samedi 26 mars 2011

Proust e(s)t son nom

  
Proust n'aimait guère son patronyme ; on n'a pas dû attendre le Céline des pamphlets pour en ôter le "S". Déjà, chez Huysmans, la chanson enfantine apparaît comme bien connue : "la contre-maître, très apitoyée, la prit dans les bras, la mit sur ses genoux et, tricotant des jambes, elle chantonnait: à dada, sur mon bidet, prout, prout, prout cadet ! ". 
On comprend que Marcel écrive : "Prière de ne pas m'appeler Proust quand vous parlez de moi. Quand on a un nom si peu harmonieux on se réfugie dans son prénom". 

Quelques petites choses dans la Recherche pourraient être liées à cela, de façon plus ou moins significative. 
Le nom de "Cambremer", qui pourrait être le point de départ d'une rêverie onomastique normande et maritime, se voit ironiquement décomposé en deux débuts qui n'osent aller au bout de dire la même chose : le début de Cambronne et le début de son mot. 

"Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant.
- Il ne commence pas mieux, répondit Swann.
- En effet cette double abréviation !...
- C'est quelqu'un de très en colère et de très convenable qui n'a pas osé aller jusqu'au bout du premier mot.
- Mais puisqu'il ne devait pas pouvoir s'empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait d'achever le premier pour en finir une bonne fois."



Plus intéressant, semble-t-il, ceci. 
La violente et coruscante "sortie" de Charlus à Morel, quand la jeune fiancée de ce dernier a usé d'une formule par trop roturière. Le vocabulaire et les allusions, les sous-entendus confirment tous la "métaphore" principale, d'autant plus sonore que monosyllabique, de cette récompense fort mal placée, "son pour son" : 

La nièce du giletier ayant dit un jour à Morel : « C’est cela, venez demain, je vous paierai le thé », le baron avait avec raison trouvé cette expression bien vulgaire pour une personne dont il comptait faire presque sa belle-fille ; mais comme il aimait à froisser et se grisait de sa propre colère, au lieu de dire simplement à Morel qu’il le priait de lui donner à cet égard une leçon de distinction, tout le retour s’était passé en scènes violentes. Sur le ton le plus insolent, le plus orgueilleux : « Le « toucher » qui, je le vois, n’est pas forcément allié au « tact », a donc empêché chez vous le développement normal de l’odorat, puisque vous avez toléré que cette expression fétide de payer le thé, à 15 centimes je suppose, fît monter son odeur de vidanges jusqu’à mes royales narines ? Quand vous avez fini un solo de violon, avez-vous jamais vu chez moi qu’on vous récompensât d’un pet, au lieu d’un applaudissement frénétique ou d’un silence plus éloquent encore parce qu’il est fait de la peur de ne pouvoir retenir, non ce que votre fiancée nous prodigue, mais le sanglot que vous avez amené au bord des lèvres ? »
L'exégèse se fait sans peine. Mais on pourrait ne pas remarquer deux situations très similaires, dans l'orthographe même des mots et ldans a position des syllabes : 
un PeT
Payer le THÉ
Si les extrêmes se rejoignent, ils désignent bien encore et toujours la même chose. 

Mais tout ceci resterait anecdotique si l'on ne pouvait procéder de même pour... le patronyme même de l'auteur :
ProusT
fort malencontreusement encadré par son alpha et son oméga... 
Proust a beaucoup rêvé, beaucoup écrit, sur les noms de pays, sur les noms de personnes, sur les noms aristocratiques qui composent le charme des deux. Il mentionne à peine, dans les milliers de pages de son œuvre, son propre prénom. Mais son patronyme, jamais ! le nom du père, (Ad)rien ! D'un certain point de vue, on peut comprendre que ce legs lui parût laid. 
Etc. etc. 

Enfin, tout ceci, ds la mesure où... , selon que... ; ou, comme on dirait en latin... prout.
  
Pour les amateurs de dissection de l'onomastique proustienne, voir
M. Schneider "Maman"
et 
A. Roger : "Proust, les plaisirs et les noms".



Immobilité du Bien / pittoresque du Mal

  
L'art médiéval est principalement statique : les saints, le paradis, Jésus, sont immobiles et sereins. Ces modèles (moraux et plastiques) ne gigotent pas : ils ont vaincu leurs passions. 
Le mouvement se trouve dans l'art populaire, dans la musique de danse, au contraire du grégorien qui tend lui aussi à l'immobile malgré le temps, qui tend à donner une image à peine mobile de l'éternité. Mais, dans l'art savant et religieux (c'est à peu près synonyme), le mouvement se trouve surtout dans les représentations du Mal. Les péchés, les vices, sont distordus dans la sculpture et confus dans la peinture. Le désordre moral va avec le désordre plastique ; il  l'autorise, voire l'exige ; les difformités et péchés de l'âme se traduisent en difformités et accident des corps. L'enfer est un immense désordre quand le paradis est une chorale bien ordonnée, rangée en parallèles comme sont parallèles les voix. 


Basilique Saint Sernin de Toulouse 
(Source Wikipédia Licence CC)

C'est peut-être la raison pour laquelle, quand l'art se désolidarisera du Bien, de l'Un, du statique, il prendra ses références dans les peintures du Mal, qui libèrent à la fois des normes morales et esthétiques. Il y a plus de dynamisme et de spectaculaire dans le vice que dans la vertu, de même qu'on ne fait guère de bonne littérature avec de bons sentiments. La peinture du mal (en tableaux ou en romans) offre un champ plus vaste, plus coloré, des aventures plus accidentées, donc pittoresques. Le saint statique est un être arrivé à destination ; donc arrêté ; il a rejoint sa vocation, et n'a donc plus à changer ; il peut rester tel qu'en lui même enfin. La frénésie qui agite les méchants, elle, est pleine d'histoires et de singularités. Il y aura désormais, outre la beauté statique d'un Sarastro, une beauté dynamique de la Reine de la Nuit, qui dominera l'art ultérieur. 

(Source Wikipedia)