit onze réveils de différentes tailles faisant tic-tac lesquels réveils neuf réveils comme un chat a neuf qu'il plaça qui fit ressembler sa chambre plutôt à 
Je regrettai que ça s'arrêtât là. »
« I found a slip of paper on which he had begun to write a story—there was only one sentence, stopping short but it gave me the opportunity of observing the queer way Sebastian had—in the process of writing—of not striking out the words which he had replaced by others, so that, for instance, the phrase I encountered ran thus: “As he a heavy A heavy sleeper, Roger Rogerson, old Rogerson bought old Rogers bought, so afraid Being a heavy sleeper, old Rogers was so afraid of missing to-morrows. He was a heavy sleeper. He was mortally afraid of missing to-morrow’s event glory early train glory so what he did was to buy and bring home in a to buy that evening and bring home not one but eight alarm clocks of different sizes and vigour of ticking nine eight eleven alarm clocks of different sizes ticking which alarm clocks nine alarm clocks as a cat has nine which he placed which made his bedroom look rather like a 
I was sorry it stopped here. » 
Tout à l’opposé de cet auteur fictif, Nabokov lui-même, très méthodique, ne laisse dans ses romans nulle trace de ses doutes, de ses essais et renoncements. Jusque dans ses étrangetés, le texte est très lucidement tiré à quatre épingles. 

Il en va tout au contraire avec Céline (comme souvent). La psychologie très singulière de l’auteur et de ses personnages se conjugue avec une intention stylistique entièrement nouvelle, qui démultiplie les infractions à la règle d’un bien écrire conçu avant tout comme bien ‘mondé’ - comme on dit ‘une amande mondée’, ou un ‘monde’, c’est-à-dire un ensemble nettoyé de ses scories, é-mondé. C’est donc aussi dans le style qu’il y a de l’im-monde chez Céline. 
Il s’agit de rendre l’oral, le parlé, avec ses hésitations, tâtonnements, repentirs, redites, vides, insistances. La redondance devient donc une figure de style privilégiée, à la fois caractérielle et musicale (cf. Mort à crédit p. 863 : « toute la lune, dans sa totalité complète »). L’oral est ce qui disparaît avec l’instant ; il faut donc s’assurer que le message a été transmis ; alors, la redondance vient conjurer le bruit, et remplacer le geste supposé mais non vu, le souffle suggéré mais non entendu. Si le locuteur (et souvent l’auteur) est caractériel, agacé, en rage, les répétitions se démultiplient, les ressassements prolifèrent jusqu’à un ‘gâtisme’ final, dont on ne sait trop s’il est spontané ou joué (avec Céline, la différence entre les deux est toujours très sujette à caution). 
Certes, les personnages (Auguste, Clémence, Courtial) se répètent sans fin. L’auteur, à mesure qu’il vieillit, radote inépuisablement. Rigodon, fini la veille de sa mort, mais non relu, comporte de longues redites dont on ne peut savoir si elles étaient destinées à être éliminées.

Mais cette insistance se joue aussi sur le plan stylistique, qui est en définitive le plus important (le fond de la littérature, c’est sa forme). L’auteur, même hors dialogues (c’est son innovation la plus hardie), écrit comme on parle, bafouille, hésite, mais aussi vitupère, vaticine, exagère (copieusement). L’auteur procède comme le Temps, car il se veut le témoin exact de l’universel désordre :
Maudits soupirs pour une autre fois p. 119 : « Le temps c’est pas une faux qu’il a, c’est une sorte de louche et une marmite monstre, il fout tout dedans, il bascule, il s’amuse à tritouiller [sa]* marmelade obscène, que tout se mélange confond s’embarbouille englue. »
Selon H. Godard la leçon est « ça », ce qui nous semblerait justifié si le mot était précédé d’une virgule (le verbe ‘marmelader’ est certes peu usité, mais Céline peut l'avoir inventé) ; il faudrait voir le manuscrit.

Quelques exemples (Pléiade) :
Mort à crédit p. 853 « il devenait rancuneux, tatillonneux, agressif à mon égard »
Mort à crédit p. 862 : « Combien ce fut tout ça pénible, infect, écœurant… »
Mort à crédit p. 906 « entièrement capitonné, fangeux, enrobé, soudé dans la pâte à merde ! »
D’un Château l’autre, p. 11 « Brottin Achille, lui, c’est l’achevé sordide épicier, implacable bas de plafond con… »
D’un Château l’autre p. 112: « Danube si brisant furieux ! […] si fougueux colère frémissant fleuve »
Nord, 1° § : « cette hideuse satanée horde d'alcooleux enfiatés laquais »
Rigodon, p. 778 « celui qui se tait pas, en tout et partout, est qu'un cabotin, vil quelque chose, député, bourrique, viande à fuir. »
Bien souvent, on se demande ce qui est substantif ou adjectif, ou autre - donc quoi se rattache à quoi, et comment. Les adjectifs sont l’objet préféré de ces accumulations. Mais les verbes les connaissent aussi : 
Guignol’s Band 1 (prélude) : « La boue du fleuve tout éclabousse !... brasse, gadouille la cohue qui hurle étouffe déborde au parapet !.. »
L’auteur mélange et imbrique les mots, de même que les choses sont entassées les unes sur les autres, ou, selon une tournure qu’il affectionne, les unes « dans » les autres. Le principe d’exclusion spatiale de tout objet par un autre est bien malmené, suggérant un monde d’interpénétration donc de confusion généralisée : 
Rigodon Pléiade p. 762-763 : « méli-mélo de croupions, nichons, bras et cheveux... coincés imbriqués […] comprimés, pressés, pillés, pressurés »

C’est là un des moyens par lesquels Céline fait entrer le lecteur dans la fabrique du texte. Il ne gomme rien des essais, tentatives plus ou moins opportunes de vocabulaire. Il nous livre tous ses tâtonnements. Quand il veut caractériser une chose, les divers mots qui lui viennent à l’esprit ne sont pas mis en compétition et triés selon leur pertinence. Ils sont livrés en vrac (ce qui ne signifie pas en désorde) dans un effet de brouillard, de brouillon, indépendamment de leur statut grammatical habituel, laissé dans l’indécision (p. ex. Guignol’s Band 1 : « croque-notes raté vagabond »). Plusieurs mots tournent autour de l’idée, la cernent de traits, créent un halo de qualifications dont chacune est approximative, mais dont l’ensemble finit par faire vibrer le sens de façon infiniment plus vivante que ne le ferait un mot bien précis, net et choisi, mince et coupant comme la ligne unique d’un contour. En anti-classique, en lointain disciple de Rabelais, Céline ajoute, accumule, surcharge : l’outrance, l’exagération constituent un de ses procédés principaux, d’ailleurs proclamé comme tel, aussi bien dans les situations que dans les mots qui les décrivent. On a sans cesse des entassements et des écroulements de choses, mais aussi des entassements et cataractes de mots (un des personnages de Guignol’s Band est nommé Cascade).
Les illustrations de Gen-Paul sont magnifiquement accordées à ce procédé d’écriture qui multiplie les ‘fausses’ lignes et donne une grande sensation de présence. Un mot n’annule pas le précédent, mais le complète. Pour le lecteur non encore habitué, cette prolifération peut donner une impression d’inextricable fouillis comme ferait La belle Noiseuse de Frenhofer. Mais avec un peu d’entraînement, on ressent la paradoxale force de présentification de ces approches multiples, de ce bégaiement. Céline multiplie les termes ‘approximatifs’, au sens positif du mot, à savoir : qui approche, qui s’approche, qui rend proche.
En particulier, pour qualifier, le plus souvent pour disqualifier, il aime multiplier, de façon aberrante en français, les adjectifs antéposés. Ainsi, il fait attendre le substantif, qui se trouve comme écrasé par avance par toutes les versions et variantes possibles de son ignominie. Ces adjectifs sont certes largement redondants, mais pas franchement synonymes ; chacun apporte l’écot de sa singularité. Même hors de la violence des pamphlets, l’injure est un modèle stylistique sous-jacent - le chapelet d’injures qui ne se soucie pas de cohérence ou de compatibilité. Il s’agit, par des coups redoublés, de ‘sonner’ par avance le substantif (le nom mis à mal par ses épithètes même).
On a donc l’impression d’être présent aux côtés du romancier, à son atelier, au moment où les possibles ne sont pas encore éliminés ; on voit le roman en train de se faire, encore pris dans sa gangue, minerai non encore purifié. Il semble qu’on accède à l’écriture in statu nascendi, qui cherche encore sa formulation avant la profération, qui tâtonne ; comme si la nappe phréatique, l’implexe verbal étaient mis en évidence, et exposés sans élimination (non sans ordre, non sans rythme). Chaque mot, chaque formule, est ainsi à la limite indécise du possible et du réel, du choisi et du non-choisi ; l’auteur cherche ses mots, et nous les donne tels qu’ils émergent dans sa conscience verbale. De cela vient la possibilité (très nouvelle assurément) de caractériser très fortement, sans pour autant définir nettement. On est dans une atmosphère, dans une ambiance mentale où sont maintenues la densité voire la brutalité de l’affect. Ça ronchonne, bredouille, répète, attaque par une série d’angles divers, tous des à-peu-près, mais dont l’accumulation sans clarté est pourtant très efficace. Il ne s’agit pas de brosser un portrait mais de mitrailler le plus grand nombre possible d’exécrations. Ce ne sont pas des mots d’avant les mots. Ce sont des mots d’avant le choix ; c’est le brouillon, le brouillard. Le paradoxe, et la merveille littéraire, c’est que cette façon de ne pas choisir est une façon de tout choisir ; cette façon de proposer revient à tout imposer puisque le lecteur ressentira l’effet de chaque mot, ne pourra pas se tenir à distance de l’inquiétante rumeur de sous-sol, faite de grommellements et ruminations.


mardi 14 janvier 2020

Céline : l'oral et ses redites


billet complété par :
Céline : l'oral et ses redites (2) : L'oncle Édouard et Descartes
https://lecalmeblog.blogspot.com/2020/02/celine-loral-et-ses-redites-2-loncle.html

Céline, c’est bien connu, cherche à instiller l’oral dans l’écrit. Or, si scripta manent, en revanche verba volant. L’écrit peut donc être bref, compendieux, sans redondance puisqu’on lit à son rythme et on peut éventuellement relire. Car l’écrit, c’est une évidence qu’il faut souligner, a partie liée à l’espace (réversible), quand l’oral relève du temps seul (irréversible). À l’oral, l’instant fait tout disparaître. Le problème de l’oral littéraire, c’est principalement la disparité entre ces deux temporalités. 
Dans le langage parlé, on ne cesse de répéter, de reprendre - que ce soit conversation de famille ou cours en amphi… À l’oral, la pensée et l’expression se cherchent, les affects à la fois troublent l’élocution et incitent à parler. Donc à répéter, pour donner le temps de comprendre, pour se donner le temps de réfléchir ou, plus fréquemment, pour se conforter et conforter autrui dans la vérité profonde de l’opinion qu’on vient d’énoncer.
La transposition à l’écrit a donc des effets cocasses, surtout en raison de la tradition française du ‘beau style’ qui maudit les répétitions. Céline, bien sûr, n’hésite pas à en rajouter, et ses personnages souvent obsessionnels se répètent de façon insupportable : perroquets, pantins ruminant indéfiniment la colère, la hargne, la haine, les imprécations, les conseils.
Les radotages du père dans Mort à crédit sont comme la préfiguration des obsessions haineuses des pamphlets, mais aussi de l’écriture célinienne à venir, qui retourne sans cesse en boucle sur elle-même. Le musicien peut répéter un motif ; Céline s’attribue ce droit dans sa musique personnelle. Ainsi, l’insistance, voire l’exaspération accèdent à la dignité esthétique.

Prenons dans Mort à crédit quelques exemples qui seront plus frappants encore si on isole chaque reprise (à peine variée) par un retour à la ligne. Il s’agit dans tous ces cas d’indirect libre : l’auteur assume donc une part de la redondance en nous fournissant l’écho interne des propos déjà redondants, donc en y ajoutant la sensation de vertige du jeune Ferdinand assailli par les radotages des pitoyables adultes auxquels il devrait se soumettre : 

p. 855 :
Après deux mois à l’essai, il avait parfaitement saisi 
- que je me plairais jamais ailleurs... 
- Que le condé du Génitron c’était entièrement pour mon blaze, 
- que ça me bottait exactement, 
- qu’autre part dans un autre jus je serais toujours impossible... 
- C’était écrit dans mon Destin... 
(soit 5 fois)

p. 793 :
C’est une chose alors mes dabes 
- qu’ils n’auraient pas pu encaisser, 
- qu’ils avaient jamais pu blairer, 
- qu’ils avaient jamais pu comprendre, que je manque, moi, d’espérance et de magnifique entrain... 
- Ils auraient jamais toléré... 
(soit 4 fois ; ce dont il est question n’étant mentionné qu’en 3° occurrence)

p. 854 : 
Enfin, tout de même, y a un chapitre où il m’a 
- jamais truqué, 
- jamais déçu,
- jamais bluffé, 
- jamais trahi même une seule fois ! C’est pour mon éducation, mon enseignement scientifique. Là, 
- jamais il a flanché, 
- jamais tiqué une seconde !... 
- Jamais il a fait défaut ! 
soit 7 fois, le thème indiqué seulement à la 4°

p. 861 : 
Il voulait que son lecteur 
- en personne 
- lui-même se forme 
- sa propre conviction, 
- par ses propres expériences... quant aux choses les plus relatives, des astres et de la pesanteur... 
- Qu’il découvre lui-même les lois... Il voulait ainsi 
- l’obliger ce lecteur, toujours fainéasson, à des entreprises très pratiques 
- et point seulement le contenter par une ritournelle de flatteries...
7 fois, la dernière avec une présentation inversée de la même idée.