vendredi 7 janvier 2022

Lecteurs, liseurs, diseurs

 

  Une suggestion : procéder à des écoutes critiques comparées, du genre de celles qui se font pour les enregistrements de musique, pour les œuvres littéraires lues : livres entiers, poèmes ou scènes isolées de pièces de théâtre, écoutables à la radio ou sur des sites spécialisés, ou sur Youtube. Evidemment, il n'y a pas souvent le nombre de versions qui est à notre disposition pour la symphonie Jupiter, mais, en cherchant bien, on en trouve. Occasion aussi de comparer les tendances selon les époques. En outre, il est tout à fait possible de donner des appréciations critiques sur un texte dont une seule lecture existe (texte qui n'est pas forcément "littéraire" au sens usuel du terme : il peut être philosophique, ou politique). Occasion de voir qu'en lecture comme en musique, il y a un large éventail d'interprétations, non-comparables car fondées sur des parti-pris de lecture différents, mais dont chacun peut être recevable et fructueux.
   En particulier, et de façon assez paradoxale, on entend, au sein du naufrage intellectuel et langagier de France-Culture, des lectures, pas toujours anciennes, qui sont assez souvent d'une très bonne, voire d'une remarquable qualité, de la part de liseurs rapidement mentionnés, et assez peu connus. La condition de liseur doit être difficile, pour que d'excellents professionnels acceptent d'illustrer des émissions composées par ailleurs de clichés et de niaiseries en français décomposé. Il faudrait, travail ingrat donc pieux, éplucher ces innombrables heures d'émissions "culturelles" pour y prélever les lectures qu'elle renferment (des pépites ; labeur de chercheur d'or), et en constituer une précieuse bibliothèque de musique verbale.

   Dans un billet récent, j'ai dit quelques mots de comparaison entre Podalydès et Luchini.
http://lecalmeblog.blogspot.com/2021/12/luchini-autophage-diseur-diseur-et-demi.html
   Je récidive, sur une seule voix :
   En général, je supporte très mal la diction de Jean-Louis Barrault (et encore, je le dis ici de façon très diplomatique). Mais il y a un texte où je suis fasciné par cette voix si singulière, c'est "Les Assis" de Rimbaud, où il me semble entendre, presque sentir matériellement la pathologie de la raideur, de la rigidification, de la sclérose ; le devenir-bois me semble passer dans le son. Le défaut devient alors une rare vertu, aidée par un très bon tempo, qui permet de savourer l'horreur sournoise de ce texte qui atteint au fantastique sans les "effets spéciaux" ruineux et puérils du cinéma.
https://www.youtube.com/watch?v=n1ngCSDttaA