dimanche 11 août 2019

Opéra schizo



Dans la fosse, l'orchestre fait tout ses efforts pour avoir de la partition la lecture historique la plus rigoureuse, parfois à l'excès. On va éplucher tous les anciens traités, témoignages, retrouver instruments, cordes en boyaux et autres, pour tendre à une authenticité maximale. Louable, même si quelque fois on va un peu trop loin et remplace la musicalité par l'histoire pointilleuse. 
Mais le cocasse c'est que, sur la scène, on fait exactement le contraire : le metteur en scène, depuis quelques décennies, c'est celui qui s'efforce par tous moyens de déformer l'opéra en le modernisant de façon aberrante : concours de délire, compétition dans le n'importe quoi. 
Ou alors (est-ce mieux ?) on nous dicte toujours la "lecture convenable" de l'œuvre comme si nous étions des crétins absolus ; des uniformes SS dans Fidelio, au cas où on n'aurait pas compris qu'il s'agit de La Violence Du Pouvoir ; au cas où l’on aurait oublié que le Ventre est Toujours Fécond… 
Heureusement, il y a le disque. Ouf !

Cf. Ph. Beaussant : La Malscène. Opuscule qui dit des évidences (c'est très rare). On est même gêné que de telles évidences aient à être dites, et qu'elles passent pour originalité, voire pour perversion suspecte. Seul défaut du livre : il a pris le parti de ne pas nommer les productions auxquelles il pense, pour donner un tour plus général à son propos. Mais justement, il faudrait nommer. Si un Académicien Français ne le fait pas, qui le fera ? On n'ose dire des noms que dans le huis-clos d'un appartement, après avoir vérifié qu'il n'y ait pas de micros cachés ? 


Proust, Steinbeck et Céline : divinations


Proust, À l’Ombre des jeunes filles en fleurs : 
« Il semble que certaines réalités transcendantes émettent autour d’elles des rayons auxquels la foule est sensible. C’est ainsi que, par exemple, quand un événement se produit, quand à la frontière une armée est en danger, ou battue, ou victorieuse, les nouvelles assez obscures qu’on reçoit et d’où l’homme cultivé ne sait pas tirer grand’chose excitent dans la foule une émotion qui le surprend et dans laquelle, une fois que les experts l’ont mis au courant de la véritable situation militaire, il reconnaît la perception par le peuple de cette « aura » qui entoure les grands événements et qui peut être visible à des centaines de kilomètres. On apprend la victoire, ou après coup quand la guerre est finie, ou tout de suite par la joie du concierge. » 

Steinbeck, Les Raisins de la colère [traduction Coindreau-Duhamel] p. 353 :
« En prison... on finit par... avoir du flair pour certaines choses. On ne laisse pas souvent les types se parler entre eux, pouvez être sûr... à deux, des fois, mais jamais en groupe. Alors on finit par flairer les choses. Quand ça s'apprête à barder... quand par exemple un type va piquer sa crise et tomber sur un gardien à coups de manche de pelle... eh ben ! on le sent avant que ça arrive. Et quand une évasion s' prépare, ou qu'une émeute va éclater, personne n'a besoin de vous prévenir. On le sait. »
« When you’re in jail—you get to kinda—sensin’ stuff. Guys ain’t let to talk a hell of a lot together—two maybe, but not a crowd. An’ so you get kinda sensy. If somepin’s gonna bust—if say a fella’s goin’ stir-bugs an’ take a crack at a guard with a mop handle—why, you know it ’fore it happens. An’ if they’s gonna be a break or a riot, nobody don’t have to tell ya. You’re sensy about it. You know. »

Céline, Nord
« Les fils électriques servent à rien, ni les pneumatiques, ni les caves chantantes, une fois que les êtres sont tout tremblants, vibratiles, parfaitement secoués par la frousse... plus besoin d'aucun appareil, ils émettent transmettent d'eux-mêmes, corps et âmes, bafouillis, hoquets, les nouvelles... vous les effleurez ? pfft !... vous en avez plein !... ça déborde, éclabousse !... vous auriez pas dû ! vous vous trouvez anéanti par ce qu'ils vous apprennent... juste de l'air du temps, le vrai, le faux... […] je ne suis pas, de loin !… si doué que certaines personnes qui savent comme par ondes ce que l'avenir fricote… mal ou bien… plus sûr que le marc ou les cartes… naissances, fille, garçon, gros lot, attentat, cancer, passage à niveau… je serais un petit peu intuitif, peut‑être, mais pas plus… je suis trop sceptique… »


Valéry hume et fume


« Je hume ici ma future fumée »

- Intrasonance* très réussie ; 4 fois le son ‘u’ en 10 syllabes, ce qui, en français, est peu ordinaire. 
- Le mot ‘hume’ est parfaitement justifié, littéraire ce qu’il faut. 
- Valéry, grand fumeur, n’ignorait pas que cette inhalation pourrait être sa mort. 
- ‘Hume’ fait parfaitement écho, quant au son et quant au sens, avec ‘fum(é)e’. 
- Et, last but nos least, ce mot suggère, éveille en notre implexe le ‘post-hume’ latent dans tout le poème. 

* « Ce que j'appelle intrasonance est la répétition du même son dans le vers : La flûte sur l'azur enseveli module ! »