mercredi 25 novembre 2020

Notules (3)


Flaubert, L'Education sentimentale. Personnage de 'la Bordelaise', maîtresse d'Arnoux (méridional sensuel) et fauteuse de désordre ; on peut entendre dans sa dénomination le mot ‘bordel’ ; Sénécal ne l’aime pas, parce qu’il n’aime ni la sensualité ni le bordel au sens de désordre [ce sens figuré date du XVII° s. ; cf. Dict. du fr. Non-conventionnel]. Elle fait miroir avec Marie Arnoux la sainte et pure, épouse légitime.


Hölderlin. Dans les poèmes de la folie, ou du début de la folie (Andenken), on trouve des vues, des descriptions dont les éléments sont étrangement 'reliés' par des mots de relation logique et non spatiale (aber). Effet de confusion, de brume entre les catégories intellectuelles et les éléments perçus, comme dans un rêve où les choses semblent se déduire les unes des autres, selon des modalités énigmatiques. Cf. Baudelaire (Confiteor de l'artiste), et l'ambiance souvent somnambulique de Kleist. Ici, la fusion romantique entre le moi et le monde n'est pas anecdotique ou superficielle. 


Céline, bel hypallage dans Mort à crédit : "Fallait que je reste sur mes gardes, l’imagination m’emportait, l’endroit était des plus songeurs avec ses rafales opaques et ses nuages partout." [le pluriel de 'songeurs' est sujet à caution, mais chez Céline, ce n'est pas le problème]


Mallarmé, sonnet 'leste' sur l'engendrement du poète : 

https://lelectionnaire.blogspot.com/2020/06/mallarme-richepin-origine.html

Au 2° vers, "Parce que le journal détaillait un viol". Pour que le vers soit correct, il est impératif de faire la diérèse 'vi-ol', qui n'est pas naturelle du tout, mais qui mime la lente délectation morbide du lecteur, suscitée par la narration détaillée dans le journal. Donc nous détaillons aussi en lisant le vers, nous sommes amenés à savourer en gourmets un viol qui en acquiert un air de minutieux dépeçage... 


McCullers : "the we of me". Il faut entendre la romancière, âgée et très déprimée, sanglotant presque en lisant ces mots de Frankie Addams, qui expriment l'idéal cruellement déçu de toute sa vie. Ce 'nous' est l'inverse du 'nous' royal, du 'we of majesty' qui exprime un surcroît d'être. Celui de McCullers souligne le déficit essentiel, la carence inguérissable. 


Gainsbourg, Comic strip 1967 ; Berberian, Stripsody 1966... [voir la partition, une des plus étonnantes depuis... Froberger ; voir les images des partitions Stripsody et de la Toccata de F]


Gary-Ajar, La vie devant soi. Il se confirme, s'il en était besoin, que le sentimentalisme fait baisser la qualité. Avec la vitrine de clowns et l'apparition de Nadine, on sent faiblir ce roman admirablent atypique.


Les génies qui se brouillent avec tout le monde, peut-être parce qu'ils ont besoin d'être seuls (contre tous) : Rousseau, Bloy, Péguy. Peut-être aussi parce qu'ils visent à une relation sans médiation avec leur idéal - anticléricaux jusque dans leurs amitiés. 


Shakespeare, monologue d’Hamlet : « the slings and arrows of outrageous fortune » ; j’ai toujours trouvé bizarres ces ‘frondes’ de la fortune ; je songeais, comme d’autres, à une coquille ou équivoque d’écriture pour ‘stings’, qui aurait donné « les piques et les flèches », ce qui est assez logique. Mais la lecture de l’article de Spitzer sur l’étymologie de ‘slang’ m’a fait un peu changer d’avis : ‘slang’ viendrait de ‘sling’ qui signifierait aussi jeter de la boue, lancer l’opprobre, adresser des injures. Mais en français, la bizarrerie de 'frondes' demeure ; malgré les recherches de Spitzer, il me semble qu'on pourrait (devrait) traduire par 'piques', ou 'aiguilles'. [Tartarin : "Des coups d'épée, messieurs, des coups d'épée !… mais pas de coups d'épingle !")