mercredi 26 janvier 2022

Pensées recueillies çà et là (9)


Voltaire, L'ingénu, chap. X : 

"Il lut des histoires, elles l'attristèrent. Le monde lui parut trop méchant et trop misérable. En effet, l'histoire n'est que le tableau des crimes et des malheurs."

Queneau, Une histoire modèle [publié en 1966, rédigé en 1942] : 

"L'histoire est la science du malheur des hommes"

Nabokov, Pnine, chap 11 : 

"The history of man is the history of pain !"

"L’histoire de l’Homme est l’histoire de la Douleur !" (trad. Chrestien)

"L'histoire de l'homme, c'est l'histoire de la souffrance !" (trad. Couturier)


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Céard, Une belle journée p. 201 [1881] :

"[...] la Seine toute verte, ainsi qu'un fleuve de pus [...]"

Saint-John Perse, Images à Crusoe (1909) 

"La Ville par le fleuve coule à la mer comme un abcès..."

Céline, Voyage au bout de la nuit (1932) : 

"Plus au fond encore, c’est toujours la Seine à circuler comme un grand glaire en zigzag d’un pont à l’autre."

le parallèle Perse-Céline a déjà été mentionné dans un billet : 

http://lecalmeblog.blogspot.com/2010/03/celine-chez-saint-john-perse.html


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 Baudelaire : 

"Un système est une espèce de damnation qui nous pousse à une abjuration perpétuelle"

Mallarmé : 

"L'amour est une infidélité envers soi-même"


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Eliade :

"Si l’esprit utilise les images pour saisir la réalité ultime des choses, c’est justement parce que cette réalité se manifeste d’une manière contradictoire, et par conséquent ne saurait être exprimée par des concepts."

Images et symboles


Bossuet :

"Les mortels n’ont pas moins de soin d’ensevelir les pensées de la mort, que d’enterrer les morts mêmes."


Sainte-Beuve : 

"[On] est encore de ce temps-ci, ne serait-ce que par le soin perpétuel de s’en garantir. [...] On touche encore à son temps, et très-fort même quand on le repousse."

Lundi 1° oct. 1849


Valéry : 

"Le besoin de nouveau est signe de fatigue ou de faiblesse de l’esprit, qui demande ce qui lui manque. Car il n'est rien qui ne soit nouveau"

Mauvaises pensées


Suarès :

"Toute la grandeur du droit est dans le bel usage de la force : à la force brutale, il impose une force digne de l’esprit. Mais s’il n’en a pas les moyens, il perd toute vertu ; et toute dignité".

C'est la guerre


Valéry :

"Seules, d'obscures formules permettent l'espoir."

Cahier B 1910


 

Zola et le miracle

 

J'ai eu, jadis, l'énergie et le courage de lire le Lourdes de Zola. C'était presque uniquement en vue d'une comparaison avec Huysmans que j'avais ingurgité ce très gros et pénible volume. Pas mauvais, mais pénible, car Zola y est plus Zola que jamais. 

Les lecteurs universitaires (je ne m'en excepte pas) en retiennent en général un paragraphe bien marquant (assez huysmansien) pour illustrer la notion rhétorique (d'ailleurs très fumeuse) d'hypotypose : 

"... comme il passait dans la même eau près de cent malades, on s'imagine quel terrible bouillon cela finissait par être. Il s'y rencontrait de tout, des filets de sang, des débris de peau, des croûtes, des morceaux de charpie et de bandage, un affreux consommé de tous les maux, de toutes les plaies, de toutes les pourritures."


J'en retiens autre chose, non un passage, mais un dispositif narratif très ingénieux et efficace, philosophiquement intéressant. Un jeune prêtre, qui doute, est amoureux d'une jeune femme mystérieusement paralysée (tout ceci est vrai comme la vie ! Nabokov dirait "it is all very compelling and true to life"). Il apprend, de la bouche d'un ami médecin, les étapes et les conditions classiques d'une guérison prétendue miraculeuse, aussi psychosomatique, de fait, que la maladie qu'elle supprime. On va voir si c'est vraiment comme ça. 

Le prêtre et la jeune femme vont à Lourdes (descriptions, documentaire, reportage) où se déroulent les rituels (redocumentaire) qui aboutissement bien sûr à la guérison, exactement comme prévu par la médecine : ardente persuasion, fatigue, tension nerveuse, foule unanime, etc. Le prêtre a donc la confirmation parfaite des thèses médicales au moment même où la jeune femme a la confirmation parfaite du caractère miraculeux du pèlerinage*. Autrement dit (et c'est là à mon avis l'intéressant du roman), l'un a la confirmation de la continuité du temps : tout se passe dans la nature conformément à des règles implacables de succession des causes et des effets. L'autre a la confirmation de l'intervention divine venant rompre la continuité du temps naturel, la rigidité des lois du monde. 

Dans un passage essentiel de la Critique de la raison pure, Kant expose que les lois de la nature ne peuvent être enfreintes, car elles sont régies par quatre principes,. En latin : "non datur saltus, non datur hiatus, non datur casus, non datur fatum"

Pour la version intégrale, voir : 

https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Kant_-_Critique_de_la_raison_pure,_I.djvu/293

Autrement dit, il n'y a pas de cas particulier qui briserait la continuité du temps du fait d'une intervention surnaturelle. Il n'y a pas de miracle. 

Zola voulait une situation exemplaire ; il l'a fort bien construite. Il conclut (il laisse conclure) que les prétendus miracles ne prouvent pas l'intervention divine, mais confirment encore plus, au contraire, l'intangibilité des lois naturelles, à condition de tenir compte, parmi elles, de facteurs psychologiques et psychosomatiques que la médecine est en train d'étudier (c'est la grande époque de l'hystérie). Si on ne suit pas Zola, on peut considérer que les hypothèses psychosomatiques sont de fragiles constructions, alors que la toute-puissance divine est d'un autre calibre. 

Mais on doit en tout cas conclure qu'un fait, si spectaculaire soit-il, ne prouve rien en lui-même, et n'a de sens qu'en fonction d'une interprétation globale. Ce n'est pas le fait qui valide les présupposés. Ce sont les présupposés qui qualifient le fait. 


* TLF : Fréq. abs. littér.: 675 dont 78 pélerinage