jeudi 4 mars 2021

Notules (7)


   Pythagore, selon la légende, entend des notes sortir d'une forge, et voit qu'elles sont proportionnées aux longueurs relatives de barres de métal martelées. Il en tire une vision du monde organisée par le Nombre et l'Harmonie. L'harmonie du monde s'entend - et elle se voit, par exemple dans la ressemblance de forme entre harpe, piano à queue et flûte de Pan. 


   Les mots, les noms communs, sont des universels abstraits qui permettent de reconnaître les choses sans les connaître dans leur singularité, dans leur détail. Le langage comme abstraction, réduction ; comme caricature pas drôle.


   Bach accomplit. Beethoven ouvre. Bach n'innove pas, il recueille un style finissant et montre à quel point on pouvait le mener ; il est tourné vers le passé, et ce qui est nouveau, c'est le degré de perfection. Beethoven est tourné vers l'avenir : en malmenant les formes, il dessine des perspectives, il rend possible. M. de Norpois dirait que, pour faire de l'air, il "casse les vitres". On peut appliquer à Beethoven, mais certainement pas à Bach, l'idée sans cesse reprise par Proust qu'une œuvre d'art nouvelle ne peut que choquer, car elle ne présente pas les traits par lesquels on se représentait jusqu'alors une belle œuvre.


   Les grands "titreurs", souvent des polémistes, des vociférateurs: Huysmans, Bloy, Céline ; mais aussi la très fragile Carson McCullers. Le seul mauvais titre "célinien", à la fois banal et faux, Le Pont de Londres, n'est pas de Céline. Chez McCullers, il est difficile de rendre le magnifique titre original The Member of the wedding : le membre (mélancoliquement coupé) de la noce... "Être de la noce" (ou ne pas être). Ou, pour reprendre la formule-clé du livre : "Leur Nous à moi". On a choisi une solution sans relief et sans danger : le nom de l'héroïne, Frankie Addams.


   Tout tirer de soi-même, tendance française : Descartes, Valéry, Proust. L'influence de Darlu, réputée négative par Proust, non parce que mauvaise, mais parce qu'influence. Cf. À L'Ombre des jeunes filles en fleurs : "plaisir qui m'était naturel, [...] plaisir d'avoir extrait de moi-même et amené à la lumière quelque chose qui y était caché dans la pénombre". Cf. Descartes Règle X : "J'ai l'esprit ainsi fait, je l'avoue, que j'ai toujours considéré comme la plus grande volupté de l'étude, non point d'écouter les raisonnements d'autrui, mais de les découvrir moi-même par mes propres ressources"


   Apollinaire / Rimbaud. J'avais jadis noté que le recueil Alcools, qui navigue entre tradition et modernité, commence par un vers qui hésite entre 11 et 12, selon qu'on fait ou non la diérèse, selon qu'on est classique ou moderne. ("À la fin, tu es las de ce monde anci[-]en"). Mais, déjà, chez Rimbaud : "On n'est pas séri[-]eux quand on a dix-sept ans". 


   Tout à fait idiote (bien dans le mauvais goût du temps) l'idée du quatuor Voce (ou de ses promoteurs commerciaux) de marquer son 15° anniversaire en enregistrant deux quatuors numéro 15. Malgré cela, l'idée de coupler celui de Mozart et celui de Schubert, hormis le hasard de la numérotation, est excellente. On souligne ainsi la ressemblance, la parenté, la continuité spirituelle entre ces deux merveilles ; la plainte, l'appel, retenu mais combien bouleversant, du dernier mouvement de Mozart (quatuor en Ré mineur, la tonalité bénie !), aussi nostalgique que du Schubert (le halètement inquiet, l'appel suraigu de l'anapeste). Occasion, s'il en était besoin, de réécouter, pour la millième fois, le 2° mouvement de Mozart : il faudrait parler de perfection, sans évoquer pourtant en quelque façon un "sommet" car il serait étrange de parler d'un "sommet de confidence"... Condition, aussi, pour une bonne écoute : oublier la photo du CD, d'un crétinisme lui aussi dans l'air du temps. Bizarre, cette façon de promouvoir une musique merveilleuse par des moyens si stupides. 


   Ne plus avoir de concerts publics, est-ce si grave, si cela nous épargne le type qui ne peut s'empêcher de hurler son 'bravo' sur la note finale ? (pour sa demi-seconde de célébrité ? pour faire la promo de son beau-frère soliste ?)


   Flaubert / Céline : Les tentatives désastreuses de Bouvard et Pécuchet dans leur potager, qui n'aboutissent qu'à un "chou incomestible", se retrouvent (amplifiées, comme il se doit) dans les expérimentations de Courtial des Pereires pour doper les pommes de terre à l'électricité. Même critique de la théorie qui croit pouvoir commander à ce qu'il y a de plus concret et complexe : la terre, la vie. 


   La joie des jeunes, c'est Youpi ! La joie des vieux, c'est Ouf !


   Derniers mots de Léautaud : "Foutez-moi la paix !". Derniers mots de Céline : "Qu'on me laisse tranquille, je ne veux voir personne."


   Milieu du XIV° siècle : 

« Corps savoreus, 

Onkes Tristans n’ama si bien la belle Yseus 

Comme je fai vo corps qui tant est prétieus !  »

[Li Romans de Bauduin de Sebourc, Valenciennes, B. Henry, 1841, I, p. 380, v. 816-819, cité par Perez, Stanis, Le Corps du roi.]