jeudi 23 décembre 2021

Céline : l'oral et ses redites (3)

 
   après

http://lecalmeblog.blogspot.com/2020/01/celine-loral-et-ses-redites.html
   et
http://lecalmeblog.blogspot.com/2020/02/celine-loral-et-ses-redites-2-loncle.html
   dans Mort à crédit, une jolie série de redondances à propos de l'équipe de football du collège :
   "Avec moi en moins dans l’équipe,
1 il tenait plus le coup pour les sports.
2  Il finirait pas la saison.
Après les vacances de Noël, on avait eu quatre départs... des mômes qu’étaient pas revenus...
3. Le collège il serait plus montrable avec son « football », même si on laissait jouer Jonkind...
4 Ça pouvait plus exister...
5 Avec huit morveux seulement c’était pas la peine qu’on s’aligne...
6 On se faisait sûrement écraser...
7 Les « Pitwitt » rentraient ce qu’ils voulaient..."

 

Céline : bonheur (notule)

 

  Une idée qui n'est pas spécifique à Céline, loin de là, mais qu'il évoque au moins à deux reprises de façon très nette (il y a, je pense, d'autres cas à repérer dans son œuvre) :
  le bonheur se définit pour chacun par ce dont il manque et souffre cruellement.

   Pour Robinson, aveugle et pauvre, le bonheur, c'est de voir et d'avoir de l'argent.
  Il insistait et concluait : « Il n’y a qu’une liberté, que je te dis moi, rien qu’une : C’est de voir clair d’abord, et puis ensuite d’avoir du pognon plein les poches, le reste c’est du mou ! ...


   Pour Lempreinte (l'employeur du père dans Mort à crédit), qui souffre de terribles maux d'estomac, tout serait bonheur sans ces douleurs. Quant au père, son bonheur serait de n'avoir plus un fils aussi vicieux. Chacun est prêt à échanger son malheur avec celui, plus supportable lui semble-t-il, de l'autre.
   « Ah mon ami ! C’est tout ça ? Moi, si j’avais votre estomac ! Ah alors ! Ce que je m’en foutrais bien !... Et comment !... De tous mes proches et relations !... De tous mes fils et cousins !... de ma femme ! de mes filles ! de mes dix-huit pères ! Mais moi si j’étais à votre place ! mais moi je pisserais sur le monde ! Sur le Monde entier ! Vous m’entendez bien ! Vous êtes mou Monsieur ! c’est tout ce que je peux voir ! »
   C’est comme ça qu’il sentait les choses, lui, Lempreinte, toujours à cause de son ulcère, placé à deux doigts du pylore, bien térébrant, bien atroce... L’univers, pour lui, n’était plus qu’un énorme acide... Il avait plus qu’à essayer de devenir tout « bicarbonate »... Il s’évertuait toute la journée, il en suçait des brouettes... Il arrivait pas à s’éteindre ! Il avait comme un tisonnier en bas de l’œsophage qui lui calcinait les tripes... Bientôt, il serait plus que des trous... Les étoiles passeraient à travers avec les renvois. Sa vie était plus possible... Avec papa, au courant, ils se proposaient des échanges...
   « Tenez, moi, je le prendrais bien votre ulcère ! tout ce qu’on voudra pourvu qu’on me soulage de mon fils ! Vous n’en voulez pas ? »

   Ce qui est célinien dans cette attitude, c'est l'égoïsme (assez compréhensible), et surtout le caractère immédiat et naturel, brutal même, de la généralisation, de l'universalisation. Ce n'est pas : "pour moi qui souffre de l'estomac, le bonheur, c'est..." ; mais "Le bonheur, c'est..." . Chacun est aveugle à la douleur des autres, chacun pense être le plus souffrant.
C'est le primat, la dictature du ressenti subjectif (redondance..). Toute discussion est vaine. Chacun dans sa peine.


ajout de 2023 : 

Guerre : [le narrateur souffre d'acouphènes ; Cascade est blessé au pied] "C’est rien ce qu’il avait, Cascade, à côté de moi. J’aurais bien donné mes deux pieds moi pour qu’ils pourrissent, pour qu’on laisse ma tête tranquille. Il comprenait pas ça, on comprend pas l’idée fixe des autres."