lundi 22 juin 2020

Frost : ‘Halte dans les bois…’ [traduction M.P.]




Halte dans les bois par un soir de neige

À qui ces bois ? je crois savoir.
Mais de chez lui il ne peut voir
Que je m'arrête à regarder
Ses bois sous la neige ce soir.

Mon cheval doit bien s'étonner
De cet endroit inhabité
Entre les bois et les eaux prises,
Le soir le plus noir de l'année.

D'un coup de harnais il s'avise
Si ce n’est pas une méprise.
À part lui on n'entend frémir
Que les doux flocons et la brise.

Ces bois profonds sont à ravir.
Mais j'ai des serments à tenir
Et combien de lieues sans dormir,
Et combien de lieues sans dormir. 



Stopping by woods on a snowy evening

Whose woods these are I think I know.
His house is in the village though ;
He will not see me stopping here
To watch his woods fill up with snow.

My little horse must think it queer
To stop without a farmhouse near
Between the woods and frozen lake
The darkest evening of the year.

He gives his harness bells a shake
To ask if there is some mistake.
The only other sound's the sweep
Of easy wind and downy flake.

The woods are lovely, dark and deep.
But I have promises to keep,
And miles to go before I sleep,
And miles to go before I sleep.


rappel : 

Nabokov, Feu pâle, Pléiade t. 3 p. 311 (commentaire par Kinbote des vv. 425-426) :

"Frost et l'auteur d'un des plus grands petits poèmes en langue anglaise, un poème que tous les petits Américains savent par coeur à propos de bois en hiver et de morne crépuscule, et des douces remontrances des petits grelots du cheval dans l'air qui s'assombrit, et cette fin prodigieuse si poignante – les deux derniers vers, identiques dans chaque syllabe, mais l'un personnel et physique et l'autre métaphysique et universel. Je n'ose les citer de mémoire de crainte de déplacer un seul de ces précieux petits mots. 


Frost is the author of one of the greatest short poems in the English language, a poem that every American boy knows by heart, about the wintry woods, and the dreary dusk, and the little horsebells of gentle remonstration in the dull darkening air, and that prodigious and poignant end – two closing lines identical in every syllable, but one personal and physical, and the other metaphysical and universal. I dare not quote from memory lest I displace one small precious word.